Le premier dictionnaire consacré à J.R.R. Tolkien en langue française tient ses promesses mais reste réservé à un lectorat averti, sous peine de désenchantement.

Étonnante et magnifique ambition que celle de bâtir un Dictionnaire Tolkien   près de quarante ans après la disparition de l’écrivain anglais ; quarante années de postérité, de réussites ininterrompues et de multiples adaptations, pour la plupart couronnées de succès. Autant dire que les nombreux auteurs sollicités par Vincent Ferré, qui dirige la publication, ont achevé une tâche d’envergure en se penchant sur un monde imaginaire à part entière. Cet univers “secondaire”, aussi complexe que développé, est peuplé par une grande variété de races et de créatures, chacune dotée de structures politiques diverses, de langages propres. L’omniprésence du pouvoir magique constitue alors le ciment de ce monde, aussi bien en tant qu’enjeu primordial que danger permanent. Alors que les ouvrages descriptifs sur la question ne manquent pas, le premier grand intérêt de ce dictionnaire est l’intérêt tout particulier porté à la confrontation de cet univers imaginaire au réel, de ce monde secondaire à sa source d’inspiration primaire. Ainsi, on peut assez aisément y distinguer trois types d’article.

Tout d’abord, ceux qui traitent de manière exhaustive de la Terre du Milieu, de ses origines à la célèbre quête de l’Anneau : ils constituent l’ossature du dictionnaire, et permettent aux néophytes, comme aux passionnés, de saisir l’envergure de cet univers dans ses plus inattendus détails. Le format du dictionnaire offre une véritable facilité de navigation entre lieux, personnages, histoires et époques historiques, le tout assurant un panorama complet, parfois déroutant, de l’œuvre de Tolkien. Cependant, ce même format conduit à désenchanter, à rationaliser quelque peu cet univers de nature fantastique ; autant dire que ce dictionnaire s’adresse avant tout aux lecteurs, même occasionnels, du professeur d’ancien anglais d’Oxford. Les contributeurs, tous francophones, ne trahissent toutefois pas l’auteur : la qualité des articles, aussi bien en termes de style que d’exhaustivité, est notable.

Ensuite, une catégorie d’articles évoque avec brio les rencontres, nombreuses, entre l’œuvre fictionnelle d’un homme et le monde réel. C’est donc de réception, d’interprétation et d’adaptation qu’il est question dans ces contributions presque aussi nombreuses que celles se bornant à une description de l’univers. Ces passages sont à la fois les plus intéressants et les plus périlleux. Ils constituent pour leurs auteurs une prise de risque car il ne suffit plus pour eux de rendre un rapport de recherche complet sur un point en particulier, mais d’évoquer de manière subjective le regard porté par nos contemporains sur l’œuvre de Tolkien. Ce regard est aussi bien celui du réalisateur néo-zélandais Peter Jackson, responsable de l’adaptation cinématographique la plus emblématique, que celui de Leslie Donovan, universitaire américaine posant la question de la place des femmes dans la Terre du Milieu. On voit bien à quel point les écrits d’un seul homme portent à discussion et à interprétation ; s’il est louable de vouloir faire figurer dans un dictionnaire complet ces perspectives, dans leur diversité, un certain scepticisme quant à la restitution objective de ces controverses peut néanmoins être évoqué.

Enfin, un certain nombre d’articles évoquent la vie de John Ronald Reuel Tolkien, de son parcours universitaire à ses centres d’intérêt. Ces apports au dictionnaire sont loin d’être accessoires, car ils permettent d’éclairer les ressorts de l’œuvre, et parfois même des interprétations qui en ont découlé. La personnalité de Tolkien, son parcours et ses croyances, ont eux-mêmes fait l’objet de discussions que ces articles restituent. Il convient d’ailleurs de saluer le travail de recherche effectué, qui donne véritablement à ce dictionnaire une crédibilité supérieure.

L’écriture collective d’un dictionnaire de langue française, consacrée à Tolkien, est un événement notable. L’œuvre du professeur d’ancien anglais constitue un véritable phénomène : elle n’est pas restée un simple objet de lecture répandue, mais est aussi une authentique immersion pour des contemplateurs fascinés par le monde qu’elle dépeint. Ces passionnés, dont l’apparition remonte à la publication des ouvrages, illustrent à l’extrême le lien émotionnel fort qui unit l’œuvre à ses lecteurs. Il ne fait dès lors nul doute que, pour les plus francophones d’entre eux, ce dictionnaire pourra faire office de véritable ouvrage de référence. Pour les autres, la lecture de cette véritable encyclopédie viendra compléter des connaissances jusqu’alors imparfaites, mais aussi et surtout inciter un peu plus à la redécouverte d’une œuvre désormais passée au Panthéon de la fantasy.