"Contrairement à ce que dit l’idéologie relativiste de gauche, pour nous, toutes les civilisations ne se valent pas." Cette phrase polémique prononcée par le ministre de l’Intérieur Claude Guéant samedi dernier est l’œuvre d’Yves Roucaute. Pour comprendre la bataille des idées qui fait rage en cette campagne présidentielle, il n’est jamais inutile de s’intéresser aux plumes de ses protagonistes. Ce discours n’est pas comparable au discours honteusement bâclé de Dakar, que Nicolas Sarkozy aurait survolé dans l’avion l’amenant au Sénégal. Il a été soigneusement relu et préparé. Et on le doit à un intellectuel iconoclaste d’une droite dure.

Yves Roucaute est président du conseil scientifique de l’Institut National des Hautes Etudes de Justice et de Sécurité et professeur de philosophie à la faculté de droit de l’Université Paris-X Nanterre, où c’est un euphémisme de dire qu’il fait tache. D'après Mediapart, il vient de démissionner de la section de science politique du Conseil national des Universités (CNU) pour anticiper sa nomination pressentie à la future section de criminologie du CNU, une instance dont la création est contestée par la communauté universitaire. 

Dirigeant de l’UNEF et de l’Union des étudiants communistes (UEC) dans les années 1970, il se forme à la pensée politique dans l’entourage d’Althusser ou de Lacan. Puis il rompt avec la gauche au nom de valeurs humanistes et libérales qu’il estime piétinées par l’expérience communiste. A la manière de nombreux intellectuels marxistes américains, il adhère aux thèses néolibérales les plus radicales au tournant des années 1990. Sa conception de l’humanisme   implique le respect imprescriptible de la culture classique, du droit et des mœurs traditionnelles, contre le supposé relativisme culturel de la gauche. C’est ce "néo-conservatisme" qui a inspiré Guéant, et qui constitue le socle de sa vision de la société.

Yves Roucaute n’en est pas à son coup d’essai, puisque il défend depuis de nombreuses années sa vision hiérarchisée des civilisations sur le terrain des relations internationales. Partisan d’un droit-de-l’hommisme très centré sur l’Occident, il a notamment combattu le régime de Saddam Hussein et soutenu l’invasion américaine de l’Iraq. Il n’est pas non plus un novice en politique puisqu’il est passé par les cabinets ministériels de François Loos, Alain Carignon et surtout Alain Madelin entre 1986 et 2002. Les titres de quelques-uns de ses livres suffisent à préciser les idées qu’il défend- ou qu’il combat : Splendeurs et misères des journalistes, Calmann-Lévy, 1991 ; Discours sur les femmes qui en font un peu trop, Plon, 1993 ; La République contre la démocratie, Plon, 1996 ; La puissance de la liberté : le nouveau défi américain, PUF, 2004, sans oublier Le néo-conservatisme est un humanisme, PUF, 2005.

La droite clame que Claude Guéant n’est pas anthropologue ou philosophe et a donc pu confondre l’idée de civilisation avec celle de système politique. Le "néocon" Yves Roucaute, lui, savait très bien ce qu’il écrivait

* Article actualisé le 9 février à 20h15.