Le témoignage captivant d'un acteur majeur de la politique de l'architecture.

Voilà un livre captivant qu’on dévore d’une traite tant on est plongé au cœur des réflexions et des actions – la plupart du temps très inspirées - d’un acteur majeur de la politique de l’architecture de la Ve République. Il complète et prolonge utilement l’ouvrage Malraux et l’architecture.

Max Querrien est représentatif de ces "grands commis de l’État" qui sont à l’origine de plusieurs des politiques publiques de l’après-guerre, à l’instar de Jeanne Laurent pour le théâtre ou de Paul Delouvrier pour les villes nouvelles. Mus par une vision stratégique et forts d’une connaissance approfondie de l’administration et du secteur dans lequel ils ont œuvré, leur action a durablement marqué.

Né en 1921, Max Querrien commence une carrière universitaire de juriste, puis entre au Conseil d’État comme auditeur. Il intègre ensuite plusieurs cabinets ministériels, et notamment le cabinet d’un sous-secrétaire d’État à l’urbanisme en 1956. Il est ensuite chargé en 1957 d’un rapport sur les liens entre les architectes et les pouvoirs publics qui lui permet d’affiner son expertise dans ce secteur. Un beau-frère, Grand Prix de Rome en architecture, contribue à enrichir sa sensibilité à la question.

 

La création au cœur de la nouvelle politique de l’architecture du ministère Malraux

Malraux le nomme en 1963 directeur de l’architecture au ministère de la culture. Le ministre-écrivain souhaite impulser une politique dans ce domaine, pour éviter qu’elle ne soit uniquement entre les mains du puissant ministère de la Construction dirigé par Pierre Sudreau. Querrien connait son sujet beaucoup mieux que Malraux et s’engage avec passion et conviction dans sa nouvelle mission. Son idée-force est que "la définition architecturale d’un pays est aussi importante que sa définition économique et sociale (…). La dimension architecturale conditionne tout autant les dimensions sociale et psychologique, et même économique et politique, qu’elle n’est en retour conditionnée par elles".

Il souhaite favoriser l’épanouissement de la création architecturale dans un dialogue constant avec l’environnement dans lequel elle s’inscrit, qu’il soit humain, historique, ou patrimonial. Il est également convaincu que pour ce faire les méthodes des maîtres d’ouvrage doivent évoluer et dépasser les simples questions techniques. Il conduit plusieurs projets de réformes, et entreprend de sensibiliser les ministères partenaires et une opinion publique française qu’il considère trop indifférente à la question architecturale. Il participe à plusieurs projet de construction de bâtiments publics, notamment les cinq préfectures d’Ile-de-France liées à la réforme administrative et territoriale de 1964 qui créa cinq nouveaux départements.

Il assouplit la réglementation des abords des monuments historiques pour permettre l’émergence de l’architecture contemporaine dans les centre-ville. Il ne parvient pas à mener à son terme la réforme de l’enseignement de l’architecture, dossier que Malraux lui avait confié à titre personnel. En effet, il démissionne du ministère de la culture à l’automne 1968 - tout comme deux autres directeurs, Pierre Moinot aux Arts et Lettres, et Francis Raison au Théâtre - estimant que les rapports avec le cabinet du ministre nuisent à la sérénité nécessaire à l’accomplissement de sa mission. Malraux lui adressera cette phrase rarissime de la part d’un ministre : "vous ne pourrez toujours pas dire que je vous ai empêché de faire ce que vous vouliez" !

Ce qui frappe chez Querrien, c’est le mélange de passion et de sagesse. Il évite de tomber dans le piège des modes éphémères ou des lubies des architectes créateurs. Il se refuse à considérer l’architecte comme un simple "esthéticien" coupé des réalités historiques et sociales. Il parvient à concilier un militantisme ardent avec une vision globale qui intègre urbanisme, patrimoine et problématiques sociales, tout autant que les questions techniques et une connaissance approfondie des rouages de l’administration.

Max Querrien reprend du service au Conseil d’État et poursuit sous une autre forme son entreprise inlassable de sensibilisation du pays à la question architecturale. Il écrit plusieurs articles, prononce des conférences, et en tant que membre du Conseil d’État examine la loi de 1977 sur l’architecture.


Une carrière qui prend un nouvel élan avec l’arrivée de la gauche en 1981

Avec l’arrivée de la gauche en 1981, Jack Lang lui commande un rapport sur la politique du patrimoine, puis le nomme président de l’Institut Français du Patrimoine (IFA). Querrien souhaite en faire un outil majeur de diffusion de la culture architecturale, malgré des moyens qu’il juge insuffisants pour une telle mission. Il cherche néanmoins à élargir sa vocation initiale, en intégrant les problématiques urbanistiques et en s’adressant au grand public.

Il est parallèlement nommé président de la Caisse nationale des monuments historiques (qui deviendra par la suite Monum) établissement responsable de la gestion et de l’animation d’un peu plus d’une centaine de monuments historiques. Max Querrien, jusqu’en 1986, marque l’établissement en lançant les labels "Villes d’Art et d’Histoire", et développe des projets qui visent à faire du patrimoine un secteur vivant et attractif.

Il est ensuite chargé de plusieurs missions, notamment sur un nouvel accès au Mont Saint Michel, et sur le tracé du TGV Sud, projets au service desquels il met ses qualités de négociateur.

Une expérience d’élu local

L’ouvrage se termine par un chapitre qui n’est pas le moins passionnant : celui relatant son expérience comme maire de Paimpol de 1961 à 1995. Il explique avec beaucoup d’humilité les principales actions qu’il a conduites dans cette célèbre bourgade des Côtes d’Armor, issue d’une fusion entre trois communes et menacée par le déclin. Guidé par une approche pragmatique et souhaitant redorer le blason de la ville, il travaille au Plan d’occupation des sols (qu’on appelle depuis les années 2000 plan local d’urbanisme) pour recoudre le tissu urbain de la commune, et redonner toute sa place au port.

Il impulse des projets structurants, notamment un lycée qu’il confie à Louis Arretche, un hôpital et des ensembles de logements sociaux. Max Querrien évoque des choix en matière d’architecture pour Paimpol qui frappent par leur lucidité, préconisant en effet un principe d’insertion plutôt que le geste architectural spectaculaire, "la prouesse ignorante du contexte" comme il aime à le rappeler.

On termine la lecture de ce livre sur des sentiments d’admiration et de respect. La passion, l’engagement, la finesse et l’intégrité de l’homme constituent les clés d’un parcours remarquable au service d’une discipline qui de nos jours s’est imposée comme essentielle pour penser la question du vivre ensemble, du développement durable et de la vie démocratique
 

Ouvrage publié avec l'aide du Centre national du livre.

 


* À lire également sur nonfiction.fr : 

-L'ouvrage collectif Malraux et l'architecture (éditions Le Moniteur), par Pierre Lungheretti