Une analyse convaincante de la légitimation du débat public dans le processus décisionnel.

La "démocratie participative" peut-elle être autre chose qu’un slogan de campagne électorale ou qu’une tentative de manipulation de l’opinion pour obtenir une adhésion de surface pour des décisions déjà prises ? Oui, répondent les auteurs de ce livre à condition que le débat soit pris au sérieux et entouré d’un ensemble de conditions. Si vous êtes sceptique, la lecture vous fera réfléchir à partir de la présentation de pratiques participatives stimulantes. Si vous êtes en partie convaincu, ce livre vous enrichira par l’excellente synthèse des réflexions critiques qu’il présente et par les nouvelles pistes qu’il dégage sur l’articulation entre délégation et participation politique. Au bout du compte le principal mérite de cet ouvrage est de sortir du schéma classique qui fait du "débat public" soit une solution démocratique universelle, soit une dangereuse mystification. Il montre concrètement ce que le développement des pratiques de participation tant au niveau local que sur des enjeux nationaux a apporté au traitement de dossiers délicat à arbitrer techniquement et politiquement ; et par là même le rôle décisif qu’ont les mouvements sociaux dans le renforcement de la démocratie.


Une généalogie non linéaire

L’ouvrage retrace tout d’abord la façon dont les procédures de concertation et de participation du public ont émergé et comment s’est transformée la question du et des "publics". Elles trouvent leur origine dans la procédure dite "d’utilité publique" inventée à la fin du XIX° siècle. Elle était au départ liée au pouvoir d’expropriation par l’État dans l’intérêt général, et destinée à valider le prix et les conditions de réalisation. Elle acquiert une plus grande visibilité à partir des années 60 à l’occasion des premières contestations environnementales qui s’emparent de cette procédure pour dénoncer l’opacité des fonctionnements administratifs et politique dans la gestion d’enjeux majeurs comme le nucléaire et l’aménagement du territoire. Des juristes tels J. Ellul puis des sociologues comme A. Touraine ont tenu un rôle pionnier dans cette critique. Une période intermédiaire trouve ses sources dans les années 80 avec les contestations collectives de grands projets d’aménagement (TGV, site pour les déchets nucléaires) et la mise à plat des pratiques concrètes de concertation. Celles-ci se révèlent être plus des "concessions procédurales" et au mieux des débats en public (face à ) et non avec les publics. On met alors l’accent sur la dissymétrie des échanges et la captation du débat par des acteurs détenteurs de compétences spécifiques (militants hyper-actifs, experts, porte-paroles associatifs). Les premières réformes menées par H. Bouchardeau (1983), puis par J.L. Bianco (1992) et M .Barnier (1995) s’efforcent de donner à la participation un cadre plus précis et une plus grande portée. C‘est surtout la création de la Commission nationale du débat public (CNDP) qui commence à structurer les débats sur les grands projets d’aménagement et à stabiliser des méthodes. Une troisième période est marquée par la reconnaissance de véritables droits à l’information et à la participation du public pour beaucoup de décisions politiques. Plusieurs textes formalisent ces avancées : la convention internationale d’Aarhus (1998), la loi sur la démocratie de proximité (2002) et la Charte environnementale jointe au préambule de la Constitution (2005, article 7). La généalogie retracée n’est pas linéaire, elle mixe l’action des mouvements sociaux, des innovations administratives et des choix politiques qui ont permis à la France de produire un modèle original.


Un modèle original

Une grande place est accordée dans le livre à l’analyse du rôle de la Commission nationale du débat public (CNDP) en matière de pratiques participatives. Inspirée en partie d’un équivalent québécois, la CNDP s’est en quelques années inventé un rôle de tiers garant entre un maître d’œuvre, les populations concernées par le projet et les décideurs politiques. Cette institution (aujourd’hui autorité administrative indépendante) n’a pas d’équivalent en Europe. L’instance nationale forge une doctrine d’intervention et veille au respect des méthodes. Pour chaque débat local dont elle a la responsabilité, une commission particulière est constituée qui œuvre plusieurs mois. Elle adapte au contexte le schéma participatif. Comme le formule très bien G. Mercadal (ancien président de la CNDP) "si le débat public est d’abord une critique, il doit aussi devenir un exercice d’intelligence collective". Plusieurs chapitre rendent compte sous des angles divers, mais toujours de façon très concrète, des modalités de ces exercices à risque (contournement de Bordeaux, projet de l’EPR, tramway de Paris). Surtout ils mettent en valeur la portée et l’impact de ces débats (en particulier la tension permanente entre la mise en cause de l’opportunité d’un projet et l’accommodation de son contenu), sans occulter leurs limites (en particulier la dévalorisation du débat par les annonces politiques prématurées).
 
Certains débats innovent en ajoutant de nouveaux instruments à la boîte à outil : ateliers de réflexion thématique, NTIC, débats en ligne, etc. Si beaucoup d’efforts sont déployés pour donner consistance aux débats, certains acteurs - en particulier les politiques - ont toujours un positionnement ambigu et globalement une capacité d’apprentissage limitée. Pour eux la logique représentative doit prévaloir. Le débat public reste une épreuve qui peut menacer leur légitimité, même s’ils ne manquent pas de ressources pour agir en amont et à côté.   
     
Les auteurs parviennent avec autant de conviction que de distance critique à montrer comment le débat public est une opportunité d’engagement politique qui ne peut être confondue ni avec un conflit ritualisé, ni avec une illusion consensuelle. Ils rendent aussi tangibles les possibilités de débordement de l’institution. La reconnaissance par le droit et par la création d’une structure officielle n’ôtent pas au débat public son caractère de chantier démocratique expérimental.