Faciliter la compréhension de l’évolution en partant d’abord de la théorie pour l’appréhender ensuite comme un fait

La théorie de l’évolution occupe constamment l’actualité scientifique. Le succès de cette théorie semble avoir été favorisé par la relative fiabilité des méthodes scientifiques d’exploration du vivant particulièrement développées en paléontologie et en biologie. On s’en doute, l’évolution permet de replacer le vivant sur un axe temporel de plusieurs millions d’années. L’ouvrage de Roger Dajoz, L'Evolution biologique au XXième siècle excelle dans l’analyse diachronique des mutations du vivant tout en réfutant les thèses qui paraissent ne pas être fondées sur des éléments scientifiques.

La théorie de l’évolution serait essentiellement scientifique

De manière générale, comme théorie, l’évolution a été vigoureusement combattue par les défenseurs des thèses créationnistes. Or le créationnisme d’inspiration ecclésiastique serait dogmatique, si l’on en croit ses propres défenseurs, en raison de ce que la révélation serait la lumière qui éclairerait le fait. Pour autant, l’invocation du temps, absolu ou relatif, y compris son interprétation et sa connaissance, paraît être l’insaisissable variable de cette irréductible opposition. Alors se pose la question : les êtres vivants sont-ils tous toujours et indéfiniment les mêmes ? Les faits peuvent donc être interrogés.

Les premiers illustres évolutionnistes, Lamarck et Darwin, avaient initié une réflexion qui a introduit en science l’idée de mutabilité des espèces, et donc nécessairement une opposition radicale à l’idée d’espèce immuable. Roger Dajoz propose une histoire scientifique de la théorie de l’évolution, celle-ci s’appuyant sur les mérites des sociétés savantes de l’Europe. En effet, l’histoire de l’évolution est indissociable de celle de l’Europe moderne et du XXIe siècle. L’évolution biologique au XXIe siècle, comme le titre de l’ouvrage l’indique, s’explique par l’exceptionnelle promotion politique et sociale des sciences et des échanges à partir de l’épicentre européen. Si la paternité de la théorie de l’évolution ne souffre d’aucune contestation, en revanche, l’accueil fait dans le monde à ladite théorie et dont l’auteur parle (pp. 43-44) laisse perplexe. La lecture de l’ouvrage fait apparaître un monde réduit principalement à l’Europe et aux États-Unis. 

Les foyers culturels dans lesquels ont été préservés les éléments mis au service de la théorie de l’évolution auraient pu être mieux soulignés et argumentés sans que cette prise en considération n’entrât en contradiction avec l’essence ou la méthode de recherche. Or, précisément, cette confusion du monde et de l’Occident altère la rigueur avec laquelle la maîtrise du sujet a été conduite d’autant plus que, suivant la logique de la thèse défendue dans l’ouvrage, l’évolution serait universelle. Dans une telle perspective, si elle ne l’est pas déjà indiscutablement, elle serait à juste titre appelée à transcender les considérations culturelles particulières. Par rapport à l’épistémologie des sciences biologiques, cette universalité aurait pour effet de disqualifier les prismes culturels dont doit se méfier le biologiste. Néanmoins, une telle dépréciation n’aurait nullement pour conséquence de dissimuler les véritables enjeux philosophiques ou de société de la théorie et encore moins la guerre de prestige qui oppose ou distingue les systèmes, les figures ou les symboles des grandes civilisations.

Une étude rigoureuse et détaillée

À la fin de l’ouvrage, l’étudiant en biologie et le curieux ont une meilleure compréhension de la théorie de l’évolution. Le vocabulaire technique est accessible et bien détaillé. L’auteur accompagne avec attention ses lecteurs dans le labyrinthe des variations intraspécifiques et des interactions apparaissant au sein des espèces et, au-delà, des époques marquées par la complexification des espèces, tout en prenant soin de rapprocher la biologie de la paléontologie, de la génétique, de la biochimie et même de la médecine. Les thèses abordées en biologie sont bien présentées avec leurs limites. L’évolution biologique est par exemple expliquée à partir d’une analyse historique contingente aussi bien qu’elle a été confrontée à la théorie de non prévisibilité de Conway-Morris (p. 116).

Fort de cette rigueur qui embrasse plusieurs sciences simultanément, Roger Dajoz se pose en défenseur d’une thèse qui transcende la théorie pour devenir un fait. Si l’évolution est tenue pour un fait, elle serait aussi par extrapolation un phénomène ancien interpellant le biologiste. Si l’on suit le raisonnement de l’auteur, l’évolution considérée comme un fait scientifiquement observable rendrait donc finalement justice à la théorie de l’évolution. Le talent des évolutionnistes aurait été alors d’avoir laissé s’exprimer une intuition phénoménologique émancipée et libérée des contingences de la rationalité officielle. Pourtant, quel qu’ait été ce détachement, l’évolution semble porter en elle-même les contradictions des êtres-phénomènes dont l’existence repose sur une logique permanente de création. L’évolution et la création peuvent donc être parallèles sans paraître irréductibles, l’une étant découverte par la science, et l’autre promue par la culture.  Dans le champ des multiples applications de la durabilité, la création intellectuelle a vocation à s’appuyer sur les ressources du vivant dans leur état présent, originel ou en devenir.

On en sait un peu plus sur l’histoire de l’évolution autant que sur la nécessité d’une compréhension du monde à partir du fait. Dans ce contexte, la question des lois naturelles et des causes de l’évolution a été éludée au détriment de l’argument ou de la preuve scientifique. Tout de même, l’argument qui fait de l’évolution un processus observable a posteriori n’explique pas les incertitudes qui lézardent la réalité et déforment la linéarité des conditions de l’évolution. Roger Dajoz s’est efforcé de renforcer le crédit du fait et par conséquent celui de la théorie de l’évolution. La conclusion qui l’assimile à un fait en est l’ultime témoignage. Comme tel, la théorie, bien que très classique a été défendue avec expérience, mais l’évaluation du fait, elle, doit nécessairement se poursuivre