L’histoire d’une famille d'artistes, les Mikhalkov, qui a su conserver un lien privilégié avec le pouvoir au fil de l’histoire de la Russie.

Les Mikhalkov sont l’une des familles les plus importantes dans les réseaux intellectuels proches du pouvoir soviétique puis russe. Cécile Vaissié, après avoir travaillé sur les dissidents en URSS (Pour votre liberté et pour la nôtre, Robert Laffont, 1999), les écrivains soviétiques (Les ingénieurs de l’âme en chef, Belin 2010) et les réseaux du Kremlin en France (Les petits matins, 2016), se penche sur ce clan hors du commun. Par-delà, elle interroge le système clanique en URSS et en Russie, les formes du pouvoir et en filigrane le poids des services de renseignement dans la société soviétique et post soviétique. L’auteure présente une famille, qui fonctionne de manière quasiment clanique, dans lequel chacun incarne un type de rapport au pouvoir, assemblant ainsi les pièces d’un puzzle et permettant de comprendre la longévité de ce groupe.

 

Des parents…

Dans la famille Mikhalkov il faut commencer symboliquement par le chef du clan, Sergueï, le père. Auteur de poésie à succès, à la gloire du régime, Staline lui demande en 1942 remplacer l’Internationale et de rédiger le nouvel hymne, mélange de patriotisme et d’ode au tyran. Léonid Brejnev lui confie l’adaptation de la version stalinienne à la réalité soviétique des années 1970. Depuis, Poutine, après avoir restauré l’hymne soviétique, disparu depuis la fin de l’URSS, lui a demandé une nouvelle fois d’en écrire les paroles. Non plus à la gloire de Staline ou de l’URSS, mais de la Russie éternelle. La longévité et la servilité exceptionnelles de père Mikhalkov interrogent et viennent montrer son rapport au pouvoir, ses relations avec la police secrète soviétique apparaissant en filigrane.

Mais la mère, Natalia Kontchalovskaïa, joue aussi un rôle central dans la constitution du clan. Elle est l’héritière de plusieurs générations de peintres, qui ont vécu une vie de bohème dans les grandes capitales occidentales avant 1917. Elle partage pendant une décennie la vie d’un agent des services de renseignement russe. Purgée en 1937, elle entretient des relations avec les milieux artistiques américains puis intervient régulièrement auprès des autorités quand le besoin s’en fait sentir pour sa progéniture, en échange, semble-t-il, de services rendus à la mère patrie. Le clan comporte d’autres pièces, comme un oncle arrêté pendant la guerre puis mystérieusement libéré, alors que d’autres travaillent directement pour le NKVD en Russie et à l’étranger. La famille est par exemple mêlée à l’affaire de l’ambassadeur Maurice Dejean en 1955, obligé de rentrer rapidement en France à la suite d’une affaire de mœurs ourdies par les services secrets soviétiques.

 

… aux enfants

Le couple Mikhalkov se forme au milieu des années 1930. Les deux fils, Andreï Kontchalowski né en 1937, et Nikita Mikhalkov, né en 1945, poursuivent la lignée familiale. Les deux frères réalisent de brillantes études, comme nombre d’enfants de la jeunesse dorée soviétique. Andreï se place dans les pas de l’élan réformateur des années Khrouchtchev pour réaliser ses premiers films : le Premier maître, puis le Bonheur d’Assia, l’histoire d’une kolkhozienne choisissant d’élever seule son enfant. Ce dernier reste sur l’étagère car un hiérarque de l’Académie l’estime hostile à l’image de la collectivisation. Kontchalowski peut poursuivre sa carrière et fait jouer son frère dans les films suivants.

Nikita Mikhailkov entame à son tour une carrière de cinéaste avec un premier film, sorti en français sous le titre Ami chez les ennemis, en hommage au NKVD, suivi deux ans après d’Esclave de l’amour, véritable ode au régime. Doté d’indéniables qualités cinématographiques, les deux frères ont réalisé des chefs d’œuvres et connaissent alors le succès à l’Est et aussi et peut-être surtout à l’Ouest. Plusieurs scénarios passés inaperçus en Occident, comme la Fin de l’Atamen sur le héros de la Tchéka, Kassylkhan Tchadiarov, permettent à Andreï de réaliser des films aux États-Unis. De même, le succès de l’adaptation de la pièce de Tchekov, Partition inachevée pour piano mécanique ou de Sibériade, sont aussi autant de gages de la fidélité de Mikhaël au régime qui peut réaliser les films qu’il veut. En dépit de la brouille passagère entre les deux frères, le clan a des intérêts convergeant, la mère intervenant régulièrement pour soutenir ses enfants, ceux-ci restant toujours proches des sphères d’influence du pouvoir.

 

Avec moults détails et une précision d’orfèvre, Cécile Vaissié montre comment la famille a avancé ses pions pour la gloire du régime, mais aussi et finalement aujourd’hui selon ses propres intérêts ; comme si l’épitaphe au père, Sergueï, « il a servi la patrie » lors de la cérémonie présidée par le président russe illustrait la définition particulière du service propre aux Siloviki, les hommes travaillant pour les services de renseignement.