« Les nazis ont-ils survécu ? » est une plongée dans l’univers, les réseaux et les ramifications des héritiers du IIIe Reich, par l’un des meilleurs spécialistes actuels de l’extrême droite.

La renaissance potentielle du fascisme a inspiré la fiction. Ainsi dans Les Phalanges de l’ordre noir, publié en 1979, Pierre Christin et Enki Bilal livraient sous la forme d’un récit inventé une vision fantasmagorique du retour d’une internationale fasciste. Cette même vision se retrouve également dans les comics de Marvel avec les ramifications de l’organisation Hydra.

Dans son remarquable et dernier livre, Nicolas Lebourg décrit la réalité de la survie du nazisme dans l’Europe d’après la Seconde Guerre mondiale. Ces nazis ou anciens nazis de tous pays, sous une forme édulcorée et transformée mais toujours affirmée, tentent de créer une organisation par-delà les frontières nationales, dont l’auteur retrace les liens, évoque les réseaux et dresse le bilan.

 

Des réseaux internationaux fondés dans l’entre-deux-guerres

Les internationales racistes sont des groupes constitués dès avant la Deuxième Guerre mondiale. Ils partagent un arrière-fond idéologique empruntant aux diverses théories racialistes en Europe. Dans le cas français par exemple, Georges Vacher de la Pouge et Gustave Le Bon nourrissent l’idéologie qui inspire le pamphlétaire américain Madison Grant.

Le deuxième élément de la construction de l’Internationale raciste est la mise en réseaux. Elle passe par l’alliance anticommuniste internationale fondée à Genève en 1926 et surtout par la création en 1932 d’un groupe international de réflexion, auquel participent tous les idéologues de ce courant. La théorisation racialiste est développée bien sûr par les hiérarques du régime du régime nazi mais aussi par les néo fascistes italiens, comme Julius Evola. A l’image de ce théoricien italien du fascisme, ils servent de passeur et alimentent encore aujourd’hui la vulgate d’extrême droite. Même si les militants de ce courant ne s’en réclament plus ouvertement, l’œuvre d’Evola leur a servi de bréviaire pendant des années.

 

Parcours de militants français d’extrême droite

Pour comprendre le passage de l’avant à l’après-guerre, Nicolas Lebourg se penche sur le parcours de sept militants français. Certains sont venus de la gauche et d’autres ont commencé leur carrière politique à l’extrême droite. Ils sont les médiateurs entre l’avant et l’après-guerre. Ils sont les principaux entremetteurs des différentes organisations internationales qui ont cherché à faire revivre le nazisme.

La figure archétypale est celle de René Binet. Il commence sa carrière au Parti communiste, inscrit sur la liste noire des exclus et des renégats, passe chez les trotskistes avant de devenir un collaborateur d’importance puis de combattre sur le Front de l’Est dans la Légion des volontaires français. Il réussit à se faire discret à la Libération et devient l’un des parrains des regroupements d’extrême droite européenne. Il est un modèle pour la nouvelle génération des nationalistes européens organisant des réseaux et des groupes militants. Binet et ses acolytes diffusent la théorie racialiste, s’appuyant sur d’autres anciens collaborateurs.

Certains, comme Maurice Bardèche, théorisent la négation du génocide des Juifs. D’autres, comme Jean Mabire ou Saint Loup, exaltent les combattants nazis de la SS, magnifiés sous l’angle uniquement militaire. A cet égard, l’auteur souligne le rôle clef de Jean Mabire à la fois comme vulgarisateur et passeur des idées racialistes et néonazies. Il a été un personnage très influent dans toute l’extrême droite, y compris la plus légaliste, et ce jusqu’à aujourd’hui, par sa production livresque qui s’inscrit dans un triple registre : la diffusion du néopaganisme, le culte de l’armée allemande et le régionalisme. La démarche des Français est la même que celle des anciens nazis allemands en quête de respectabilité. Ils diffusent les mêmes thématiques : négationnisme d’un côté et hommage aux combattants du front de l’Est de l’autre.

 

Un mouvement marqué par des rivalités

Cependant, à l’extrême droite, les rivalités et les conflits pour la suprématie politique existent ; l’étude des conflits entre les différents groupes d’extrême droite est d’ailleurs un des apports importants du livre. Les proches de Binet sont concurrencés par les autres figures du monde de la collaboration qui désirent pouvoir imprimer leur marque sur ce mouvement d’extrême droite.

A plusieurs reprises, les groupes néonazis des quatre coins de la planète tentent de mettre sur pied une véritable organisation. A chaque fois, ils achoppent sur le même point : la direction du mouvement, comme le montre l’entretien entre Binet et le fasciste américain Francis Parker Yockey en 1951. Il en est de même à Malmö en 1962. La date est demeurée importante pour la gauche antifasciste inquiète de la résurgence des groupes nazis. La réunion aboutit pour l’extrême droite racialiste à un constat d’échec, les groupes sont incapables de se mettre d’accord et arrivent à peine définir leur idéologie commune comme la dénonciation du « sionisme mondial ».

Ces groupes demeurent dans la marginalité totale puisqu’en Europe ils rassemblent au total moins d’une centaine de personnes. En l’espace de deux décennies, ils arrivent à peine à redéfinir un corpus idéologique. Il est possible cependant de constater un progrès numérique. Le journal des néonazis allemands, Nation Europa, multiplie par trois son tirage 1953 et 2004 pour atteindre 18 000 exemplaires, ce qui demeure son apogée, avant de s’effondrer rapidement.

 

Le passage du faisceau

A la faveur des années 1960, un remplacement générationnel s’opère. Après la mort de Binet, c’est l’ancien nazi belge, Jean Thiariart et le français Dominique Venner qui s’imposent comme les nouvelles figures de cette mouvance. Le nationalisme européen se transforme au profit d’une nouvelle définition culturalo-ethnique fondée sur l’identité européenne. C’est ce nouvel axe qui est déformais privilégié et s’accompagne dans un dernier temps d’une redéfinition stratégique qui cherche à passer à la dénonciation de l’immigration.

En temps que tels, les groupes néonazis et racialistes n’arrivent pas à trouver un second souffle et demeurent pris dans des hommages multiples au passé. L’auteur donne un exemple significatif. En 1980, un groupe néonazi en France veut rendre hommage à François Duprat, la figure du nationalisme révolutionnaire récemment assassiné. Leur hommage est interdit par les autorités. Le groupe se rassemble alors devant la tombe de la femme de René Binet. Le rassemblement devient alors quasiment incompréhensible, y compris pour les services de renseignement.

L’anecdote révèle la culture groupusculaire et sectaire des militants de l’internationale noire avec des codes le plus souvent hérités du paganisme, qui rendent sa diffusion absconse. Les militants formés dans ces différents groupes, s’ils conservent un ferment idéologique commun, choisissent de développer d’autres moyens de propagande. Ils remisent leur obsession des origines, conservant seulement l’idée de la défense de la civilisation européenne.

 

Dans cet ouvrage à la fois subtil et passionnant, Nicolas Lebourg montre ainsi comment s’est opéré, mine de rien, la mutation lexicale d’un discours dont le soubassement reste le même.