Quel a été le comportement des Français vis-à-vis des Juifs durant l'occupation ? Un livre récent apporte plusieurs réponses à travers des études de cas.

Dans le film de Claude Berri, Le vieil homme et l’enfant, l’acteur Michel Simon incarne admirablement ces Français qui, durant la Seconde Guerre mondiale, ont eu une attitude exemplaire tout en conservant un fond d’antisémitisme, mélange souvent paradoxal d’anticléricalisme et de judéophobie d’origine chrétienne. L’attitude des Français à l’égard des juifs pendant la guerre est désormais l’objet d’un livre d’Alexandre Doulot et de Lucien Lazare : Ni héros, ni salauds.

Les auteurs ont tous les deux publié des ouvrages importants sur la Résistance et la déportation. Lucien Lazare, ancien Résistant, a, comme Alexandre Doulot, participé à de nombreux travaux mémoriels. L’ouvrage souhaite s’inscrire dans le prolongement des travaux de Serge Karsfeld, qui signe la préface de l’ouvrage, et de Jacques Sémelin, sur le sauvetage des Juifs de France. Les deux auteurs montrent comment une partie importante de la population juive de France a trouvé dans le reste de la population une aide substantielle leur permettant d’échapper à l’extermination.

Trois grands thèmes structurent l’ouvrage. D’abord la méthode, ensuite les types de réponses apportées en fonction des statuts, et enfin les raisons qui expliquent l’importance du sauvetage des Juifs de France.

La méthodologie repose sur le dépouillement des dossiers des demandes non abouties de « Justes parmi les nations » conservés à Yad Vashem. Ces demandes sont croisées avec les archives administratives de Vichy, du camp de Drancy, de l’Union générale des Israélites de France et les archives départementales afin d’analyser les conditions des sauvetages. Cette démarche leur permet de prendre en compte des sauvetages réels qui, pour des raisons diverses allant du manque de pièces dans les dossiers à la faiblesse des témoignages proposés, sont restés en suspens ou n’ont pas rempli tous les critères.

Les raisons qui expliquent le nombre de ces sauvetages et ce caractère souvent massif sont multiples. Les auteurs les passent en détail. D’abord, contrairement à la Pologne ou au territoire soviétique par exemple, la répression contre le sauvetage des populations juives n’a jamais été mise en œuvre par le régime de Vichy. Il existait des sanctions dans les textes, elles n’ont pas été appliquées. Même en 1944 quand les SS sillonnent la Dordogne à la recherche des Résistants et persécutent les populations juives, les gens continuent de cacher les Juifs et des villages entiers restent silencieux quand les bourreaux les questionnent sur la présence de Juifs dans le canton.

A l’image du Chambon-sur-Lignon, un village qui a obtenu le statut de « Juste parmi les nations », dans nombre de bourgades de campagne, les habitants ont protégé les Juifs. Les villages de Troô ou Pezou en sont par exemple la démonstration. Une trentaine d’enfants sont cachés alors que ces villages n’abritent respectivement que 577 et 890 habitants, ce qui signifie que tout le monde était au courant.

Les auteurs détaillent les raisons individuelles et collectives de la participation au sauvetage des Juifs. A l’exception de quelques personnes, comme certains préfets ou quelques dizaines policiers et gendarmes zélés et / ou antisémites, tous refusent d’appliquer les consignes dans leur intégralité. Les médecins produisent des faux certificats. Les artisans et commerçants trouvent de quoi manger et se vêtir. Dans les mairies, les rédacteurs jouent un double jeu. Ils tapent les textes, mais préviennent ou font prévenir les Juifs menacés d’arrestation. Il manquait systématiquement un maillon dans la chaîne de commandement et surtout d’exécution. Pour valider leur propos, les auteurs montrent comment nombres de rafles ont été sabordées.

Ils apportent un tableau nuancé en fonction de la présence de l’occupation allemande. Les statistiques fournies montrent la différence entre les zones nord et sud. En zone nord, l’étude de cinq départements souligne que le taux d’internement puis de déportations avoisine la moitié de la population juive locale. Inversement, il est très bas en zone sud, ce qui donne une explication sur le sauvetage des Juifs de France : une grande partie a pu franchir la ligne de démarcation.

Les auteurs plaident en conclusion, comme l’avait fait l’historienne Annie Kriegel il y a vingt-cinq ans, pour la reconnaissance du « Juste » ordinaire, qui a simplement, en connaissance de cause, mis en pratique les principes fondateurs de la République : « Liberté, égalité, fraternité ».