Une petite étude de plein-air réalisée en Bretagne dans le petit village de Pont-Aven, en 1888, « sous la direction de Gauguin », devient pour les Nabis le symbole d'une révolution esthétique.

Le Musée d'Orsay réunit plus de 60 œuvres de Paul Gauguin, Emile Bernard, Maurice Denis, Edouard Vuillard autour de l’œuvre-manifeste de Sérusier (1864-1927), Le Talisman, autrement nommé Paysage au Bois d'Amour. Cette exposition a eu lieu auparavant au Musée de Pont-Aven.

 

Un mythe fondateur d'une rupture

L'histoire du peintre Sérusier commence par un mythe fondateur qui, comme tout mythe, a vocation à rassembler. C'est ce qui se passe avec ce petit tableau (270 x 210mm) de Paul Sérusier, peint en octobre 1888, sous la direction de Gauguin, et qui devient l’icône des peintres Nabis. Lorsque l'artiste, de retour à l'Académie Julian, présente aux Nabis (« prophètes » en hébreu) ce paysage « synthétique » aux couleurs pures et aux formes simplifiées, ceux-ci en font leur « talisman ».

Il rejoint la collection de Maurice Denis, qui a contribué à en faire une oeuvre fondatrice et mythique en livrant le récit de sa création dans un texte publié dans la revue L'Occident en 1903. S'adressant à Paul Sérusier, Paul Gauguin lui tint les propos suivants devant un coin du Bois d'Amour, à Pont Aven, en Bretagne ​​​: « Comment voyez-vous cet arbre ? Il est vert. Mettez donc du vert, le plus beau vert de votre palette ; et cette ombre, plutôt bleue ? Ne craignez pas de la peindre aussi bleue que possible ».

 

Contre le naturalisme

Ainsi fut rendu visible pour la première fois, à travers l'oeuvre de Paul Sérusier, le concept de la «surface plane recouverte de couleurs en un certain ordre assemblées» contre le naturalisme. Cette révolution artistique initiée entre 1888 et 1894 par le « Talisman » a pour nom le synthétisme, conception de l'art fondée sur l’usage de couleurs pures posées en aplats et cernées de contours, comme on le voit ici sur La marine avec vache de Gauguin.

Gauguin l'explique dans une de ses lettres : « Un conseil, ne copiez pas trop d'après nature. L'art est une abstraction. Tirez-la de la nature en rêvant devant et pensez plus à la création qu'au résultat. »  

 

Talisman et mystère de la création

Un talisman est un objet (pierre, anneau, etc.) portant des signes consacrés auxquels sont attribuées des vertus de protection et de pouvoir. Il y a effectivement un danger contre lequel l'oeuvre doit protéger selon Paul Sérusier : le retour à la Renaissance «forçant les peintres à ne s'inspirer que des statues grecques»   . Autre danger, toujours selon Paul Serisier : la confusion des genres. Ainsi ne faut-il pas mélanger les couleurs froides et les couleurs chaudes, sous peine de produire des couleurs sales. En 1889, dans une lettre qu'il envoie à Maurice Denis, Paul Sérusier écrivait à propos de Gauguin :

« j'ai vu […] dans ses œuvres, un manque de délicatesse, une affectation illogique du dessin, puérile, une recherche d'originalité allant jusqu'à la fumisterie. Je me suis donc abstenu de lui montrer ce que je fais »   .

Un groupe de jeunes artistes - une douzaine au total - dont Pierre Bonnard, Maurice Denis, Edouard Vuillard, Ker-Xavier Roussel et Paul-Elie Ranson, choisirent donc de se désigner par le terme de Nabis pour affirmer leur volonté commune de renouveler la peinture sous la houlette du Talisman de Paul Sérusier. Ces jeunes élèves formeront un groupe cohérent à Paris pendant une courte période, de 1888 à 1900. L'art doit porter l'avenir, et être en réactualisation permanente. Cette conviction portée par Paul Sérusier, il la répétera encore en 1915, accablé par la guerre en cours.

 

Géométrie des couleurs                      

Les travaux « théoriques » de Paul Sérusier, dont les peintures Cercle chromatique, les Dissonances chaudes/Dissonances froides et l'ouvrage ABC de la Peinture, montrent un souci de la mesure des couleurs. En 1898, dans une lettre à Jan Willibrord Verkade, il écrit : « Ces Egyptiens m'ont je crois bien, livré la clé des saintes Mesures et je ne travaille plus sans compas de proportions »   .

Ce goût pour la mesure se retrouve dans le travail de Paul Sérusier autour, par exemple, des arbres, ce qui influencera les peintres symbolistes, comme Fernand Khnopff   . Le contraste des couleurs fait surgir la forme, par la révélation des contrastes, et l'abandon de toute tentative de clair-obscur.

«Les peintres depuis la Renaissance ont travaillé à compliquer le métier» affirme Paul Sérusier   . Au contraire, il faut alléger. Épurer les formes en ne mélangeant pas les couleurs, jusqu'à un retour à  la géométrie. C'est ce que l'on trouve aussi dans ces jeux de lignes colorées, associant dans un souci d'harmonie horizontales et verticales. Les cercles chromatiques s’abreuvent non pas à une théorie de la lumière, mais à l’exercice quotidien de la peinture. La solution avancée aujourd’hui est caduque le lendemain. L'harmonie ainsi obtenue ne supprime pas les dissonances. Même les fausses notes sont possibles rajoutera au chapitre couleur de l'ABC, Paul Sérusier. Mais il faut s'en servir avec prudence. L'harmonie se définit ainsi comme tension. Et s'il faut alléger, c'est pour aller à l'essentiel. 
 

 

Le "Talisman" de Sérusier, une prophétie de la couleur

Du 29 janvier - 2 juin 2019 au Musée d'Orsay
galerie Lille (Caisse des dépôts)
Salle 10