Portraits de jeunes immigrés, tous juifs et militants communistes au sein de la MOI, qui ont choisi de résister aux Allemands durant la Seconde Guerre mondiale.

Ils étaient Juifs, résistants, communistes est la réédition du livre éponyme publié en 1986 par Annette Wieviorka. Dans cette édition revue et augmentée, l'historienne donne la parole aux témoins survivants du groupe de résistants FTP-MOI   qui a joué un rôle important, et pourtant largement méconnu, dans la résistance durant la Seconde Guerre mondiale.

Cette réédition permet notamment d'inclure les dernières recherches de l'historienne dans les archives de la Seconde Guerre mondiale qui sont, depuis 2017, librement accessibles au public, notamment tout ce qui concerne les affaires de police. Ces dernières sont une source inestimable pour faire l'histoire de la résistance car on y trouve les procès-verbaux de filatures, mais aussi des interrogatoires de suspects. Si Annette Wieviorka avait eu accès, dès les années 1980, aux témoignages des survivants, ainsi qu'à la presse clandestine de la résistance et aux archives privées des résistants de la FTP-MOI, l'accès aux documents de police permet de compléter certaines zones d'ombres de cette histoire. Annette Wiewiorka propose donc avec cette nouvelle édition une histoire plus globale de ce groupe qui s'est littéralement sacrifié pour son pays d'adoption, puisque la mortalité y a été sans conteste beaucoup plus élevée que dans les autres groupes de résistants.

Annette Wieviorka retrace l'engagement face aux Allemands de jeunes immigrés venus d'Europe de l'Est dans l'Entre-deux-guerres pour travailler en France et qui se retrouvent, comme tout le continent, pris dans la tourmente de la guerre face aux nazis. Ces jeunes gens, tous âgés de 14 à 30 ans, ont alors le point commun de faire partie de l'organisation syndicale communiste Main d’œuvre immigrée (MOI) qui devient pendant la guerre un groupe de résistance dépendant du PCF clandestin : les FTP-MOI.

 

Des immigrés engagés pour la France

Les FTP-MOI sont connus en France, dès la guerre, à cause de la propagande à leur encontre des Allemands et de Vichy, qui voient en eux non seulement un danger, mais aussi et surtout une illustration de leur politique raciale. En effet, étant donné que les FTP-MOI sont tous étrangers, communistes et pour une partie d'entre eux, des Juifs, ils regroupent donc tous les stéréotypes raciaux que rejettent les nazis. Dès lors, ils sont traqués et certains de leurs groupes démantelés, à l'image de celui dirigé par l'arménien Missak Manouchian. Ce groupe est ensuite « exposé » aux Français par l'Affiche rouge (titrée « Des libérateurs ? ») éditée par les occupants afin de présenter ces résistants comme des étrangers terroristes. Après-guerre, Manouchian devient, de façon posthume, une des grandes figures de la résistance communiste. Ses poèmes sont repris par Aragon et mis en musique par Léo Ferré. André Guédiguian a d'ailleurs réalisé un film en 2009 à leur propos intitulé L'armée du crime.

Mais, pour sa part, Annette Wieviorka s'intéresse uniquement aux Juifs membres de la MOI. La majorité d'entre eux vient de Pologne qu'ils ont fuie au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, alors que l'Europe de l'Est est à feu et à sang, ravagée par des guerres frontalières et souvent inter-ethniques qui marquent la naissance des nouveaux États, dont la Pologne. Dans cette nouvelle Pologne exsangue marquée par près d'une dizaine d'années de violence, les Juifs sont assimilés à des traîtres, en particulier lors de la guerre russo-polonaise entre 1919-1921. Dans les années qui suivent, une vague de juifs polonais décide de quitter l'Europe de l'Est pour se rendre vers les grands pays industrialisés de l'ouest, en particulier la France. Ils ne parlent pas français mais Yiddish et beaucoup, par idéologie, deviennent communistes. Ils sont donc affiliés dans les années 1930 à la sous-section du parti appelée MOI. Ce sont des militants et aussi bien des jeunes hommes que des jeunes femmes qui partagent tous les idéaux de changement de société portés alors par le parti communiste.

Parmi tous ces jeunes gens, le plus célèbre sera par la suite Henri Krasucki, secrétaire général de la CGT de 1982 à 1992. Durant la Seconde Guerre mondiale, il est membre de la section juive des FTP-MOI et mène de nombreux sabotages contre les intérêts allemands. Arrêté en 1943, il est déporté en Allemagne jusqu'aux derniers jours de la guerre. Beaucoup de ces jeunes Juifs engagés dans les FTP-MOI étaient originaires des quartiers populaires de Paris, comme Ménilmontant, ou de sa proche banlieue. Déjà traqués par les autorités en tant que Juifs, ils prirent souvent des risques insensés pour mener à bien les actions que demandait le parti communiste (et le Komintern) en qui ils vouaient une confiance aveugle. Des photos sélectionnées par Annette Wieviorka montrent à chaque fois la jeunesse, mais aussi la détermination de ces jeunes gens à se battre pour leurs idéaux, contre les nazis.

 

Une cible idéale pour les nazis et Vichy

Les FTP-MOI juifs, comme tous les réseaux de résistance, menaient différents types d'action, de la distribution de tracts anti-allemands à l'action armée, en passant par des sabotages. Comme l'indique Annette Wieviorka, si ces jeunes gens sont politisés et mobilisés très tôt, ce sont les différentes lois antisémites de Vichy, de plus en plus contraignantes pour les Juifs, qui les ont poussé à s'engager dans la résistance ; la Rafle du Vel'd'hiv à l'été 1942 n'ayant que renforcé leur sentiment anti-nazi. Il ne faut pas oublier non plus leur appartenance politique : le déclenchement de l'opération Barberousse par les nazis qui envahissent l'URSS en juin 1941 fait basculer beaucoup de communistes dans la lutte contre les nazis. Guidés par les ordres de Moscou, ils se lancent dans la résistance à leur tour. C'est cette double identité, juive et communiste, qui a poussé la plupart des jeunes juifs de la MOI à rejoindre les rangs de la FTP-MOI et à passer à l'action contre les intérêts des allemands, mais aussi des « collabos » de Vichy.

Les FTP-MOI agissent à Paris, mais aussi à Lyon, deux grandes villes industrielles où vivent, dès l'Entre-deux-guerres, de nombreux travailleurs immigrés. Dans la capitale des Gaules, leur action est si importante qu'Annette Wieviorka a intitulé un de ses chapitres « Lyon, capitale de la résistance communiste juive ». Ils œuvrent également à Grenoble. La majorité des actions des FTP-MOI ont lieu dans un cadre urbain. En effet, les membres de ces groupes vivaient avant-guerre en ville et sont tous des ouvriers : une activité dans les maquis n'était donc pas la plus appropriée et la plus discrète. Mais l'action urbaine est aussi la plus dangereuse car les résistants sont davantage en contact avec les Allemands et la police qui ne cesse de les traquer. C'est sans doute cela qui explique la forte mortalité dans les groupes de FTP-MOI, en n'oubliant pas le fait que ce sont des cibles prioritaires car honnies par les nazis à cause de leur double appartenance, juive et communiste.

En menant des actions particulièrement dangereuses, beaucoup de ces jeunes gens ont donné leur vie pour la France. Ils sont souvent décédés dans d'atroces souffrances, après avoir subi la torture, mais aussi la déportation. Annette Wieviorka fait revivre le destin de ces jeunes qui ont, pendant la Seconde Guerre mondiale, donné leur vie pour leur pays d'accueil qui était pour eux l'idéal de liberté. À l'heure où les derniers membres des FTP-MOI sont en train de disparaître, ce livre vient nous rappeler quelle a été leur implication dans la résistance française.