Une explication de la physique quantique et de ses répercussions sur certains concepts centraux de la philosophie, comme l’espace et le temps, toute en sérénité et loin de l’idée de mystère caché.

Ainsi sont les objets quantiques. Tout le monde en parle, mais en référant à des images spontanées (celles d’objets ponctuels, dont on peut relever à la fois la vitesse et la position). Beaucoup se passionnent pour eux, mais l’accès à leur connaissance est difficile. Quelques-uns cependant tentent d’éclaircir ces points pour le « grand public », et ce n’est pas inutile.

Sous cet angle de la vulgarisation, on pourrait commencer par dire qu’il en est de deux sortes. Les premiers sont ceux des scientifiques : photons, électrons, protons, neutrons, voire atomes ou molécules. Les seconds sont, pour nous et pour tous, plus quotidiens. Sans être littéralement des « objets quantiques », ils n’existeraient pas sans les premiers. Ce sont les appareils reliés par le Wifi à une imprimante, les Smartphones, les télécommandes, le « bip » de la voiture et autres micro-machines associées aux technologies héritières de la « mécanique quantique ». Ces derniers objets ne se contentent pas de nous entourer : ils nous servent et, parfois, nous enferment dans une infosphère dont nous avons du mal à concevoir la taille. Pourtant, elle englobe désormais la planète entière.

De là à parler des humains contemporains en termes d’« homo quanticus », il n’y a qu’un pas. Cet être particulier, tissé de technologies, récolte, analyse, écarte, hiérarchise et émet une centaine de messages du matin au soir. Ce qui, à l’échelle du monde et de sa population, donne quelques 300 milliards de messages qui circulent chaque jour.

C’est pour expliquer ce phénomène plus ou moins impensable que Sven Ortoli et Jean-Pierre Pharabod proposent de revenir sur les « nouveaux mystères » de la physique quantique. Leur livre est simultanément explicatif et prospectif. Rédigé de manière abordable pour le néophyte, il reformule de nombreuses interrogations et fournit les moyens d’entrer dans un monde mental (celui des chercheurs) et dans un monde technique (celui de ces machines) qui compose à la fois notre présent et sans aucun doute un certain futur.

 

Deux révolutions quantiques

Il est d’ailleurs important de saisir d’emblée l’existence de deux révolutions quantiques. La première, expliquent les auteurs, est celle de la fondation de la mécanique quantique. Par-là, il faut entendre la théorie qui permet de comprendre la matière dans sa forme minuscule, celle du monde microscopique (et plus petit encore). Ce monde ne fonctionne pas de la même manière que le monde de notre échelle quotidienne avec ses objets ponctuels (étudiés par la mécanique classique, celle que l’on connaît en principe sous le nom de Isaac Newton et alii).

En général – et pour nous en tenir à ce qui reste accessible à des non-physiciens –, on rend compte de ce monde minuscule à partir de 7 lois : la superposition (une particule peut occuper deux états simultanément), l’indéterminisme (le hasard quantique), la réduction des états quantiques (opérée par l’intervention de la mesure qui perturbe le système), la dualité onde-corpuscule, l’effet tunnel (qui explique la radioactivité, le passage des ondes au-delà des obstacles), la quantification des propriétés physiques (la particule ne peut prendre que telle valeur), le principe d’incertitude (vitesse et position ne sont pas liées).

Sven Ortoli et Jean-Pierre Pharabod expliquent fort bien ces connaissances acquises. Ils nous les font approcher alors que nous ne les appréhendons guère ainsi, puisque nous ne les rencontrons que sous la forme de la deuxième révolution quantique : celle de l’utilisation technologique directe des concepts les plus singuliers de la théorie, sous forme des réseaux sociaux par exemple (le monde n’est plus réductible à la sphère de nos perceptions tangibles).

Encore cela implique-t-il, très concrètement, une modification de la géométrie de nos activités. Ces dernières ne sont plus cantonnées à des espaces euclidiens, plans et conçus à partir de points de référence. Désormais la géométrie élaborée par les chercheurs, à l’échelle quantique, est celle que nous entendons lorsque nous parlons de réseaux (horizontaux et verticaux) et de nœuds, à partir desquels fonctionnent les objets « high tech », c’est-à-dire des objets qui étendent l’espace, tout en étant individualisés (les téléphones portables sont identiques, mais chacun a le sien).

 

Comprendre le monde

Au gré des énoncés des différentes théories physiques, et de la manière dont elles sont rapportées dans les médias, un doute est né dans de nombreux esprits. Et si, en vérité, nous ne savions rien ! La preuve ? Les savants ne sont pas d’accord ! Ce type de scepticisme est courant, lequel encourage à proférer des affirmations erronées tournant autour de l’impossibilité radicale de la connaissance, d’un statut dévalorisant des controverses et des erreurs, lesquelles ne sont jamais comprises comme des moments de la recherche, alors que les controverses sont parfois saisies comme des superpositions d’erreurs. De tels propos manifestent certes avant tout leur amateurisme, mais ils posent aussi la question de savoir comment les rectifier.

Ce qu’ils disent n’est finalement rien d’autre qu’une difficulté à appréhender des niveaux de compétences des théories, des voies multiples pour aborder un phénomène, des ruptures dans les recherches qui ne relèvent pas d’un « on ne saura jamais rien », mais d’un « poursuivons la recherche ». L’opinion croit toujours que le chercheur « sait », alors qu’il est justement de l’essence de la recherche de ne pas savoir. Si on sait, il n’y a plus à chercher.

Sven Ortoli et Jean-Pierre Pharabod circulent avec aisance au cœur de ces difficultés épistémologiques. Ils décrivent des modèles théoriques et notent les compétences de ces modèles, comme ils annotent les représentations que beaucoup se font de tel ou tel phénomène, ou se méfient de la fascination qu’exerce sur nous le vocabulaire quantique. Quel que soit le cas, il convient, dans la recherche, de travailler à définir et mesurer des phénomènes, seule procédure susceptible de conduire à une compréhension du monde.

Mais si on suit de près les explications données de l’expérience de Young, de la figure du chat de Schrödinger, ou encore de la notion de multivers (un univers constamment en train de se scinder en un grand nombre de branches résultant de différentes mesures), alors la compréhension des descriptions du monde physique s’opère et donne lieu à une approche positive de ce qu’on peut appeler l’ordinateur quantique, c’est-à-dire une machine qui utilise des algorithmes manipulant l’information via des systèmes en état de superposition quantique, et non plus des bits d’information classique. Les auteurs nous entraînent d’ailleurs à saisir ce qu’est un ordinateur quantique et sa puissance phénoménale.

 

Métaphysique ?

Tout cela ne va évidemment pas sans débats ; et il faut rendre leurs vertus aux débats ! Ils sont de deux sortes. Certains d’entre eux sont intrinsèques aux recherches – et en eux, la philosophie dresse parfois des obstacles, sur lesquels les auteurs mettent le doigt. Mais il existe aussi des débats externes à la recherche, qui concernent la compréhension publique de ces connaissances.

Dans les deux cas, cependant, la philosophie pointe son nez. Il est donc question d’interrogation sur les expérimentations scientifiques, sur la description des phénomènes engendrés par les recherches, sur la notion d’état utilisée pour parler des superpositions, sur l’existence ou non d’un principe d’unicité concernant le réel : est-il un ou multiple ? C’est sur ce motif que les auteurs nous reconduisent d’abord à Immanuel Kant (qui, suivant Newton de près, fait de l’espace et du temps des formes a priori de la sensibilité, ou en d’autres termes, des absolus), avant de nous montrer comment on peut remettre ces absolus en discussion.