Dans ce récit mordant, subjectif à souhait, Davy Mourier nous raconte l’expérience d’un voyage au bout d’un enfer paradisiaque… selon lui.

L’auteur Davy Mourier est connu du grand public sous différentes casquettes : scénariste, réalisateur et acteur de séries, d’émissions à sketchs (Le Golden Show), collaborateur sur la chaîne Nolife   , et, bien entendu, en tant qu’auteur de bandes dessinées (La petite mort, Delcourt ; Karaté Boy, 41 € pour une poignée de psychotropes, 50 francs pour tout, et Relation Cheap, Ankama Éditions). Cette dernière facette est celle qui nous intéresse avec la parution en juin 2018 de son dernier livre, Davy Mourier VS Cuba, publié dans la collection Shampooing dirigée par Lewis Trondheim chez Delcourt. Ce livre de 190 pages, en noir et blanc au format type manga ou poche, inaugure la nouvelle série « Davy Mourier VS » dans laquelle l’auteur raconte différentes anecdotes de sa vie dont le second tome sera Davy Mourier VS la télé.

Ce premier tome narre les aventures d’un quatuor fantastique parti vivre un séjour exotique sur la plus grande des îles caribéennes : Cuba. La mère de Davy Mourier, face à ses soucis de santé, prend la grande décision de voyager chaque année et se retrouve à l’origine de ce séjour qu’elle idéalise et souhaite vivre pour ses soixante ans. Son fils, qui n’aime pourtant pas spécialement sillonner le monde, se voit embarqué dans cette expédition puisqu’il accompagne sa maman dans toutes ses aventures face à la réaction épidermique de son père, qui ne souhaite pas s’éloigner de l’Ardèche. Le duo principal est complété par le fidèle ami, Rémy, et la cousine Johanna. Le choix de la destination contrarie le personnage principal, et ses croyances politiques, mais il fait contre mauvaise fortune, bon cœur. Le voyage se déroule tant bien que mal au départ jusqu’à l’arrivée annoncée de l’ouragan Irma qui augmente considérablement les mésaventures et accentue les terreurs vécues par Davy Mourier.

L’album est découpé en onze chapitres, qui constituent toutefois six parties distinctes. Les 23 premières pages énoncent la situation initiale et les préparatifs du voyage. L’auteur s’attache à la présentation des personnages, principalement sa mère, et énonce ses a priori sur la destination choisie. La seconde partie constitue un regard critique sur la situation sociopolitique cubaine (3, 5, 6 et 7/09/2017) où se manifestent très clairement les opinions de Davy Mourier énoncées comme des vérités qui mériteraient toutefois d’être nuancées. La troisième, quant à elle, est consacrée à l’Ouragan Irma (9 et 10/09/2017) et ouvre le segment narratif qui nous semble être le plus intéressant. L’expérience révèle les failles et les contradictions du personnage qui apparaît alors plus attachant. Ensuite, viennent le départ espéré (11/09/2017) et les péripéties inattendues, correspondant aux 12 et 13/09/2017, qui accentuent les névroses et fêlures perçues tout au long de l’ouvrage. Enfin, l’album s’achève sur quatre pages d’épilogue qui reflètent l’humour potache de l’auteur.

Le point de vue sur Cuba que nous offre l’auteur est profondément marqué, très tranché et parfois stéréotypé. Il reflète les a priori que peuvent avoir un certain nombre de lecteurs sur l’île, mais il souffre parfois d’imprécisions ou de simplifications sur la problématique de l’île et gageons qu’il risque de susciter des désaccords chez plusieurs lecteurs. Néanmoins, le parti pris repose sur une expérience personnelle, sur un certain nombre d’idées préconçues, et, comme l’indique l’auteur dans son bref rappel de l’histoire cubaine, Davy Mourier n’est pas historien et il n’a pas la prétention de l’être. L’un des intérêts de l’ouvrage est justement de ne pas être qu’une chronique sur Cuba, mais davantage un regard sur l’expérience du voyage en elle-même, d’une introspection sur le comportement du touriste occidental et de ses névroses, dont Davy Mourier est l’incarnation. L’humour décalé et l’autodérision sont les marques de fabrique de l’auteur qui fait preuve du même mordant que ce soit pour parler de Cuba ou de ses propres comportements.

 

Un album protéiforme

L’insertion de photographies assume une valeur testimoniale tout en renforçant le caractère vraisemblable du récit. Cette coloration factuelle accentue l’adhésion et l’identification du lecteur qui suit les péripéties de ces quatre fantastiques comme s’il était avec eux sur l’île. Le caractère testimonial, le découpage journalier et l’insertion de photographies font de cet album un ouvrage protéiforme qui se situe entre le carnet de voyage, l’autobiographie et la bande dessinée documentaire.

D’un point de vue graphique, l’album présente un certain intérêt et illustre la richesse de la grammaire de la bande dessinée. Le style de Davy Mourier se caractérise par un dessin plutôt sobre, épuré, qui le rapproche de la caricature. L’évolution des expressions des personnages lorsqu’ils sont confrontés à des situations ou des émotions désagréables font écho aux caractéristiques du manga et se chargent d’une grande expressivité qui permet une économie textuelle.

Enfin, nous pouvons signaler le travail sur le découpage et la mise en page qui démontrent le rôle de la planche dans la narration même si le dessin est la plupart du temps minimaliste dans la mesure où un grand nombre de cases ne bénéficient d’aucun décor. La bande dessinée de Davy Mourier se caractérise par une absence de case, mais il équilibre sa page au moyen des bulles qui sont principalement grises. Les niveaux de gris, les jeux entre le noir et le blanc comblent l’absence de cadres et permettent de conserver une lisibilité dans la progression de la lecture.

 

Ce petit album apporte de la fraîcheur, une touche de mauvaise foi, de parti pris et d’autodérision qui font le plus grand bien et constitue dans le même temps un joli illustré des spécificités du Neuvième art