Regard de Hocine Chabira sur la deuxième édition d'Écoles de Passages, dont il est le directeur. Il montre combien l'événement recèle de potentialités, et comment il compte le faire évoluer.

Écoles de Passages est un festival international de la jeune création, qui se tient à Metz, et relie d'abord les mondes du théâtre, de la marionnette et du cirque, profitant de la présence dans la région Grand Est de trois écoles supérieures nationales prestigieuses   . Il intègre à ce réseau le conservatoire régional du Grand Nancy et celui de Metz Métropole.

Il accueille également trois écoles étrangères : cette année des écoles du Burkina Faso   , de Tunis   et d'Ekaterinbourg   .

L'événement tient, en particulier, à la qualité des rencontres entre les artistes de différents parcours et nationalités, comme avec le public. Les organisateurs veillent à agencer et à dynamiser ces échanges sur la base d'un accueil simple et chaleureux, et de masterclass dirigées par les étudiants eux-mêmes.

 

Nonfiction : Hocine Chabira, le succès de cette seconde édition d'Écoles de Passages est au rendez-vous, semble-t-il ? 

Hocine Chabira : C'est vrai. On a très vite senti qu'il s'est passé quelque chose entre la première et la deuxième édition, que le bouche à oreille a fonctionné. En 2016, on avait rempli à 70 %. Cette fois-ci, nous sommes complets depuis le début du festival et nous gérons des listes d'attente.

Au départ, la création des Écoles pouvait inquiéter : était-ce un « sous »-festival international ?   Les spectacles d'élèves seraient-ils moins bons ? La première édition a rassuré, le public a senti qu'il y avait une exigence et qu'il n'y avait pas d'inquiétude à avoir sur la qualité des spectacles proposés, au contraire. 

 

 

L'événement a-t-il ménagé cette ouverture à l'autre que vous cherchez à promouvoir ? 

Le festival favorise deux types de rencontres, aussi importantes les unes que les autres : celles des artistes avec le public et celles de tous ces artistes de différents horizons entre eux. La réception du public a été très positive. Quant aux artistes, ils ont montré une capacité à apprendre les uns des autres qui est magnifique. D'une manière générale, nous cherchons à ce que chacun comprenne combien les perceptions sont différentes d'une école à l'autre.

 

Comment vous y prenez-vous pour que les artistes rencontrent le public ? 

Le public assiste bien sûr à la représentation. Ensuite, nous lui proposons quelque chose d'assez classique : rester dans la salle pour participer à ce qu'on appelle un « bord de plateau », c'est-à-dire un débat entre le metteur en scène, les comédiens et lui.

Alors surgissent des choses inattendues, par exemple à propos du spectacle burkinabé   . Le public interroge les artistes sur le thème de leur pièce, mais on s'aperçoit vite que les termes mêmes nous séparent. Réfugiés, migrants, exilés sont des mots qui ne parlent pas aux Burkinabés. On leur demande alors comment ils nomment ces personnes qui quittent leur pays pour tenter de rejoindre l'Europe clandestinement. Réponse : « les aventuriers ». Ces gens partent à l'aventure. C'est tout autre chose.

Par ailleurs, on perçoit aussi ça et là des réactions heureusement rares mais caricaturales, qui montrent combien nous avons encore du chemin à faire dans la découverte, le respect et la compréhension de l'autre. En témoigne cette personne qui s'écrie naïvement qu'il faut expliquer à ces gens que la vie n'est pas rose en France, « comme ça ils ne viendront pas ».

La tâche de conduire le public vers cette ouverture d'esprit, au fond, n'est pas petite. Elle n'est pas un vain mot, et elle est à peine engagée. À cet égard, on n'imagine guère la pauvreté de certaines idées reçues, comme celle qui ferait croire que la Tunisie soit si mal en point qu'elle ne connaisse pas l'usage des vidéo-projecteurs…

Pour autant, c'est l'admiration et la curiosité qui se dégagent massivement des questions du public. On demande aux mêmes Burkinabés leur parcours, comment ils ont rencontré leur école, s'ils jouent toujours en français, ce qui conduit les comédiens à expliquer quelles langues sont parlées dans leur pays. Quelque chose de chez eux, de leur vie et de leur histoire personnelle s'esquisse.

 

Stéphane Balouri et Adèle Badolo (Ecole Jean-Pierre Guingané) dans Destination Boribana, mise en scène de Souleymane Sow

 

Vous avez expérimenté aussi un autre genre de débat, plus didactique…

Oui, plutôt que de procéder par questions/réponses, on propose au public de s'exprimer suivant un protocole précis, dans l'espoir d'amener plus de gens à prendre la parole. La technique, toute simple, consiste à indiquer au public le début d'une phrase, par exemple : « Pour moi, ce qui a marché dans ce spectacle, c'est… » Puis chacun peut s'exprimer sur ce qu'il aurait aimé voir aller plus loin, sur ce qui lui a manqué et peut pour finir poser des questions directes à tel ou tel artiste. En retour, les artistes sont invités à poser des questions au public.

L'avantage de ce procédé qui peut paraître scolaire, c'est de mettre le public au centre. On s'aperçoit qu'il joue le jeu et qu'une discussion moins formelle s'élabore. En revanche, ce n'est pas toujours évident, pour un artiste dont l'ego est parfois un peu démesuré, de ne plus être à cette place centrale et d'écouter – de passer moins de temps à parler que les gens du public.

 

Comment les différentes troupes ont-elles pris l'exercice ?

Aucun problème avec les Tunisiens   , qui étaient ravis. Les élèves du conservatoire régional   , qui sont dans une classe préparatoire, vont présenter les concours et sont les plus jeunes, étaient en attente d'un retour public : ils ont beaucoup apprécié. Quant aux jeunes gens issus de l'école du TNS   , ils ont refusé l'exercice : ils l'ont jugé trop scolaire, trop cadré, préférant un dialogue plus simple, plus naturel, plus évident avec le public. L'école de marionnette   , qui doutait un peu du bien-fondé de l'expérience, l'a acceptée pour nous faire plaisir et au final en a été très satisfaite.

 

Le théâtre Kolyada   semble très directif avec le public, comme le montre la façon étonnante de faire le salut à la fin du spectacle.

En effet, on impose au spectateur d'applaudir et on le lui impose dans un rythme commun, soutenu par la musique. On ne prend pas le risque d'un silence entre la fin de la pièce et les applaudissements. Le prologue du spectacle est remarquable aussi : un discours très énergique et très autoritaire, même s'il est joué dans le registre du grotesque. C'est un spectacle comique, mais il reste qu'entre le prologue et les applaudissements encadrés, le message du début c'est : « tu dois rire » et celui de la fin : « tu dois applaudir ». C'est assez particulier, cela renvoie, à la limite, aux séances convenues du soviet suprême et aux grosses machines de music-hall à l'américaine. C'est là encore un trait culturel qui nous frappe mais que nous n'avons pas à juger. 

 

Aymen Mejri, qui met en scène Les Enfants perdus (Ecole de l'acteur de Tunis)

 

De ces rencontres d'après spectacle, qu'est-il ressorti sur l'art théâtral, tel qu'il est vécu par chaque troupe ?

Un premier contraste : l'engagement politique des Tunisiens, la discrétion des Burkinabés et le silence des Russes à cet égard. 

Ainsi, on demande à Souleymane Sow, le metteur en scène ivoirien de Destination Boribana, pourquoi il ne traite pas d'un pays particulier et pourquoi il a contenu sa thématique dans les limites strictes de la poésie, au risque de rendre son dénouement allusif. Il répond qu'il n'a pas voulu entrer plus avant dans un traitement politique de son sujet. Mais pour quelle raison ? Car de fait, Boribana, qui signifie : « C'est assez, finissons-en », reste en l'air comme une incantation, voire un vœu pieux.

Dans la discussion, c'est le directeur de l'école burkinabée, Claude Guingané, qui fournit la clef politique du spectacle, mais c'est dans le hors-champ de la production théâtrale : les Européens achètent l'uranium du Niger, mais ne le paient pas à son juste prix. Comme quoi il est à craindre que les artistes ne se soient montrés trop gentils avec nous. 

 

L'École de l'acteur, de Tunis, donnait Les Enfants perdus, dans une mise en scène d'Aymen Mejri, en revanche, délibérément politique ?

Leur spectacle a beaucoup impressionné. Écriture collective, implication physique spectaculaire, des acteurs extraordinaires. Aymen Mejri a 29 ans, il sort à peine de l'école, c'est sa première mise en scène et il faudra le suivre. Il a un regard précis. Bien sûr, la construction narrative reste encore très proche de celle du maître, Fadhel Jaïbi, et au fond c'est naturel, puisque ce dernier « fait école ». Toutes les thématiques sont identiques aux siennes : la folie, une société en perdition, la perte complète de repères, une rage de se battre malgré tout, mais sans vraiment d'espoir.

Cette absence d'espoir est très éprouvante. Et pourtant, ces artistes sont plein d'entrain, plein de vie, très engagés politiquement. Leurs discussions sont très intéressantes. C'est une équipe qui ne rencontre aucune difficulté à parler de ce qui se passe en Tunisie, qui est au courant de tout. Ils ont envie de marquer leur temps et leur histoire par leur engagement. Et toutes les thématiques les intéressent. 

 

Quant à l'École russe, elle s'est donc montrée apolitique ?

C'est un élève du conservatoire régional qui a demandé hier soir aux Russes quelle est la portée politique de leur spectacle et quel est le rapport entre ce qu'on a vu et la société. Anton Boutakov, le tout jeune metteur en scène, a répondu que son spectacle ne cherche pas à dire quoi que ce soit sur la société : « Je ne fais pas de politique. » Alors le public essaie de parler de Poutine et de la vision qu'on en a, ici, comme d'un dictateur, ce qui choque les artistes. Il faut se rendre à l'évidence que cette équipe n'a pas de conscience politique et qu'elle ne mesure pas la portée du regard que peut avoir le public sur son spectacle. Sa seule motivation théâtrale est celle du divertissement. 

On demande alors à Anton Boutakov pourquoi il a monté ce texte-là, qui comprend une dimension sociale et politique, puisqu'il parle d'homosexualité et dépeint un état totalitaire. Il nous répond que ce texte a été écrit par une ancienne élève de l'école et qu'il n'a jamais été monté (et pour cause, est-on tenté d'ajouter) : c'est son unique raison. En réalité, le texte n'est qu'un prétexte. Il s'agit avant tout de mettre en œuvre un mode de travail et un mode de mise en scène identiques à ceux du maître, Nikolaï Kolyada. On crée des images avec plusieurs personnes, on insère de la chorégraphie, on monte une mise en scène visuelle, on n'a pas peur du kitsch, on n'a pas peur du mélange des genres et on ne change pas les codes. Là encore, le maître fait école.

 

Galateïa Sobanika, d'Irina Vasskovskaïa, par les élèves de l'Ecole Kolyada, dans une mise en scène d'Anton Boutakov

 

Le public français est habitué à réfléchir, y compris dans les spectacles comiques, au grand étonnement de ces artistes russes. « Mais pourquoi ces questions ? », sont-ils venus me dire. « Qu'ils prennent plaisir et qu'ils s'amusent des scènes représentées, mais qu'ils n'y voient pas un engagement quelconque ni un regard sur la société. » Quand on interroge le metteur en scène sur le choix de ses musiques, on rencontre le même malaise et la même demande : « Qu'est-ce que vous cherchez à comprendre ? Que voulez-vous me faire dire ? » En revanche, la question qu'il nous pose de son côté est : « Avez-vous aimé ? ». 

Le théâtre Kolyada est une compagnie indépendante, mais il n'y a pas pour autant chez eux de liberté de ton. Les textes qui sont montés peuvent être politiques et très intéressants, mais on ne va jamais critiquer le régime, ni la société russe. Au contraire, on la glorifie. On la montre dans tout ce qu'elle a de meilleur, à travers sa culture, sa tradition. Les spectacles que j'ai vus à Ekaterinburg sont de cet ordre-là. Ce sont souvent les rapports humains qui sont sur la sellette. C'est là que ces artistes sont le plus critiques, dans les rapports entre hommes et femmes, les questions d'amour.

On peut s'étonner du contraste entre ce théâtre et celui du Centre Gogol de Moscou, et la personnalité de son directeur Kirill Sérébrennikov, qui est venu souvent en Occident, dont le dernier film était projeté au festival de Cannes, dont le théâtre est joué au festival d'Avignon et qui se trouve actuellement assigné à résidence dans son propre pays.

 

Quel contraste avec Le Cercle de craie caucasien, donné le même soir par Bérengère Vantusso avec les élèves de l'école de marionnette...

Grand écart, en effet, dans la même soirée, entre une équipe qu'on pourrait regarder comme conditionnée, sans conscience politique, qui assume le caractère divertissant et entraînant d'un théâtre de premier degré, et les élèves de Charleville-Mézières, dans une pièce de Brecht où tout est politique, avec une distanciation qui fonctionne à merveille grâce à cette idée géniale de jouer la pièce avec des marionnettes. 

Or, encore une fois, l'objet du festival n'est pas d'organiser des rencontres internationales pour stigmatiser ou juger. Il s'agit de découvrir et de comprendre ces différences, de les éprouver sans avoir peur de l'altérité, pour apprendre à prévenir toutes les tensions qui pourraient en résulter.

 

Dans quels autres registres avez-vous remarqué des différences notables entre les compagnies ?

Les trois troupes étrangères sont très engagées physiquement et par contraste on voit combien, dans une compagnie française ou européenne, on est attentif à une économie du geste, une mesure du mouvement corporel, au profit de la diction et de l'interprétation du texte. Les comédiens étrangers mettent l'accent sur leur présence physique au plateau, et ils sont impressionnants. Si on reprend l'exemple des Russes, qui, dans la vie de tous les jours, sont conformes à certains clichés – une sorte de froideur, des attitudes peu expressives –, je ne les reconnais plus lorsqu'ils montent sur le plateau. Ils se livrent à une véritable incarnation des personnages, un travail physique remarquable, qui leur vient tout droit de Meyerhold et de sa biomécanique, dont on a pu parler avec eux. Les Tunisiens et les Burkinabés travaillent aussi beaucoup le corps. Tous sont d'ailleurs surpris de voir que les corps n'existent pas pour le théâtre d'ici, qui est propre, précis, cérébral.

Certes, chez Vincent Macaigne, Thomas Ostermeier ou d'autres, les corps sont importants. Mais du côté de l'enseignement, en tous cas dans les conservatoires, on donne une place primordiale au texte. En France, il n'y a que l'école Jacques Lecoq qui travaille sur le corps et sur le physique.

 

Le Cercle de craie caucasien, par les élèves de Charleville-Mézières, mise en scène de Bérangère Vantusso

 

N'y a-t-il pas aussi une grande diversité dans les moyens matériels dont disposent les compagnies et dans leurs conditions de travail ?

Si, tout à fait. Le théâtre Kolyada, à Ekaterinburg, est un théâtre permanent, qui donne deux pièces, voire trois pièces par jour ! Ils ont fait 75 représentations sur les trente jours du mois d'avril dernier. Et la salle ne désemplit pas. Ils ont un répertoire d'une vingtaine de pièces. Les comédiens sont capables de passer d'un spectacle à un autre. Ils vont aussi bien jouer du Gogol que du théâtre contemporain russe ou du Koltès, le même soir. C'est du théâtre spectaculaire, avec 25 comédiens sur scène, même s'il n'y a que trois personnages. La troupe est permanente, elle compte 50 personnes. L'école forme les comédiens pour la troupe. Chaque spectacle est donné pendant plusieurs années. Et ils tournent. Actuellement il y a trois équipes : une équipe mixte d'élèves et de jeunes comédiens qui ont intégré la troupe Kolyada depuis un an, qui est ici à Metz, une autre équipe qui est en tournée dans une autre ville de Russie, et la troisième qui joue à Ekaterinburg, le soir, dans le théâtre. 

Ces artistes ont le sens de la gestion de leur temps et de leur fatigue, qui leur vient de la nécessité de jouer tous les jours. Ils sont formés aussi à une hygiène de vie dont ils ont pris l'habitude. Par exemple, hier soir, comme ils savaient qu'ils avaient une masterclass à diriger le lendemain, ils sont tous allés dormir une fois le spectacle terminé. Il y a un concert chaque soir et sur le moment j'ai trouvé dommage qu'ils ne participent pas à la fête, mais ce matin ils étaient tous à l'heure pour l'atelier.

Une troupe française n'accepterait pas de jouer tous les jours deux spectacles différents (en mettant à part les conditions très spéciales du festival off d'Avignon). Les comédiens ont besoin de faire des pauses, ils ne passent pas aisément d'un rôle à un autre. Ils ne joueront pas deux pièces différentes le même soir, sur la base d'un répertoire étendu. La raison en est que nous avons plus de moyens, un système de subventions et une organisation sociale différente, avec l'intermittence.

Les Burkinabés n'ont aucun souci non plus à jouer la veille, faire une masterclass le lendemain, réinstaller l'après-midi, rejouer le lendemain. Ils n'ont pas de souci de fatigue. L'artiste formé en France est moins résistant. La masterclass du lendemain matin est difficile parce qu'il faut qu'il joue le soir, parce qu'il a besoin de se concentrer, de revoir son texte, d'être sur le plateau. Se mettre dans une dynamique de masterclass entre deux représentations, c'est rude. L'artiste français, comparativement, est habitué à une espèce de confort. Les artistes étrangers, de manière générale, sont plus dans l'action, dans l'immédiateté, dans l'adaptabilité permanente, parce qu'ils sont aussi plus habitués à tourner à l'international, donc plus en confiance avec des configurations de salles moins équipées. Nous travaillons, en France, dans des théâtres qui sont équipés. On fait un plan de feux avec soixante projecteurs et après on assume les nécessités d'une production complexe. Quand on reçoit une fiche technique venant du Burkina Faso, on nous dit : montage une heure, démontage trente minutes. Quand on reçoit une fiche technique d'une compagnie française, on nous dit : montage un jour et demi, démontage un jour.

 

Nous avons beaucoup parlé de la découverte des jeunes comédiens par le public, et inversement. Il est temps d'en venir aux rencontres des artistes entre eux. Comment les avez-vous favorisées ?

Ces rencontres sont très importantes. Leur but est de permettre de confronter concrètement les pratiques culturelles et les perceptions diverses de l'art théâtral. Par rapport à la première édition, on a imposé un peu plus ces moments-là, sous la forme de masterclass prises en charge par les élèves eux-mêmes, qu'on a nommées « cartes blanches ».

Chaque masterclass est ouverte à tous les comédiens participants, qu'ils soient étudiants ou sortant d'études. Chaque matin, une troupe différente dirige la masterclass du jour. Aucun metteur en scène, aucun professionnel n'intervient. L'avantage est de les laisser se retrouver entre eux. C'est aussi leur donner l'occasion de transmettre par eux-mêmes ce qu'ils ont appris, avec leurs mots et leurs façons de s'être approprié une pédagogie.

La consigne est qu'il faut que les exercices qu'ils proposent (leur training) soient en rapport avec la pièce qu'ils ont jouée, son champ esthétique, les modes de travail qui leur ont permis d'arriver au spectacle qu'ils ont créé. Les artistes doivent pouvoir faire un lien entre ce qu'ils ont pratiqué à la masterclass et l'œuvre qu'ils ont vue.

L'autre consigne est de concevoir l'exercice sur le mode de la rencontre, sachant qu'il y a des personnes qui ne parlent pas français – cette année les Russes – et que, même si on dispose de traducteurs, une rencontre directe doit pouvoir s'établir sur le terrain de la pratique. 

 

Les Enfants perdus, Ecole de l'acteur de Tunis, mise en scène Aymen Mejri

 

Y a-t-il eu des rencontres remarquables ?

Oui, par exemple, les élèves du conservatoire ont découvert Augusto Boal auprès des Burkinabés, et le théâtre forum, le théâtre de l'opprimé, que ces derniers appellent « l'art social ». Ces élèves, qui n'ont pas encore intégré d'École supérieure, connaissent encore peu les différentes écoles de théâtre comme celles de Stanislavski ou Meyerhold.

Pendant cette masterclass, ces élèves ont donc fait des improvisations sur des préoccupations africaines : pourquoi ne pas boire l'eau des rivières et se soucier de l'eau potable, de l'entretien des puits ? Comment créer une scène pour en parler ? Comment théâtraliser la question de la scolarisation et dire sur un plateau pourquoi c'est important qu'une jeune fille aille à l'école au-delà de 12 ans ? C'est pour ces élèves une découverte qui les a conduits à projeter d'aller au Burkina Faso l'année prochaine. Nous leur avons clairement promis notre soutien, dès lors qu'ils nous apporteront un projet en ce sens. 

Ils ont moins de trente ans, ils sortent du conservatoire pour la plupart sans intégrer d’École nationale, dans lesquelles on compte 7 à 800 candidatures pour des promotions de 12 élèves. Ils continuent de faire du spectacle. La rencontre se fait aussi sur ce plan professionnel. Quand on est artiste et qu'on s'engage dans ces métiers-là, on ne le fait pas de la même manière, ni avec les mêmes enjeux au Burkina, en Tunisie ou en Russie que lorsqu'on est en France.

Par ailleurs, la masterclass des Tunisiens était magnifique. Cette fois, comme certains metteurs en scène français interviennent dans l'École de l'acteur, les élèves ont reconnu qu'ils avaient des formations communes. Mais les exercices qu'ils ont faits n'ont pas le même nom et ils ne sont pas faits au même rythme, ni avec les mêmes intentions. On sent, là encore, d'un côté une tendance un peu plus cérébrale, de l'autre un engagement physique plus intense.

Quant aux Russes et aux Burkinabés, ils ont découvert la marionnette auprès des élèves de Charleville-Mézières. Ils pensaient avoir affaire à des marionnettes à fil ou à des marionnettes à gaines et ils ont découvert des marionnettes faites de peluches et d'animaux empaillés, manipulées par plusieurs personnes, sans fil ni gaine, inspirées du bunraku, au milieu d'une scénographie très élaborée, à base de caisses en carton.

À ce propos, nous n'avons pas parlé des tables rondes professionnelles, un autre type de rencontre encore. La directrice des études de l'école de marionnette a pu y rencontrer Claude Guingané. Il y a une tradition marionnettique au Burkina Faso. Elle va s'y rendre pour y faire la promotion de son école et faire en sorte que des étudiants africains viennent à Charleville.

 

Comment comptez-vous développer cet aspect très intéressant du festival qu'est la rencontre entre les jeunes artistes de pays et traditions différents ?

Nous réfléchissons à plusieurs idées, notamment celle de lancer un appel international auprès de jeunes comédiens de moins de 25 ans afin d'en accueillir un groupe, spécifiquement, sans présentation de spectacle, en plus des autres écoles. Ils pourront voir les représentations, mais il sera surtout donné à ce groupe-là, constitué de différentes nationalités, de prendre le temps d'aller plus loin en travaillant ensemble. 

Cette idée nous vient des retours que nous font les élèves au sujet des masterclass : ces trois heures de « carte blanche » sont formidables, mais aussi un peu frustrantes, car vite terminées. Ils aimeraient plus de temps de rencontre. 

Reste à déterminer comment nous animerons ce groupe, sachant que l'autre désir de ces élèves est de prendre en charge eux-mêmes ces activités.

 

Avez-vous un vœu particulier à formuler pour l'avenir de ce festival des Écoles ?

Mon vœu le plus cher serait que de jeunes artistes de nationalités différentes se rencontrent au festival des Écoles, qu'ils constituent une équipe solide, et que quelques années plus tard ils participent au festival international. Notre but est de créer des histoires internationales.

 

Liens utiles : Festival Passages (Metz) , Ecole supérieure de théâtre Jean-Pierre Guingané (Ouagadougou, Burkina Faso), École de l'acteur de Tunis, École de dramaturgie contemporaine du théâtre Kolyada d'Ekaterinbourg (Russie, Oural), École du TNS (Strasbourg), ESN des Arts de la Marionnette (Charleville-Mézières), CN des Arts du Cirque (Châlons en Champagne), Ecole Jacques Lecoq (Paris).

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