Deux récents livres reviennent sur l’engouement français pour le maoïsme autour de Mai 68 et sur les critiques et luttes de pouvoir qu’il a engendrées.

Les années rouges des décennies 1960 – 1970 sont considérées, à tort ou à raison, comme celles de l’épanouissement de la « maolatrie » dans la société française. Le maoïsme à la française est perçu comme une poursuite et une adaptation de l’utopie communiste après l’étiolement du mythe soviétique. Ces années rouges sont aujourd’hui l’objet d’études nouvelles permettant d’approfondir la compréhension et la perception du phénomène maoïste.

François Hourmant propose, dans Les années Mao en France, une synthèse sur l’apparition et les développements des mouvements prochinois en France. Dans le même temps les actes d’un colloque sur la Révolution culturelle en Chine et ses échos en France (La révolution culturelle en Chine et en France) sont publiés. Les deux livres se répondent et se prolongent et permettent d’approfondir la connaissance du phénomène.

 

Le maoïsme : une passion française ?

Le maoïsme est apparu en France après le schisme sino-soviétique de 1964. Très vite, essentiellement chez les étudiants, qui pour la majeure partie d’entre sont déjà socialisés politiquement par le PCF   , se développe une attirance pour la Chine rouge. La révolution culturelle fascine. Le colloque permet de voir, en contre-point, ce que pouvaient voir les voyageurs occidentaux s’ils ouvraient les yeux.

Un certain nombre de communications sont à lire entre les lignes, leurs auteurs étant membres de la commission d’histoire du Parti communiste chinois [PCC]. Ils expliquent de manière plus ou moins explicite que les gardes rouges sont formés en 1966 par Mao pour asseoir à nouveau son pouvoir déstabilisé par le tragique « Grand bond en avant », puis par la campagne des « Cents fleurs ». Ainsi, Mao arrive à mettre un place un corps de jeunes militants prêts à servir son pouvoir.

Ce colloque permet de confronter les points de vue, l’analyse actuelle proposée par les historiens du PCC étant un moyen, comme le montre Jisheng Yang, de disculper les hauts fonctionnaires et, par-delà, de justifier et de préserver les possédants du régime chinois actuel. Parallèlement, Shu He et DI Wu insistent sur la difficulté d’écrire l’histoire de la Chine rouge, tant les pressions du PCC sont encore fortes, seuls les chercheurs et les revues indépendantes arrivent à proposer des analyses originales remettant en cause les présupposés officiels. En creux, ces difficultés, toujours actuelles, illustrent le décalage entre les récits apologétiques des pro-chinois à Paris et la réalité de ce qu’était la Chine maoïste des années 1960 et 1970. Les voyageurs et les récits de voyages rappellent le degré d’aveuglement des voyages en URSS.

Les analyses proposées par Olivier Dard et Gilles Richard sur la perception ambiguë que les courants de droites peuvent avoir de la Chine sont également révélateurs de cette cécité. François Hourmant évoque également les traces matérielles du maoïsme. Le côté iconique de Mao est comparable à à la figure christique guévariste. Les éléments du culte rendu à Mao vont de la veste éponyme au portrait de Mao par Andy Warhol, en passant, bien sûr, par la glorification via le « petit livre rouge ».

 

Critiques et luttes de pouvoir

Hourmant souligne que le courant maoïste s’appuie aussi sur des solides réseaux éditoriaux et intellectuels dont témoigne, par exemple, la publication de l’ancienne communiste italienne devenue prochinoise Maria Antoniettea Macciocchi. Son livre est soutenu dans le monde de l’édition par Philippe Sollers et ses compagnons de Tel quel, épaulés par le quotidien Le Monde et une partie de la rédaction du Nouvel Observateur. Ces réseaux mettent tout en œuvre pour par la suite empêcher les analyses négatives de des livres de Simon Leys, tels que Les habits neufs du Président Mao.

L’ouvrage collectif souligne les ambiguïtés des rapports de la société au maoïsme. En effet, les affrontements symboliques et les résistances sont nombreux. Les contributions de Kristian Feigelson, Vincent Lowy et François Audigier permettent de scruter ces luttes au sein du monde du cinéma, qui est touché par le maoïsme mondain et militant comme en témoigne La Chinoise de Jean-Luc Godard ou les films de Joris Ivens. A la même période, les situationnistes, avec René Viénet, peuvent détourner des films d’arts martiaux ou des films pornographiques pour démonter les mécanismes de la propagande chinoise. Et Jean Yanne de se moquer de cette mode française avec sa comédie Les Chinois à Paris.

Le paysage culturel n’est qu’un aspect de cet engouement, le maoïsme en France entraine aussi une multiplication des groupes s’en réclamant. Si certains poussent leurs membres à s’installer en usine, la principale activité des cadres de ces organisations a été, comme le souligne François Hourmant, de dénoncer les groupes concurrents, venant en fait couronner des jeux et des positions de pouvoir au sein de l’Université.

Enfin, les comptes rendus des récits de voyage viennent souligner que leurs auteurs ont perdu tout recul critique. Les relais maoïsants dans les médias sont suffisamment importants pour, au nom du progressisme, empêcher la publication de récits critiques, à l’image de celui du sinologue Lucien Bianco.

 

Work in progress

Si les deux volumes font par exemple référence aux critiques des situationnistes, il est néanmoins assez surprenant qu'aucun des deux ne mentionne les articles de Boris Souvarine sur la Chine parus dans le Contrat social. Dans le même esprit, la place, les enseignements et les travaux de Jacques Pimpaneau, professeur de langue et littérature chinoises à l’Inalco depuis 1963, ne sont pas non plus évoqués alors qu’il a justement eu une influence auprès des situationnistes. Par ailleurs - et c’est hélas le lot de nombreux ouvrages collectifs - les communications de La révolution culturelle sont de valeur inégale et aucun intervenant ne songe à évoquer les mémoires de Claire Brière-Blanchet (Voyage au bout de la Révolution), alors qu’elle a eu un rôle important dans ces années rouges dans la structuration du courant pro-chinois et que, par ailleurs, son témoignage est révélateur du fonctionnement de ces groupes politiques. 

Cependant, les deux ouvrages permettent d’approfondir ou de remettre en perspective l’évolution de la société française autour de Mai 68. Le colloque permet en particulier de concevoir que le seul élément qui soit resté particulièrement prégnant dans la culture maoïste n’est peut être pas, comme le conclut Hourmant, reprenant la formule de Jean Birnbaum, les « maooccident », mais le fait que les anciens maos gardent pour beaucoup un côté sentencieux et donneurs de leçons. C’est en effet le message qui semble apparaître en filigrane de ces deux livres, qui, en dépit de quelques limites, permettent d’approfondir la compréhension du phénomène pro-chinois en France, phénomène qui constitue un des aspects importants des années 1960-1970

 

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