Quelles furent les différentes formes d'espionnage et de contre-espionnage mises en place par les belligérants entre 1914 et 1918 ?

Espionnage et renseignement pendant la Première Guerre mondiale est tiré d'un colloque organisé par l'Académie du renseignement en novembre 2014. L’objectif de celui-ci, au début du Centenaire de la Grande Guerre, était de faire le point sur le rôle des différents services de renseignements des pays belligérants et de voir quelles ont été les innovations majeures en termes d’intelligence apparues lors de ce conflit. Et il y en eu de nombreuses. En effet, le premier conflit mondial, dans le domaine du renseignement, a fait basculer la plupart des belligérants dans la modernité. Obtenir des informations sur les plans de l'ennemi afin de pouvoir anticiper et obtenir un avantage certain, tel fut le but de tous les bureaux de renseignements. Pourtant, dès le propos liminaire de Christopher Andrews, nous comprenons bien que la plupart des pays belligérants ont sous-estimé le renseignement et privilégié le développement militaire de leur pays. Ainsi, la France a de nombreux problèmes de cryptage de ses informations, tout comme l'armée russe qui donne, en 1914, les ordres aux troupes sur le terrain par message radio que les Allemands interceptent sans problème. L'écrasante victoire germanique sur les troupes du Tsar à Tannenberg dans les premières semaines du conflit s'explique sans doute, en partie, par ce biais. On comprend tout de suite le rôle primordial qu'allaient prendre les services de renseignement durant ce conflit.

Les différents articles développent de nombreux aspects, qu'ils soient matériels ou humains, qui ont trait à l'espionnage, mais aussi au contre-espionnage, principalement dans le cadre français, même si la dernière partie nous entraîne vers les services alliés et ceux des puissances centrales. Certaines parties peuvent apparaître techniques, surtout lorsque la cryptographie est évoquée. Mais la brièveté des articles tirés des interventions de ce colloque rend la lecture aisée.

 

Acteurs et moyens des services d'espionnage français durant le conflit

Sous la IIIe République, de nombreuses affaires d'espionnage secouent la vie politique française. La plus importante d'entre-elles, l'Affaire Dreyfus (1894-1906), est d'ailleurs à l'origine d'une des plus importantes crises qui touchent le pays entre 1870 et 1914. L'espionnage a donc, en 1914, mauvaise presse dans l'opinion publique française qui a encore en mémoire les malversations de l'armée pour cacher son incompétence face à la fuite de renseignements militaires en 1894 au profit de l'Allemagne.

Olivier Forcade, un des grands spécialistes français de l'histoire du renseignement, dresse un état des lieux des moyens et des structures des services français face aux enjeux colossaux de la Grande Guerre. Ceux-ci doivent en effet faire face à un conflit d'une ampleur sans précédent et s'y adapter : les renseignements recueillis doivent bénéficier à l'armée, mais aussi au pouvoir politique, afin de mieux comprendre les faits et gestes de l'ennemi, en particulier dans les régions occupées et en Alsace-Lorraine. La création d'un nouveau service français, le 5ème Bureau, en 1915, a pour but de répondre à cette demande croissante en renseignements de la part des militaires.

Mickäel Bourlet, dans une étude sociologique, montre quel est le profit social des officiers recrutés à partir de 1916 dans ce nouveau service de l’État-major. La plupart des hommes envoyés sur le terrain sont originaires de grandes villes françaises (Paris, Lyon), des départements occupés (en particulier le Nord) ou des Alsaciens-Lorrains (à cause de leur connaissance de la langue allemande). Ces hommes sont envoyés via la Hollande ou par avions dans les 10 départements français occupés pour se fondre dans la population civile et recueillir un maximum de renseignements sur l'arrière-front des troupes germaniques.

Marie-Catherine Villatoux souligne ainsi très bien le rôle nouveau joué par l'aviation dans la collecte d'informations par les services secrets français et la dépose d'agents en territoire ennemi durant ce conflit. Olivier Lahaie met en lumière les évolutions de la fonction en France : il explique comment durant la Grande Guerre, on passe de la terminologie d'espion, employée jusqu'en 1914, à celle d'agent de renseignement au fur et à mesure d'une plus grande professionnalisation des services durant le conflit. Il insiste aussi fortement sur la forte misogynie des services de renseignements français et de la peur des espionnes ennemies. À la lecture de ces différents articles, les grandes mutations de l'espionnage en France pendant la Première Guerre mondiale apparaissent.

 

Les services secrets alliés et ennemis

Espionnage et renseignement pendant la Première Guerre mondiale ne traite pas exclusivement des services français. Un article de Francis Balace décortique par exemple le fonctionnement improvisé du petit service de renseignements belge, embryonnaire avant le conflit et qui doit structurer son fonctionnement alors que la majorité du pays est passé, dès août 1914, sous domination germanique. En écho à celui-ci, Emmanuel Debryune, spécialiste de la résistance en Belgique durant le premier conflit mondial, analyse le fonctionnement des services allemands de contre-espionnage en Belgique occupée. En effet, le territoire belge est un espace stratégique pour tous les belligérants. Les Français et les Anglais y montent d'importants réseaux de renseignements destinés à recueillir des informations et à faire évader des hommes pour qu'ils rejoignent les armées alliées durant tout le conflit. Les réseaux menés par deux femmes, Louise de Bettignies et Edith Cawell sont les plus célèbres, mais ils sont loin d'être les seuls.

Comme le démontre parfaitement Emmanuel Debyune, l'organisation rigoureuse des différentes polices allemandes chargées de traquer les réseaux d'espionnage et de résistance et leur développement croissant entre 1914 et 1918 montre bien l'importance stratégique prise par le renseignement. Plus exotique et méconnu, l'article de Taline Ter Minassian décrit un espion allemand, Wilhelm Wassmuss, envoyé par l’État-major de son pays vers la Perse et l'Afghanistan, avec comme mission de rallier au camp des empire centraux les peuples de ces régions. C'est le même type de mission qui est confiée par les Britanniques à Thomas Lawrence en Arabie, passé ensuite à la postérité sous le nom de « Lawrence d'Arabie ». Région périphérique, le Moyen-Orient n'est en pas moins stratégique aux yeux des belligérants qui y font fonctionner leurs différents services pour faire basculer la région dans leur camp. D'ailleurs, ces services de renseignements ne négligent aucune région du globe puisque les Allemands entre 1914 et 1917 essayent de jouer leur carte auprès des Américains. En effet, comme le démontre Wolfgang Krieger, les services secrets germaniques, s'appuient sur la forte minorité germanophone immigrée aux États-Unis depuis le XIXème siècle, entre 1914 et l'entrée en guerre des Américains, pour essayer de limiter l'aide matérielle en provenance du Nouveau Monde à destination des Alliés.

 

La Grande Guerre : le premier conflit où l'espionnage se révèle stratégique ?

Première Guerre mondiale, la Grande Guerre est sans doute aussi celle où l'espionnage est devenu en enjeu majeur pour les militaires, et ce pour l'ensemble des belligérants. Organiser des services performants, pour la collecte d'informations mais aussi pour lutter contre les services de renseignements ennemis devient vital pour tous les États-majors. En retard au début du conflit par rapport aux Britanniques, les Français n'ont alors pu se procurer des informations essentielles qui arrivaient à Folkestone (le centre des services de renseignements anglais), via de nombreux agents français ou belges dans les territoires occupés. Ce n'est qu'à la fin de la guerre que les services français ont pu combler leur retard, par l'envoi par avion de nombreux agents de l'autre côté des lignes allemandes notamment. En face, les services de Guillaume II ont eux aussi mené de nombreuses politiques en faveur du développement de services performants, en particulier dans le domaine du contre-espionnage où les polices allemandes étaient très redoutées en France et en Belgique occupées. Dans le cadre du Centenaire de la Grande Guerre, cet ouvrage vient donc éclairer un aspect méconnu mais essentiel de ce conflit qui fit entrer le monde de plain-pied dans le XXème siècle