L’exposition « Iran Année 38 » à Arles offre un panorama exhaustif de la photographie iranienne contemporaine, empreint de tristesse.

Les Rencontres photographiques d’Arles, qui s’acheminent doucement vers leur cinquantenaire, comptent cette année environ 40 expositions, dispersées dans la ville entre quelques 25 lieux. C’est presque trop !

Le documentaire s’y taille une place de choix avec notamment les expositions sur l’Amérique latine et l’exposition sur l’Iran, à l’église Sainte Anne, qui rend compte de la vitalité de la photographie de ce pays. Celle-ci reste marquée, même pour des photographes qui n’ont pas connu cette période, par la révolution et par la guerre. La critique de la société y prend une forme indirecte, ambiguë, seule manière de contourner la censure. La vie ainsi montrée ne fait guère envie : on compatit devant l’absence de joie qui ressort de la presque totalité des séquences. Est-ce la conséquence du parti pris des deux commissaires de l’exposition – une galeriste, Anahita Ghabaian, qui s’est adjointe une photographe, Newsha Tavakolian, toutes les deux iraniennes – de montrer l’influence de la guerre y compris sur les jeunes générations ou la marque indélébile d’une société où l’emprise de la religion reste extrêmement forte même sur ceux qui essaieraient de s’y soustraire ?

 

L’exposition s’ouvre sur une série de photographies sur la révolution. On y voit des photos de rassemblements, de militaires qui s’opposent aux manifestants, de femmes revendiquant, encore, le droit d’aller tête nue…

Suivent des photos de la guerre avec l’Irak, qui débute un an à peine après la promulgation de la République islamique et va durer 8 ans, et faire des centaines de milliers de morts des deux côtés. Pendant laquelle les photographes étrangers ont été interdits de travailler en Iran, ce qui aura permis à leurs homologues iraniens de se faire connaître sur la scène internationale. Les photographies présentées dans cette séquence montrent des images de destructions, de soldats, de civils fuyant les bombardements à Téhéran, de femmes en attente de renseignements sur un parent disparu ou apprenant comment se servir d’un masque à gaz.

Mais sont, cette fois, intercalées avec celles-ci des photos prises vingt ans et plus après la fin du conflit, qui jouent du contraste entre la guerre et la vie de tous les jours, qu’elles juxtaposent en usant pour cela d’artifices divers et variés. Manière d’interroger ce que signifie la guerre pour les générations qui ne l’ont pas connue directement. Chose visiblement encore impossible sous cette forme pour la révolution islamique.

 

La révolution et la guerre ont façonné les mentalités, contribuant à la formation d’une fierté nationale, entretenue par le discours officiel, sous une forte emprise de la religion. Des photographies récentes permettent de se faire une idée de la force de cette emprise, et des moyens dont celle-ci est entretenue, encore aujourd’hui, sur toute une partie de la population. On y voit par exemple des forêts de hauts parleurs appelant celle-ci à participer aux cérémonies religieuses commémorant la mort de l’iman Hossein que célèbrent les chiites. Mais aussi des paraboles considérées comme illégales détruites par la police sur le toit d’un immeuble. Les drapeaux sont partout. Mais le plus frappant sans doute sont les photographies qui témoignent de ce que les anciens lieux où le conflit avait fait rage sont aujourd’hui devenus des lieux de commémoration et de pèlerinages qui attirent chaque année des milliers de personnes.

L’ouverture au monde, rendue possible notamment par le passage au pouvoir du président réformateur Khatami (1997-2005) et la réception des chaines de télévision étrangères par satellites, et l’évolution des modes de vie ont conduit les jeunes iraniens à s’interroger sur les places respectives de la tradition et de la modernité et la place de l’individu dans la société, parfois en redécouvrant un passé enfoui.

Ce qui donne des photographies où l’évocation du passé, rendue par des tapis, des tapisseries ou encore des voiles, est comme mise en tension avec une représentation des individus dont on perçoit la volonté d’exister. Mais aussi, à travers les regards ici donnés à voir, la pression psychologique que continue de mettre la société sur ceux-ci.

 

L’arrivée au pouvoir du Président ultraconservateur Ahmadinejad et, plus encore, sa reconduction en 2009, qui s’est accompagnée d’une répression féroce contre ses opposants qui ont échoué à faire entendre leurs revendications, et dont l’absence ici de toute représentation marque probablement la limite de ce que la censure est prête à accepter, ont installé une atmosphère délétère. Celle-ci a encore été aggravée par l’effet des sanctions économiques qui ont fortement pesé sur la vie quotidienne de la population. A en croire les commissaires de l’exposition, certains Iraniens, notamment les plus jeunes, ont alors préféré se refugier dans une sorte de torpeur, dans l’attente de jours meilleurs. Ce qui donne lieu, pour cette séquence, à des photographies comme vidées de présence humaine, où la recherche de la beauté supplée alors pour certains celle d’une autre vie possible. Mais aussi de portraits comme d’une vie en suspens.

Dans ce contexte, la réalité est aussi pour des photographes l’objet de mises en scène plus ou moins décalées, lorsqu’ils ne se portent pas sur des sujets où celle-ci se suffit à elle-même. Comme lorsqu’ils choisissent de montrer une vie quotidienne qui semble empreinte de tristesse ou encore des portraits de marginaux, de femmes sans-abri, de meurtrières, etc. Difficile de passer ici à côté de la photographie d’Arash Khamooshi (né en 1983, reconnu dans le monde entier, il a remporté le prix World Press Photo en 2015) de cette exécution publique où la famille de la victime, invitée à participé à celle-ci, a choisi, pour une fois, de gracier le condamné, et où ses membres s’emploient à desserrer le nœud coulant que celui-ci avait déjà autour du cou. « Après la Chine, l’Iran a le taux d’exécutions le plus élevé au monde. La plupart des pendaisons se déroulent dans l’espace publique ou dans des zones résidentielles. Bien qu’elles aient lieu tôt le matin, beaucoup d’hommes et de femmes de tous âges et de toutes classes sociales viennent assister à ce sinistre spectacle. ». Et on ne sait vraiment pas quoi penser des images qui montrent alors à la suite ces spectateurs brandissant leurs appareils photos ou se poussant du col pour ne rien perdre du spectacle. Avant que la photo de cette toute petite roulotte, perdue la nuit au milieu de nulle part, où l’on peut acheter à manger, nous ramène à des choses connues et que nous pouvons comprendre.

 

Shadi Ghadirian, Qajar, 1998

 

Le reste est moins convaincant. L’avant dernière séquence de l’exposition est consacrée à la crise environnementale. Elle témoigne de l’assèchement du lac d’Ourmia au nord-ouest de l’Iran ou encore de la pollution dans les grandes villes. La toute dernière séquence complète ce panorama avec des photographies qui témoignent de la place de la poésie dans les arts visuels en Iran. Elles constituent un hommage – trop bref – au grand cinéaste iranien Kiarostami, disparu en 2016, et peu célébré en Iran, à travers des photographies prises pendant le tournage de ses films ou prises par lui-même, et effectivement empreintes d’une grande poésie.

Le nombre important de photographes mobilisés – puisqu’ils sont 66, dont un petit tiers de femmes – s’il a le mérite d’offrir un panorama exhaustif de la photographie iranienne contemporaine, a une contrepartie c’est qu’il ne permet pas de s’imprégner, ne serait-ce que très succinctement, du parcours de chacun d’entre eux. Nés pour la plupart dans les années 1970 et 1980, il ne fait aucun doute qu’ils contribueront davantage encore dans les années qui viennent à la notoriété de la photographie iranienne, en espérant qu’ils puissent aborder un jour des sujets plus légers, montrer des visages plus joyeux, et peindre une société où le bonheur aurait davantage sa place

 


A lire :

- Iran Année 38, La photographie iranienne contemporaine depuis la révolution de 1979, sous la direction d'Anahita Ghabaian et Newsha Tavakolian, Editions Textuel/ARTE éditions, 2017.

 

Pour aller plus loin : 

- 2017 Iran un nouveau visage, Le Monde, Hors-Série juillet-septembre 2017