Images satellites 3D, aménagements et parcours cyclistes : la montagne est un terrain d'imagination infini.

Objet de toutes les convoitises, obstacle naturel et terrain de jeu de plus en plus diversifié dans ses pratiques sportives, la montagne fascine, effraie et passionne les hommes, comme en témoignent ses représentations. La revue L'Alpe et l'éditeur grenoblois Glénat se sont spécialisés dans ce domaine d'altitude en offrant des regards originaux et des perspectives nouvelles. Co-éditée depuis 1998 avec le Musée Dauphinois de Grenoble, L'Alpe est devenue une revue de référence en matière d'ethnologie culturelle appliquée à une aire géographique transnationale, ce qu'elle doit beaucoup à son fondateur Jean Guibal, personnage reconnu dans le monde de la culture et dans le cercle de la montagne.

Les deux dernières livraisons de L'Alpe offrent précisément une perspective intéressante sur les usages et les pratiques de la montagne : son aménagement depuis Vauban et son parcours cycliste depuis plus d'un siècle. Dans une tout autre dimension (dans tous les sens du terme), l'ouvrage M4 sous la direction du célèbre himalayiste Reinhold Messner propose une vision à 360° des plus hautes montagnes de la terre, grâce à des images satellitaires inédites.

La montagne est d'abord un espace et un territoire, les Alpes en l'occurrence étant le lieu de passages millénaires entre les civilisations. Terrain d'aménagements gigantesques (routes, ponts, barrages et ouvrages d'art de toutes sortes), les Alpes constituent aussi une ressource naturelle, château d'eau du continent européen, que l'homme n'a pas toujours ménagée, comme en témoignent les importants travaux de fortification, chers à Vauban, qui démontrent le caractère stratégique de cet espace transfrontalier. Marquée par les noms du Dauphinois Lesdiguières et de Vauban, mais aussi de Pierre-Joseph de Bourcet, l'histoire des " grands bâtisseurs" des Alpes (titre de ce numéro de L'Alpe) tient d'abord à la défense du pays, comme le rappelle Nicolas Morestin dans sa contribution passionnante au numéro de L'Alpe consacré à l'aménagement alpin. Gouverneur de Nice à la fin du XVIIIe siècle, le marquis de Saint-Marsan fut également, comme le remarque Jean-Loup Fontana, l’architecte de la modernisation de la Route royale, reliant le comté niçois à sa capitale d’alors, Turin, avec l'ambition de faire de Nice une place de commerce européenne, capable de rivaliser avec Gênes et Marseille. A l'époque contemporaine, les Alpes ne furent pas à l'abri des lourdes opérations typiques de l'aménagement du territoire sous les "Trente Glorieuses" et, notamment du "Plan Neige" des années 60 qui a métamorphosé le visage et l'économie des vallées de Savoie. Comme le montre Emmanuelle George-Marcelpoil, cette planification conduira à la création ex nihilo de nombreuses stations de ski en altitude avec une politique d’aménagement pour le moins offensive si on la compare à ses alternatives suisses et autrichiennes.

Terrain de jeu des ascensionnistes de toutes les catégories, les Alpes ont très tôt constitué un espace privilégié pour le sport cycliste, profitant notamment de la popularité du Tour de France, qui, depuis le franchissement du col Bayard en 1905 puis du Galibier en 1911, traverse le massif chaque année sous la chaleur et la ferveur de juillet. A travers les différentes contributions de cet autre numéro de L'Alpe, l'on comprend d'ailleurs que le territoire alpin a joué un grand rôle dans le développement du cyclisme en Europe. Philippe Bourdeau atteste ainsi de l’essor du cyclotourisme en Oisans et en Maurienne comme vecteur de développement économique, tout en mettant en garde contre un "tout-vélo", après un "tout-ski" qui a montré ses limites. Vladimir Vasak évoque quant à lui la place faite au vélo dans les aménagements des espaces urbains pour favoriser les déplacements de populations de plus en plus conquises par ce moyen de transport, en particulier pour les trajets professionnels. Stéphane Mourlane s'attarde de son côté au vecteur d'intégration du cyslime pour les Transalpins. Qui se souvient en effet des Maurice Garin ou Alfredo Binda, champions du XXe siècle, qui, d’origine italienne, ont sans doute servi l’intégration des migrants transalpins en France en un temps d’italophobie ? Pour finir, il faut mentionner les représentations de la montagne par le vélo, évoquées par Philippe Gabauriau et Guillaume Lebaudy, car, "petite reine de la montagne" (tel est le beau titre retenu pour ce numéro), la bicyclette renvoie bien sûr aux exploits sportifs de la Grande Boucle, dont les Alpes constituent un passage obligé, avec son cortège de noms d’ascensions mémorables devenus mythiques, l’Izoard figurant en belle place, aux côtés de L’Alpe d’Huez.

Enfin, comment ne pas rester insensible à la force et à la beauté des clichés des montagnes vues du ciel ?

Le livre monumental, étrangement intitulé M4. Montagne, la quatrième dimension, accompagne de ce point de vue une nouvelle étape dans l’observation de la planète et de l’exploration alpine. À partir de données en trois dimensions "améliorées", enregistrées par les satellites Pléiades, les chercheurs et les ordinateurs de l’Agence aérospatiale allemande (DLR – Deutsches Für Luft und Zentrum Raumfahrt) ont reconstitué des images photoréalistes qui passionneront les alpinistes, bien sûr, mais aussi les géographes et les explorateurs. Car ni les grimpeurs ni les pilotes d’avion ou d’hélicoptère n’ont en effet jamais pu explorer ainsi les montagnes sous tous les angles, les embrasser toutes entières du regard et parcourir virtuellement le moindre détail de leurs reliefs.
C’est Gerlinde Kaltenbrunner, première femme à gravir les quatorze 8000 sans oxygène qui a inspiré les scientifiques du DLR et a profité la première de leurs documents exceptionnels. Reinhold Messner, quant à lui, a sélectionné treize sommets ou voies mythiques pour lesquelles les données satellites ont été spécialement traitées.
En complément de ces images inédites, cet ouvrage qui fera date propose des témoignages d’alpinistes d’hier et d’aujourd’hui ayant vécu sur ces montagnes des aventures exceptionnelles : Pierre Mazeaud, Hervé Barmasse, Volles Risiko, Barbara Washburn, Robert Paragot, John Roskelley, Stephen Venables, Tomaz Humar, Sandy Allan, Yannick Graziani, Hansjörg Auer.

Voici donc trois belles lectures de montagne pour l'été, instructives pour les novices comme pour les aficionados.