Le seul film chinois présenté cette année à Cannes (Un Certain Regard) se révèle un décevant décalque du cinéma de Jia Zhang-Ke.

Dans un hôpital public de Shenzhen, une jeune femme, Yaoting (Zishan Yang), fait la queue afin d'obtenir un rendez-vous médical pour son père souffrant du dos. En même temps, au moyen de son portable, elle entretient une conversation avec un garçon anonyme sur un chat. La caméra la suit sans coupe tout au long de son trajet, alors qu'elle s'éloigne de son père resté assis, par un lent travelling d'accompagnement. Sont ainsi posés, dès l'ouverture de Walking past the Future, les principaux enjeux narratifs du film : l'arrachement à la famille nucléaire (en proie à des difficultés économiques, le père, la mère et la jeune sœur de Yaoting s'apprêtent à quitter la mégalopole pour tenter un « retour à la terre » dans la région montagneuse et désertique du Gansu) ; la confrontation au système hospitalier qui va devenir pour Yaoting un lieu de travail lucratif mais risqué (soucieuse de gagner de l'argent rapidement, elle devient au péril de sa santé testeuse de médicaments) ; les interactions sentimentales entre jeunes gens à l'ère des smartphones et des réseaux sociaux (le garçon anonyme avec lequel correspond Yaoting se révèlera, par un fabuleux hasard, être aussi la petite frappe qui la recrute pour ces tests plus ou moins légaux à l'hôpital).

Ce que le film pose également dans cette scène d'ouverture, c'est son mode d'emploi formel : une grammaire du plan-séquence avec une caméra enrobante tournant lentement autour des personnages. Ce procédé ne manque pas de faire surgir à l'esprit la comparaison avec les films de Jia Zhang-Ke, notamment The World (2005, par ailleurs un des premiers films qui prenait en charge l'importance de la communication écrite par portables interposés) et Still Life (2007, auquel on pense souvent étant donnée la récurrence des plans pris à travers les ouvertures des chantiers d'immeubles). Ce qui favorise encore cette association, c'est que, comme son illustre aîné, Li Ruijun aborde de façon frontale les questions de l'aliénation économique et des bouleversements sociaux, culturels et technologiques de la Chine contemporaine.

Assez écrasante, la comparaison tourne cependant très vite en défaveur de Walking past the Future, pour lequel ne plaide pas la faiblesse générale de sa direction artistique, ni le caractère assez convenu de sa réflexion sur la modernité. À titre d'exemple : suite à une énième opération de chirurgie esthétique, la meilleure amie de Yaoting (décrite comme l'archétype de la superficialité, alors que l'héroïne est de son côté portraiturée comme une « jeune fille Courage ») meurt sur le billard ; et lorsque les membres de sa famille, qui ne l'avaient plus vue depuis longtemps, viennent identifier son corps, ils ne le reconnaissent pas, à cause des nombreuses opérations subies ; cela provoque l'hilarité réflexe d'un des médecins de la clinique, dès lors pris à partie par un frère agressif, une bataille menaçant ainsi d'éclater autour de la dépouille... À la lumière de ce qu'il avait réussi à faire pour une des scènes cultes des années 2000 – les funérailles collectives dans le gymnase de The Host (2006) –, on imagine aisément ce qu'un Bong Joon-Ho aurait pu tirer d'une pareille situation à la fois burlesque et dramatique. Chez Li Ruijun, hélas, la scène, étirée sur plusieurs minutes, ne décolle pas.

Au niveau du film entier, l'écriture dramatique cousue de fil blanc (et n'évitant pas toujours l'écueil du pathos) suscite ainsi plus souvent l'embarras ou l'ennui que le vertige ou la contemplation. Cela n'empêche pas de reconnaître l'importante recherche visuelle et sonore déployée pour faire exister la véritable « star » du film : la ville de Shenzhen, mégalopole chaude et fumante de dix millions d'habitants située dans le voisinage immédiat de Hong-Kong. Ce sont les changements profonds subis par la ville qui servent de fondation au récit : c'est parce que les loyers sont devenus prohibitifs que les parents de Yaoting quittent la ville pour une province rurale à laquelle ils n'appartiennent plus ; c'est parce qu'elle rêve de les faire revenir en leur achetant un appartement flambant neuf dans un nouveau complexe immobilier que Yaoting se tue, presque littéralement, à la tâche. De façon générale, c'est en permanence que les corps des protagonistes sont inscrits dans les espaces urbains, les architectures et les atmosphères de Shenzhen, ainsi désignés comme une part essentielle de leur existence.

On touche ici à la dimension la plus intéressante du film, qui est aussi une des grandes forces du médium cinéma : même lorsqu'un film n'est pas très bon, on a parfois la chance d'y voir surgir, comme une dramaturgie en palimpseste, quelque chose de la présence sensible d'un lieu de la Terre, sur laquelle notre attention poétique (ici assez peu distraite par les événements survenant aux personnages) a toute latitude de s'arrimer. On aurait certes apprécié que le film permette de se passionner davantage pour cette histoire de jeune femme donnant son sang (littéralement, un prélèvement sanguin succédant à chaque test de médicament) pour accéder à la propriété – symbole cruel d'un mirage d'ascension sociale vendu à toute une population. À la place, on se rabat plutôt sur les ambiances tropicales et brumeuses de Shenzhen, qui, à défaut de constituer le sujet le plus grave du film, en composent en tout cas les moments visuels les plus inspirants.