Les archives judiciaires donnent voix aux criminelles et dévoilent les stéréotypes associés aux crimes commis par des femmes.

Fruit d’un travail colossal sur les archives judiciaires, Présumées coupables est un ouvrage collectif consacré aux procès faits aux femmes de la fin du Moyen-Âge au XXe siècle, en France et dans quelques autres pays d’Europe. Il propose un parcours historique autour de cinq archétypes : la sorcière, l’empoisonneuse, l’infanticide, la pétroleuse et la tondue de la Libération. Publié à l’occasion de l’exposition présentée aux Archives nationales   , il réunit des textes de chercheurs et de responsables des archives   , une riche et séduisante iconographie (dessins, tableaux, photographies de presse, de films…) ainsi que la reproduction et la transcription d’extraits de procès-verbaux d’interrogatoires. Ceux-ci donnent accès à la parole des femmes, qu’elles soient devenues célèbres, comme Jeanne d’Arc, Louise Michel, Violette Nozières, Arletty, ou bien restées inconnues. Au fil des pages, c’est une histoire des mentalités qui se dessine.

 

La criminalité féminine, fruit d’un imaginaire masculin ?

« Le décalage est grand entre la réalité du crime féminin et son imaginaire   ». Les cinq archétypes choisis par les auteurs (la sorcière, l’empoisonneuse, l’infanticide, la pétroleuse et la tondue de la Libération) ont en effet leurs racines dans des figures mythologiques et bibliques de femmes transgressives : Médée l’infanticide, Circé la magicienne, Pandore qui, comme Ève, se révèle incapable de résister à la tentation et provoque le malheur des hommes… Or, depuis la fin du Moyen-Âge, les archives judiciaires permettent d’établir que la criminalité réprimée est surtout masculine, que le pourcentage de femmes reconnues coupables est très faible et que celui des femmes incarcérées est constamment inférieur à 5%.

La femme est pensée « comme l’exact contrepoint de l’homme et comme l’antithèse de la violence   ». Elle doit assurer la paix du foyer, en se consacrant à son rôle d’épouse et de mère. Toute transgression est donc d’autant plus réprouvée.

Toutefois, les auteurs montrent qu’il ne faudrait pas conclure de ces observations que les procès faits aux femmes sont des manifestations d’une guerre des sexes. La conception de la place que doit tenir la femme dans la société n’est pas seulement celle des hommes ; elle est partagée par l’ensemble de la communauté, donc aussi par les femmes. Les auteurs relèvent ainsi qu’il n’est pas rare que les dénonciations de sorcières au Moyen-Âge ou de traîtresses à la Libération soient le fait de femmes, parfois proches, parfois mues par des griefs personnels.

 

L’incrimination de transgressions de normes de genre

Les crimes présentés sont non seulement des actes incriminés par la loi en tant que tels mais aussi des actes qui, lorsqu’ils sont commis par des femmes, sont interprétés comme des transgressions des comportements attendus d’elles. Pour la sorcellerie et l’empoisonnement, alors que ce sont des crimes commis par des femmes et par des hommes, c’est la figure féminine transgressive qui l’a emporté dans l’imaginaire collectif et parfois dans la réalité des poursuites judiciaires. Les traités de démonologie de la fin du Moyen-Âge et de la Renaissance décrivent les pratiques maléfiques de sorcellerie et insistent sur les rituels blasphématoires et de débauche (danses lascives, orgies sexuelles, baiser anal des fidèles à Satan). La sorcière est ainsi associée au péché de luxure. Quant à l’empoisonneuse, son crime est doté d’une puissante charge symbolique, surtout quand il s’exerce dans l’espace domestique. La cuisinière nourricière se fait meurtrière. La sévère répression de ces criminelles témoigne de l’ambivalence du regard porté sur ces femmes : ce sont des femmes qui ne se conforment pas au rôle qui leur est dévolu et, tout à la fois, elles commettent un crime occulte qui illustre bien la faiblesse et la perversité de leur sexe. Et le lecteur commence ainsi à comprendre la présomption de culpabilité qui pèse sur les femmes.

Cela apparaît plus clairement encore avec un crime lié à la maternité : l’infanticide, qui est le meurtre d’un enfant nouveau-né. Au XIXe siècle, la répression de ce crime s’exerce très majoritairement sur des femmes et surtout sur les plus pauvres d’entre elles. Les témoignages et analyses montrent des situations de grande détresse et parfois de déni de grossesse qui rappellent des faits divers récents. Les représentations de ces infanticides sont très peu nombreuses : ces anonymes sont restées dans l’ombre et seuls les extraits de procès-verbaux les font sortir du silence. Pendant tout le XIXe siècle, le Code civil interdit la recherche de paternité et, même si la femme n’avoue pas, si elle n’a pas déclaré sa grossesse (une obligation depuis un édit de 1556 pris par HenriII), que preuve est faite d’un accouchement et qu’un enfant non-baptisé est retrouvé mort, la femme est présumée coupable.

Parmi les cinq archétypes proposés, il y a aussi des femmes dont le crime est moins d’avoir été une mauvaise épouse ou une mauvaise mère que d’avoir voulu jouer le même rôle que les hommes. C’est le cas des pétroleuses. Ce terme désigne les femmes qui auraient utilisé du pétrole pour allumer des incendies dans Paris au moment de la répression de la Commune en 1871, un mythe selon Fanny Bugnon. Leur sont associées toutes les figures féminines qui ont utilisé la violence comme arme politique (Charlotte Corday, la communarde Louise Michel, l’anarchiste Germaine Berton). « Les mœurs des accusées font l’objet d’une attention toute particulière, sans qu’il en soit de même pour les hommes. L’accusation consiste à lier trouble politique et désordre moral, le second apparaissant comme un facteur central de causalité du premier   . » Si une femme s’est comportée comme un homme, le soupçon de débauche pèse sur elle.

 

La répression exercée sur le corps de la femme

Les femmes encourent les mêmes peines que les hommes alors même qu’elles sont placées le plus souvent sous tutelle masculine en matière civile pour la période étudiée. Toutefois, « outre l’exécution de la sentence, on ajoute une peine particulière à leur sexe : l’humiliation des corps, par leur représentation dénudée et/ou obscène   . » Ainsi, au cours de la procédure inquisitoire, le corps dénudé et rasé de la présumée sorcière est scruté. L’expert y cherche la marque du diable, signe indolore et non hémorragique qui est la preuve du crime de sorcellerie. Il vérifie en enfonçant une aiguille chirurgicale dans les points repérés. Si la marque est authentifiée, le juge soumet l’accusée à la torture. Autre exemple : le cas des quelques 20 000 tondues de la Libération, ces « adultères à la Nation ». Si l’article 75 du Code pénal alors en vigueur incriminait bien la trahison et servit de base légale à l’épuration, la tonte publique, associée parfois à une marque au fer rouge et suivie d’un défilé dans les rues de la ville ou du village, n’était pas prévue par la loi et s’inspirait de châtiments ancestraux réprimant les prostituées et les femmes adultères. « Il allait de soi que la chevelure était un fort marqueur de genre » et il fallait détruire cette « arme de la séduction, donc de la trahison   . »

De manière plus générale, les représentations visuelles des femmes criminelles témoignent aussi de cette peine supplémentaire qui s’exerce sur le corps des femmes. Toutefois, de même que le livre tente de donner voix aux femmes condamnées au travers des procès-verbaux d’interrogatoires, il tente aussi de leur redonner corps en reproduisant des images moins connues. Par exemple, à la célèbre photographie de la tondue de Chartres de Robert Capa, s’ajoutent des photographies personnelles de femmes prévenues en compagnie de soldats allemands. L’ouvrage dans son ensemble propose donc non seulement une explication mais aussi un contrepoint aux clichés attachés aux criminelles.

 

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