Ce premier volet de la chronique « Inde-Pakistan  » revient sur un attentat qui, le 18 septembre 2016, a fait 19 morts (des soldats) dans la très stratégique région d’Uri (Vallée du Cachemire indien). L’Inde s’est-elle saisie de cet événement pour détourner l’attention de la répression dont la population du Cachemire est la cible ? S’agissait-il pour le Premier Ministre Narendra Modi de rappeler à l’opinion publique, à la veille de divers scrutins électoraux, qu’il demeurait le seul véritable homme fort du pays ?

 

 

Le 18 septembre 2016, l’Inde a déploré la mort de 19 soldats dans la région d’Uri (district de Baramulla), laquelle est située dans la Vallée du Cachemire. Cette dernière est l’une des trois composantes de l’Etat indien du Jammu-et-Cachemire. Dans un communiqué, l’Armée a indiqué qu’un « groupe de terroristes armés » a pris pour cible le bâtiment administratif de sa base militaire d’Uri. Dans la réplique qui suivit, les « quatre terroristes ont été éliminés, tandis que les opérations de ratissage » se poursuivaient   . L’attaque qui a eu lieu à 4 heures du matin a visé une zone stratégique : Uri se trouve non loin de la ligne de contrôle. Cette dernière sépare le Jammu-et-Cachemire indien de l’Azad Jammu and Kashmir (Jammu-et-Cachemire Libre) pakistanais depuis le début de l’année 1949. Son tracé, au fil des conflits armés indo-pakistanais, a peu varié. Rajnath Singh, ministre de l’intérieur du gouvernement central auquel préside le Premier ministre Narendra Modi, a suspendu deux visites officielles qu’il s’apprêtait à effectuer : l’une de quatre jours en Russie, et la seconde d’une durée d’une semaine aux États-Unis (il devait notamment assister dans ce second pays à l’India-US Homeland Security Dialogue((Instauré aux lendemains des attentats du 11 septembre 2001, le Département pour la sécurité de la patrie (Homeland Security Departement) étatsunien vise à traiter des questions de sécurité intérieures qui préoccupent Washington((cf. Readout of U.S.-India Homeland Security Dialogue, DHS Press Office, 21 mai 2013, Washington, www.dhs.gov/news/2013/05/21/readout-us-india-homeland-security-dialogue)). Singh, au demeurant, a saisi l’occasion de qualifier le Pakistan d’« Etat terroriste »   reprenant le discours que l’Inde a coutume d’adopter en de telles circonstances. Modi, dans un tweet, a pour sa part salué les « soldats martyrs » qui ont trouvé la mort « au service de la nation » ; il a assuré les Indiens que « cette action méprisable » ne resterait pas impunie   . Il a semblé opter pour la voie diplomatique, cherchant ainsi à obtenir le soutien des puissances mondiales dominantes. A la nation, il a néanmoins laissé entendre qu’il se penchait sur l’adoption de mesures qui feraient enfin plier le Pakistan.


La problématique d’une inquiétante contestation cachemirie

Il s’agit là de l’attaque terroriste la plus meurtrière qui ait frappé les forces de sécurité qui opèrent au Jammu-et-Cachemire ces vingt dernières années/DEPUIS LA FIN DES ANNES 1980. Ce drame intervient alors que la Vallée du Cachemire est dans la tourmente, suite à la mort du chef du Hizbul Mujahideen (Parti des combattants saints), le jeune Burhan Muzaffar Wani, le 8 juillet 2006   . La population cachemirie a une nouvelle fois entonné - avec une ferveur que l’Inde ne parvient pas à briser - le slogan de l’azaadi (une libération qui prendrait, pour la majorité, la forme de l’indépendance plutôt que d’un rattachement à la fédération pakistanaise comme Islamabad le proclame   . Une centaine de Cachemiris ont trouvé la mort. Certains d’entre eux, très jeunes, exprimaient leur refus de la présence indienne. D’autres furent de malheureuses victimes collatérales (pour emprunter cette triste expression à la donne mondiale en vigueur) d’affrontements soudains entre forces de sécurité et population civile cachemirie ; il s’agissait le plus souvent de piétons qui avaient choisi d’emprunter tel chemin, ou de curieux cherchant à observer les événements à distance.En tout état de cause le nombre de blessés graves, notamment en raison de l’usage de balles à billes (des armes non létales utilisant, comme leur nom l’indique des billes) témoigne de ce que l’Inde a eu - une fois encore - recours à une répression pour le moins sévère. Les forces de sécurité indiennes n’auraient pas été correctement formées au maniement des armes à billes dont l’objectif serait de disperser la foule sans infliger de blessure mortelle. Par ailleurs, elles auraient pour consigne de tirer lorsque qu’elles jugent que les manifestants se font menaçants, approchant dangereusement d’elles. C’est ainsi - tout au moins - que la presse du reste de l’Inde explique l’important nombre de blessés au visage (la presse cachemirie avance le nombre de 1000 personnes qui sont gravement blessées). Toutefois, l’observateur étranger ne peut s’empêcher de se demander si l’Inde, usant d’une tactique, ne vise pas à défigurer la jeunesse d’une population qu’elle n’est pas parvenue à briser. Pourquoi donc le Cachemire n’opte-t-il pas pour l’usage de pompes à eau pour disperser les manifestants ?

Le mouvement qui a troublé le Cachemire durant de longs mois en 2010 a, il est vrai, inauguré une stratégie dont l’Inde n’est pas parvenue à venir à bout : celle de la kani jung (guerre des pierres si l’on veut tenter une traduction). Des lanceurs de pierre, le plus souvent très jeunes, ont rappelé les plus âgés, fatigués d’un long combat inégal, au devoir de résistance. Depuis lors, des incidents opposants des lanceurs de pierre aux forces de sécurité indiennes ont continué d’avoir lieu de temps à autre, notamment après la prière du vendredi. L’Inde, pour sa part, a argué que ces fauteurs de troubles recevaient du Pakistan ou de ses agents au Cachemire 100 roupies (un peu plus d’un euro, une petite somme d’argent   par pierre lancée, afin d’ôter toute légitimité à leur action.


Les positions indienne et pakistanaise

Aucun groupe armé n’a pour l’instant revendiqué l’attentat d’Uri. L’Inde soupçonne le Jaish-e-Mohammed (l’Armée de Mohammed) d’en être responsable. Elle rappelle que ce même groupe (basé au Pakistan) s’est notamment rendu coupable d’un autre attentat qui frappa une base de l’Armée de l’air indienne (cette fois, dans la région de Jammu) : celle de Pathankot, le 2 janvier 2016. La presse indienne souligne, en tout état de cause, l’importance de la base militaire d’Uri. Toutefois, elle ajoute que les nationalistes hindous, lesquels n’ont pas répondu à plusieurs promesses électorales (notamment dans le champ économique) qui les avaient autorisées à obtenir, au Centre (à New Delhi), une majorité absolue, feront bientôt face à plusieurs échéances électorales, tout particulièrement en Uttar Pradesh (l’Etat le plus peuplé de l’Union indienne).

Nafees Zakaria, porte-parole du ministère des affaires étrangères pakistanais, a déclaré : « Il s’agit là d’une vieille tactique. Ils [les Indiens] accusent immédiatement le Pakistan sans enquête. »   Pourtant, New Delhi n’a souvent pas eu tort d’accuser son voisin d’attentats dont son sol avait été la cible. Rajnath Singh a indiqué (dans un tweet) que des « indications formelles et concluantes » montrent que les « auteurs [de l’attentat] ont reçu un entraînement de haut niveau » et « étaient très bien armés »   . Le chef des opérations militaires de l’Armée indienne, Ranbir Singh, a déclaré que les terroristes étaient vraisemblablement membres d’un groupe islamiste militant basé au Pakistan, tandis que certains de leurs effets (aucune précision n’est donnée) avaient « un marquage [l’anglais est ambigu ; il s’agit peut-être d’une étiquette] pakistanais ».Le site internet de la BBC note que selon le Northern Command de l’Armée indienne (Commandement du Nord, l’une des divisions administratives et opérationnelles des forces armées indiennes), les « militants »   qui se trouvaient tout d’abord au Pakistan ont traversé la ligne de contrôle avant d’attaquer la base militaire d’Uri. Le ministère de l’intérieur indien insiste sur une attaque venue « de l’autre côté de la ligne de contrôle » (d’Azad Jammu and Kashmir) pour en souligner la gravité. Au lendemain de l’attentat, plusieurs observateurs des événements qui rythment le sous-continent n’ont pas caché leur inquiétude quant à la détérioration de relations indo-pakistanaises déjà tendues. La presse indienne a souligné que des diplomates chevronnés (probablement de nationalité indienne) estimaient que New Delhi n’avait guère d’autre choix que celui d’une réplique « mesurée mais efficace », tandis qu’il lui fallait envisager une « imminente escalade de la violence »   .

Le Pakistan a opté (un temps) pour une explication pour le moins originale que le lecteur, peu familier du sous-continent, aura peut-être du mal à saisir. Islamabad a ainsi estimé que la communauté sikhe n'avait jamais masqué ses sympathies pour l’azaadi cachemirie. En effet, sa section la plus extrême avait - en particulier, durant la première moitié de la décennie 1980 - revendiqué (par les armes) la création d’une patrie sikhe, le Khalistan – la patrie des purs. Le Pakistan a ainsi indiqué (et nous reprenons ici les termes qu’il emploie) que c’était l’Inde elle-même qui avait mené l’attaque, puisque le quartier général de l’Armée indienne comprenait nombre d’officiers sikhs   . Une telle lecture est incohérente, car elle fait des Sikhs des agents d’une Inde qu’ils sont censés continuer de combattre. Il est vrai que le sous-continent a le génie de théories de conspiration rocambolesques. Second volet de l’analyse pakistanaise : l'Inde, s’attachant à instrumentaliser l'attaque du 18 septembre 2016, vise désormais à accuser le Pakistan d’apporter son appui au phénomène terroriste. Son objectif serait double : détourner l’attention des violations des droits humains au Cachemire (indien), et porter atteinte à la crédibilité internationale du Premier ministre Nawaz Sharif, lequel s’apprêtait alors (à l’instar de son homologue indien), à s’exprimer devant l’Assemblée Générale des Nations Unies   . L’enjeu était de taille, puisque le Pakistan se devait de montrer qu’il avait, conformément à ses engagements, pris de véritables mesures à l’encontre d’un terrorisme qui le mine, alors que les puissances mondiales étaient désormais frappées par ce phénomène. Néanmoins, les autorités indiennes faisaient face à une opinion publique dont une partie non négligeable souhaitait que le Pakistan subît des représailles qui le pousserait à s’abstenir, à l’avenir, de tout attentat (par l’intermédiaire de groupes armés qui lui étaient inféodés).

Inquiets de l’antagonisme qui opposent deux pays détenteurs de l’arme nucléaire, les membres permanents du Conseil de Sécurité (les États-Unis, la Russie, la Chine, la France et le Royaume-Unis) ont, quant à eux, appelé New Delhi à la modération, condamnant l’attaque d’Uri. Ils n’en continuent pas moins de susciter l’exaspération du Pakistan, puisqu’ils refusent de condamner les violations (pourtant flagrantes) des droits humains dans la Vallée du Cachemire.


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