Langres, Uriage, Lille : d’octobre à novembre 2016, trois lieux organisent des rencontres philosophiques autour d'une même problématique : repenser la République, la démocratie, le politique. Afin d'accompagner ces événements, Nonfiction publiera régulièrement des comptes-rendus des interventions de ces rencontres.
 

Rendre présente la parole philosophique au sein d'une communauté ouverte d'hommes et de femmes réunis pendant quelques jours pour penser ensemble le  politique : une même intention anime les rencontres automnales de Langres, Uriage et Lille. Chacun à sa manière, ces lieux entendent être ceux où se rencontreront les concepts et les citoyens autour d'une philosophie exigeante mais descendue dans l'arène, les pieds fermement posés sur le sol du présent, et tournée vers le public.


Langres : le politique

Les Rencontres philosophiques de Langres auront lieu cette année du 3 au 9 octobre 2016. Au programme : le politique. Initiées en 2011, les Rencontres Philosophiques de Langres s’inscrivent dans le cadre du Plan national de formation du Ministère de l'Éducation nationale, de l'Enseignement supérieur et de la Recherche. Elles sont portées par le Forum Diderot-Langres, et co-organisées par la Ville de Langres. Dans la ville natale de Denis Diderot, elles accueillent l’ensemble de la communauté philosophique : des universitaires, enseignants, formateurs, amateurs éclairés ainsi que le grand public.

 


 

Le politique qu'elles abordent cette année, c'est d'abord un espace « traversé de relations de pouvoir et de rapports de force », où se rencontrent des préoccupations ressortissant aussi bien du droit et de la justice que de l'éthique et des moeurs. Le lieu du politique et les aspirations qui s'y expriment, ou qui s'y affrontent, sont ainsi telles que ses enjeux ne sont rien moins que  « ‘la vie’, si l’on peut dire, son organisation et sa possibilité même, les communautés dans lesquelles elle s’organise, les institutions et les normes à visée collective, infiniment diverses, qu’elle se donne et qui ne font généralement pas harmonie, ni même, souvent, consensus. » Philosophiquement, le politique posera alors la question de son autonomie ou de sa dissémination, des échelles de la délibération et de l'action, des figures qu'il fait émerger, et de sa professionnalisation à l'âge technologique.

En pratique, les Rencontres de Langres s’organiseront autour de trois volets qui déclinent le thème du politique : un volet scientifique avec un colloque proposant 10 conférences, un volet pédagogique avec quatre séminaires accueillant les enseignants et quelques auditeurs libres, et un volet culturel comportant une programmation riche, ouverte, festive et accessible à tous : lectures, expositions, films, spectacles, visites, installations, librairie philosophique, rencontres d’auteurs…


Uriage : la démocratie en question  

Quelque part en Isère, à une vingtaine de kilomètres de Grenoble, les habitants d'Uriage ont organisé leurs rencontres philosophiques. A l'origine du projet se trouve Thierry Ménissier, professeur à l'Institut de l'Innovation de Grenoble, qui  en  soutient toujours la dynamique. Le projet est pris en charge par la Société alpine de philosophie, une association dédiée à la diffusion et à la pratique du savoir philosophique, et traditionnellement liée à l'Université Pierre Mendès France - Grenoble 2. 

 

Cette année, les rencontres d'Uriage aborderont d'abord la Démocratie sous la forme d'un abécédaire qui relient la tradition athénienne aux défis les plus contemporaines : « Laos/ démos » et « kalachnikov »,  « Zélotes » et « génération Y », mais aussi « culture », « Egalité », « fichage », « légitimité », « participation », « République », « représentation » et « Robespierre ». Sablier en main, les philosophes auront sept minutes pour exposer ces notions.

Mais le programme prévoit aussi un certain nombre de conférences, tables rondes et témoignages autour des aspects saillants de la crise contemporaine du politique : malaise démocratique, crise ou impasses du modèle, enjeux écologiques, etc. Dans les premiers vallons des Alpes, les rencontres d'Uriage rassembleront des personnalités notoires de paysage intellectuel français, telles que Jean-Pierre Le Goff, Frédéric Lordon, Michaël Foessel, Dominique Bourg, Geneviève Fraisse, etc.

 
Lille : la République (et l’universel...)
 
La philosophie accessible, publique, gratuite, populaire et de qualité, tel est le pari des fondateurs de l’événement de Lille inauguré en 1997 et portée par l’association Philolille : un regroupement de professeurs qui n'entendent ni rester dans leurs classes, ni se limiter à leur discipline. Cette volonté d’ouverture, on la trouve dans un programme qui agrège une constellation de lieux, d’événements et d’intervenants hétérogènes.

 

 

Diversité des thèmes, diversité des approches : à Lille, la philosophie n'est plus seulement une affaire de spécialistes. Le but est aussi de libérer la parole publique de sa retenue timide, par le choix audacieux d’aller vers le public et ne pas simplement l’attendre. En Grèce, le principe de la vie démocratique était l’"isonomia", qu’on traduit par "égalité" (en droit) : Citéphilo, c’est aussi ce projet de réaliser une égalité dépassant les différences sociales, ou plutôt de ramener à l’égalité ce qui est divers et variés. De reconstituer une cité ou une agora où se rassemble pour échanger des savoirs, des questionnements, des difficultés à résoudre les problèmes. La Citéphilo essaye d'organiser une quête commune du sens, un désir partagé de comprendre « le réel », un moment de la réflexion où la différence est aussi l'occasion du surgissement de la pensée inédite… Plus qu’une pause, elle veut ouvrir à la pensée au cœur de la ville et de ses exigences, dans un corps à corps avec le souci de vérité.

L'édition 2016 portera sur la République, dans son rapport problématique  à l'« universel ». De l' « universalisme républicain » aux critiques du modèle de la République au nom d'autres  universaux telles que la « différence » ou l’« altérité », la complexité des rapports  qu'entretiennent les deux termes entraînent des questions en cascade :  « le républicanisme est-il capable d’être un véritable universalisme ? Les « valeurs républicaines », que l’on invoque si volontiers, peuvent- elles sans contradiction fonder un concept comme celui d’identité nationale ? Quels droits accorder à tous ceux - migrants, réfugiés, apatrides - qui ne sont pas des nationaux ? (...) Comment reformuler les principes républicains au sein d’une Europe qui limite la souveraineté des États-nations? Faut -il considérer l’universalisme comme une idée à la fois équivoque et obsolète et lui préférer une notion comme celle de cosmopolitisme ? », etc. Pour y répondre, là encore, un large spectre d'auteurs plus ou moins connus du public, parmi lesquels Florent Guénard, Marcel Gauchet, Patrick Savidan, Céline Spector, Hervé Lebras...
 
Pendant les deux mois qui verront se succéder ces rencontres, la rubrique « Devenirs du politique » s'efforcera de présenter leurs travaux. L'actualité rencontre ici l'urgence d'une crise qui invite à se replonger dans la Conférence de Vienne (1929) de Husserl. Comme par un écho du présent dans le passé, celui-ci concluait : « Le plus grand danger pour l’Europe est la lassitude. Luttons avec tout notre zèle contre ce danger des dangers, en bons Européens que n’effraye pas même un combat infini et, de l’embrasement anéantissant de l’incroyance, du feu se consumant du désespoir devant la mission humanitaire de l’Occident, des cendres de la grande lassitude, le phénix d’une intériorité de vie et d’une spiritualité nouvelles ressuscitera, gage d’un avenir humain grand et lointain: car seul l’esprit est immortel. »