Une polyphonie bouillonnante qui  fait la part belle à la colère et à l’espoir d’une jeunesse faisant l’apprentissage de la violence sociale et de ses conventions.


Le texte de Léonore Confino est bouillonnant d'énergie : elle le présente elle-même comme un « geyser ». Du geyser, il a la force du surgissement. Sur scène, neuf lycéens, huit filles et un garçon, visiblement issus des beaux quartiers parisiens, partagent leurs rêves et leurs révoltes, leurs aspirations et leurs contradictions. Au sein de cette génération de la crise, on parle chômage, émancipation féminine, réseaux sociaux, sexualité et amour, avec la colère et la lucidité de la jeunesse. Lorsque la violence surgit au cœur de leur communauté, les jeux d'hier se font rite initiatique, permettant de renouer le fil de la vie sociale et de finir sur une touche optimiste.

Le texte et la mise en scène mettent l'accent sur la polyphonie : les répliques fusent, d'un personnage à l'autre, comme dans une pièce de Martin Crimp. La dimension chorale de la pièce, renforcée par les passages chantés, permet de souligner que le véritable personnage de la pièce est bien le groupe, plus que les individus qui le composent. Ceux-ci ne manquent pourtant pas d’être divers : tous sont dotés de leurs caractéristiques singulières et remarquablement posés, même si les performances des jeunes comédiens qui les incarnent sont assez inégales.

Léonore Confino et Catherine Schaub ont en fait construit cette pièce à partir des comédiens eux-mêmes, dans un long travail d'entretiens et d'exercices. Ce qui se ressent dans la pièce, qui conserve cet aspect parfois un peu laborieux des créations collectives, où l'on perçoit que chacun a voulu ajouter son idée, sa réplique. Certaines scènes sont remarquablement inventives – ainsi de celle montrant les personnages conversant en ligne – tandis que d'autres sont longues et moins convaincantes. Au total, on met longtemps à en arriver à l'histoire en elle-même, comme reléguée au second plan, derrière la volonté de parler de tout, d'aborder tous les sujets, de « parler d’autre chose ». Le tout a son inévitable lot de passages plus ou moins superflus, voire racoleurs notamment lorsqu'il s'agit de parler de sexualité ou d'amour. Mais l’ensemble se présente avec la profonde sincérité d’une prise de parole indiscernablement liée à ceux qui la portent - même si on ne peut s'empêcher de noter que l'histoire ressemble d'une façon frappante à celle du roman Foxfire, adapté au cinéma en 2012, ou du film Bang Gang, visible à l'écran il y a quelques semaines.

Le texte lui-même, toujours drôle, souvent intéressant, frôle parfois la philosophie de dissertation : les jeunes auteurs du texte, pétris des références classiques enseignées dans la perspective des épreuves consacrées du bac, n'ont pas encore lu les auteurs plus récents – et pas encore consacrés par les programmes – qui leur permettraient d'analyser véritablement les modes de fonctionnement du pouvoir étatique, de la domination masculine, de la violence des riches. Mais si la critique sociale et politique demeure de ce fait superficielle, elle n’en garde pas moins la force brute de la découverte révoltée des violences et des dominations.

On pourra aussi regretter que la fin, après toutes les possibilités évoquées, se replie sur la construction de couples hétérosexuels aux rôles bien établis. La révolte de cette jeunesse-là, comme c’est le plus souvent le cas, reste la remise en question temporaire et brouillonne des constructions sociales qu’elle a à ingurgiter. S’il est plus question de rite de passage que d’invention de possibilités de vie nouvelles, reste la fraîcheur d’une brise qui relève une nouvelle fois le voile sur le prix de nos conventions.

Parlons d'autre chose est bien un geyser, bouillonnant, plein d'énergie, qui part en même temps dans toutes les directions, à la fois impressionnant et confus. A l'image de la performance des comédiens, le texte recèle de nombreuses potentialités. Au total, ni l’un ni les autres ne convainquent sans réserve, mais on suivra avec attention les prochains travaux de l'auteure, de la metteuse en scène, et des neuf jeunes comédiens


Parlons d'autre chose
De Léonore Confino
Mise en scène : Catherine Schaub
Au Nouveau Ring, du 7 au 30 juillet, à 15h15
Pour plus d’informations, cliquer ICI