Les Menus Plaisirs, un nouveau regard sur la monarchie administrative et sa politique culturelle au XVIIIe siècle.

En plaçant le lecteur averti au cœur des Menus Plaisirs, Pauline Lemaigre-Gaffier offre un nouveau regard sur le fonctionnement du département de la Maison du roi, trop longtemps déprécié par l’historiographie. Sous la tutelle des Premiers Gentilshommes de la Chambre, les Menus Plaisirs étaient au cœur de la Maison du Roi. Leurs très larges compétences, de la mise en scène des rituels d’État à l’organisation des divertissements curiaux, en passant par la fourniture matérielle du quotidien de la famille royale, amenaient les « Menus » à participer activement aux différents « spectacles » de la monarchie.

L’intérêt de l’ouvrage est de placer le sujet dans une nouvelle configuration qui n’exclut plus les aspects institutionnels, administratifs, culturels, politiques, sociaux, techniques ou encore artistiques. La multiplicité des perspectives permet à l’auteur de penser les Menus Plaisirs en termes d’hybridation, ce qui implique de croiser, voire de superposer les exigences administratives de la Cour avec l’univers ministériel de Versailles. Au fil des pages, les Menus semblent dépoussiérés et définitivement libérés d’une vision subjective et tronquée, tour à tour tributaire d’un imaginaire nostalgique, efféminé ou anachronique des Menus. Leur véritable histoire sembla donc avoir manqué le tournant des nouveaux objets de l’histoire qui firent des fêtes un observatoire privilégié des mœurs et de la politique d’Ancien Régime.

 

Les « Menus », une administration au service du double corps du roi

 

De manière assez classique, la première partie s’attache à retracer solidement  l’histoire de ces Menus Plaisirs, rappel salutaire pour mieux se rendre compte du lent processus qui finit par placer la fête au cœur du quotidien curial et du mécénat royal. Commencée au XIIIe siècle, leur histoire permet de leur donner une profondeur chronologique jusqu’au XVIIIe siècle, avec la fusion des caisses de l’Argenterie et des Menus et le début d’une organisation plus aboutie, notamment par la classification et l’abstraction de nouvelles compétences. Celles-ci sont d’ailleurs clairement exposées dans les deux chapitres suivants qui considèrent les Menus comme les entrepreneurs du spectacle monarchique. C’est par exemple ici qu’est expliqué comment et pourquoi le service des Menus Plaisirs prolongeait le corps du roi, par les décors et les représentations entre la Cour et la Ville.

Outre leur implication dans le rituel quotidien, les Menus contribuaient activement à matérialiser la sacralité du corps du roi. Pensons au dais de la Sainte Ampoule lors des sacres ou à la production de costumes spectaculaires. Par le biais des Premiers Gentilshommes, les Menus fournissaient les habits de deuil comme les décors propres aux mariages, baptêmes, pompes funèbres et toutes les grandes cérémonies dynastiques. De même dès 1756, les Menus devenaient compétents dans les aménagements inhérents à un lit de justice. Qu’il s’agisse du linge ou des décors nécessaires aux grands moments monarchiques, les objets administrés devenaient essentiels au service du double corps du roi.

Mais la nécessité de croiser l’intérêt politique des spectacles et leur mise au point institutionnelle et matérielle sous-tend constamment l’ouvrage. C’est pourquoi l’auteur multiplie les points de vue et les échelles, notamment en questionnant l’échelle « micro » de la production documentaire des Menus Plaisirs. L’étude des mémoires « engagés », des états ou plus largement des registres de la Maison du roi offre une nouvelle approche des Menus comme laboratoire d’une comptabilité publique de plus en plus déterminée par une rationalisation de l’écrit et une bureaucratisation de ses conditions de production.

Restait donc à envisager les premiers acteurs de ce processus, à savoir les intendants des Menus dont l’auteur dresse un portrait de groupe fascinant. Sans limiter le propos au bien connu Papillon de La Ferté, cet intendant des Menus Plaisirs qui exerça de 1756 à 1792 et dont le journal est ici revisité, Pauline Lemaigre-Gaffier valorise leur statut d’amateur d’art, sans minorer l’originalité de leur charge d’officier-financier. L’exposé sur ce sujet est novateur puisqu’il met en lumière un intendant soumis aux règles de la vénalité commune sans pour autant posséder une charge de même nature juridique. Officiers de finance, les intendants étaient aussi réputés commensaux, une identité qui les agrégeait à la noblesse sans vraiment la leur conférer.

Au cœur du sujet, nous saisissons toute la complexité de l’organisation des Menus Plaisirs et des tensions qu’ils suscitèrent entre les premiers gentilshommes et les ministres, au premier rang desquels Necker et sa Maison du Roi justifiée. Les huit premiers chapitres soulignent ainsi le passage d’une « administration comme opération » à une « administration comme organisation ».

 

Les Menus Plaisirs au-delà de la Cour, tout un monde de serviteurs

 

Cette évolution justifie les deux dernières parties consacrées à l’organisation du service du roi et aux politiques du spectacle dans la capitale. Dans la première, l’auteur souligne la grande hétérogénéité des serviteurs des Menus, pas seulement limités aux commensaux mais de plus en plus ouverts aux marchands et artisans parisiens, surtout à partir de 1765 lorsque fut établi l’Hôtel des Menus à Paris. Hors des contraintes palatiales, celui-ci devenait un espace de production matérielle conforme aux nouvelles exigences de rationalisation. En explicitant le lien entre la cour et la capitale, l’auteur fait émerger tout un monde d’ouvriers et de marchands brevetés, attachés au service des spectacles de la monarchie.

C’est donc logiquement que nous poursuivons la (re)découverte des Menus avec le renouvellement esthétique et politique du théâtre. Désormais intégrés à l’organisation logistique des Menus Plaisirs, les comédiens symbolisaient une théâtromanie parisienne dont la monarchie avait su capter les effets de l’art dramatique au profit de son cérémonial. C’est notamment le cas en juin 1775 lorsque les décors du sacre de Louis XVI étaient ceux que les Menus avaient utilisés pour des représentations théâtrales à l’occasion des mariages de Louis XVI en 1770 et de ses frères en 1771 et 1773. L’auteur parle même de « "métamorphose" du "mystère en opéra" », initialisée par Louis XIV et la ritualisation de la vie de cour.

Pour autant, la caractéristique du XVIIIe siècle était d’avoir systématisé cette logistique des Menus, destinée à devenir de plus en plus opérationnelle tant pour le spectacle de la monarchie que pour ceux de la scène parisienne, le tout parallèlement à la relative régression des dépenses pour le service personnel du souverain. Intégrer les pratiques théâtrales à des fins de magnificence monarchique impliquait aussi un personnel de plus en plus polyvalent, à l’instar de la famille des Slodtz, sculpteurs mis à la disposition de la Comédie-Française.

Par ailleurs, l’une des grandes idées de ce livre est de considérer les spectacles administrés par les Menus Plaisirs comme une réponse aux enjeux politiques et sociétaux de la seconde moitié du XVIIIe siècle. À travers la pensée voltairienne sur l’utilité du divertissement, l’auteur revisite une « politique des spectacles » autant destinée à éduquer les sujets qu’à susciter admiration dans et hors du royaume, surtout à partir de la guerre de Sept Ans. Progressivement, les Menus furent placés au service des spectacles de la cour en même temps que ces derniers devenaient une véritable action publique au service de l’État et de la société.

 

De nouvelles perspectives pour repenser lÉtat monarchique

 

Au terme d’une étude passionnante, l’auteur met en perspective ses conclusions et l’histoire plus générale des théories du pouvoir monarchique, à l’instar de son interprétation du double corps du roi, anéantie selon elle par la mise en spectacle d’un souverain qui ne danse plus mais contemple une mise en scène pensée par d’autres. Outre le renvoi à des bases de données d’une grande richesse, l’étude de Pauline Lemaigre-Gaffier offre de très nombreux sillons à creuser pour mieux comprendre l’État et la société française (et européenne) du XVIIIe siècle. On aura ainsi noté les imbrications entre le service matériel, domestique, en soi pragmatique du gouvernement de l’État, appelant ainsi à décloisonner toujours davantage les cultures politiques et matérielles.

De surcroît, en étant au service de l’État, les Menus Plaisirs invitent à (re)penser un État monarchique policé qui se veut et se pense civilisateur au travers de nouvelles approches politiques et socio-culturelles. Enfin, le lien entre la Cour et la capitale, entre Versailles et Paris, reste peut-être un des apports les plus novateurs de ce livre puisqu’il dépasse le cloisonnement traditionnel et rarement dépassé entre les deux espaces géographiques et politiques.

 

En définitive, Pauline Lemaigre-Gaffier propose ici un vrai travail de thèse publié avec érudition et passion qui ne fait jamais l’impasse sur toutes les subtilités du sujet, parfois au prix d’une lecture exigeante mais très stimulante pour l’histoire des plaisirs, des spectacles et plus globalement de l’État monarchique dans la seconde moitié du XVIIIe siècle. Nul doute qu’un tel livre fera date