Traductrice prolifique d’auteurs anglais et allemands (Heinrich Heine, Robert Musil ou Stefan Zweig), Diane Meur mène en parallèle une carrière de romancière. Avec La carte des Mendelssohn, elle livre son cinquième roman, sans compter ses incursions dans la littérature jeunesse. Dans ses précédents livres   , elle avait déjà flirté avec le roman historique sans pour autant embrasser le genre. Elle renouvelle l’expérience avec son histoire de la famille Mendelssohn.

Dans la dynastie, l’on connaît surtout Moses, le grand-père fondateur, et Felix, le petit-fils et son membre le plus connu. Né en 1729 et mort en 1786, Moses Mendelssohn est le philosophe emblématique des « Lumières juives » ou « Haskalah »   , mouvement qui vise à une modernisation du judaïsme, notamment via l’éducation, et à une meilleure intégration des Juifs en Europe. Il a aussi traduit la Bible et est co-auteur, avec Emmanuel Kant, de « Qu’est-ce que les Lumières ? ». Ami de Lessing, l’auteur de Nathan le Sage   , Moses Mendelssohn est le père d’une famille nombreuse, dont les ramifications constituent le principal sujet du roman de Diane Meur.

En cherchant à faire le lien entre Moses et Felix Mendelssohn (1809-1847), l’un des plus grands compositeurs de la première moitié du XIXe siècle, emblématique de la période romantique, Diane Meur s’arrête sur une figure méconnue, celle d’Abraham Mendelssohn (1776-1835) : « Un jour pourtant, j’ai pensé à l’homme qui avait été le père du premier et le fils du second. Quel merveilleux sujet de roman, m’étais-je dit alors. »   . S’il débute sa vie professionnelle comme banquier, en association avec son grand frère Joseph, il se consacre ensuite à l’éducation de ses enfants, Felix et Fanny, tous deux futurs compositeurs   .

Ce segment de la filiation n’était toutefois qu’un prétexte. Diane Meur parle bien sûr assez longuement de Moses, Abraham et Felix. Mais c’est davantage la famille Mendelssohn dans son ensemble qui retient son intention : elle remonte un peu avant Moses et, surtout, continue après la mort de Felix, se perdant dans les méandres de leurs descendances respectives. La « carte », c’est celle de la généalogie impossible de la famille, recherche à caractère universel et vouée à l’échec, comme le reconnaît à demi-mot Diane Meur : « Un roman sur le vide et sur les filiations. »   . Meur juxtapose des vies qui paraissent contradictoires et contredisent toute velléité d’une lecture purement héréditaire des parcours des individus composant la famille Mendelssohn : entre fidélité au judaïsme, conversions au protestantisme et au catholicisme ; progressisme politique, conservatisme et ralliement au nazisme…

Mais La carte n’est pas seulement un roman familial où s’enchaînent les notices biographiques. C’est aussi une enquête à résonnance autobiographique que mène Diane Meur : « Et j’ai compris que ce fleuve en train de se répandre en un immense delta était gros de toute ma nostalgie de Berlin où j’avais voulu vivre une autre vie, sans jamais réussir à être vraiment là ; de toutes mes occasions manquées, de toutes mes affections perdues, de tout ce qu’il m’était jamais arrivé de laisser derrière moi ou d’échouer à retenir. De tout ce qui passe, s’enfuit, se dilue ou se disperse sur la face du monde – et cela fait beaucoup. »   . L’auteure nous parle de ses rencontres avec des spécialistes des Mendelssohn, de ses discussions avec ses amis, de ses virées en bibliothèques ou de son séjour à Berlin qu’elle n’hésite pas à décrire par le menu, en particulier ses mésaventures qu’elle relate sous la forme d’un journal.

En creux, Diane Meur nous offre une réflexion sur l’écriture de l’histoire, au sens de sa mise en récit. Elle incorpore une dose de fiction là où les sources manquent ou par pur plaisir comme lorsqu’elle fait converser les Mendelssohn à travers les générations. Roman historique, fiction, autobiographie ? Diane Meur joue avec les codes et les libertés que lui offrent les rares zones d’ombre de l’histoire familiale : « Ce qui, dès le début, m’embarrassait dans mon projet – s’agissant de Moses, de Felix, ou même d’Abraham –, c’est qu’on en savait beaucoup trop sur toutes ces vies. L’époque étant aux correspondances assidues, on pouvait dater presque au jour près déplacements, événements, flux d’idées et processus créateurs. Comment faire un roman, là où aucune marge n’est laissée à l’imagination ? »   . Conséquence de cette abondante documentation, Diane Meur propose des notes en fin d’ouvrage qui renvoient aux sources consultées et un index des personnages. Incapable de vraiment conclure, Diane Meur nous livre avec humour et empathie une étonnante galerie de portraits, qui nous révèle in fine sa conception du monde

La carte des Mendelssohn

Diane Meur

Sabine Wespieser Editeur

483 p., 25 €