La République populaire démocratique de Corée choisit un basketteur de renom comme héros médiatique. Pourquoi ce choix ?

2015 a été une année particulièrement prolifique pour l’édition francophone d’ouvrages consacrés à la République populaire démocratique de Corée (RPDC). Paradoxe éditorial, à l’heure où Paris et Séoul célèbrent les 130 ans de l’établissement des relations diplomatiques entre la France et la Corée, il est publié dans l’hexagone plus d’ouvrages sur la Corée du Nord que sur la Corée du Sud. L’«Année croisée 2015 - 2016 » n’y a rien changé. Certes, elle est l’occasion de nombreuses manifestations artistiques en France et en Corée du Sud et offre l’opportunité d’éditer des catalogues d’exposition sur le patrimoine coréen mais la littérature consacrée à proprement parler à la République de Corée est des plus ténues. Pour être franc, à l’exception du témoignage d’un ex-dirigeant français du groupe électronique LG sur son expérience managériale d’un groupe coréen   , aucun livre en français n’a été consacré au cours des derniers mois à la Corée du Sud, son économie, sa société, son insertion internationale ou son système politique. Encore plus désolant, le manuscrit d’Eric Surdej s’est avéré un récit strictement à charge contre son ancien employeur et son mode de gestion.

 

La Corée du nord, moins inconnue qu'on le croit

 

A contrario, la littérature francophone sur la Corée du Nord semble faire florès. Au cours des douze derniers mois, on a trouvé sur les étals des libraires des témoignages poignants de réfugiés   , auxquels se sont ajoutés les récits publiés dans la langue de Shakespeare   . Ces tranches de vies, parmi lesquelles on compte beaucoup de parcours de transfuges féminins du nord vers le sud de la péninsule et de nombreuses personnes originaires des provinces de Hamgyong Nord et Ryanggang, ont en commun de présenter une Corée du Nord du temps passé. Les longs périples des fugitifs en Asie puis les temps du débriefing des services de renseignement sud-coréens et de la mise en forme des biographies ont pour conséquence de nous présenter un régime nord-coréen déjà vieux d’une dizaine d’années. Les récits dépeignent plus la société nord-coréenne de Kim Il-sung et de l’ère de Kim Jong-il que celle de Kim Jong-un. C’est pourquoi pour mieux saisir les réalités de la RPDC d’aujourd’hui, il faut compléter la lecture de ces autobiographies par d’autres sources d’information – à commencer par celles venant des d’étrangers ayant résidé récemment au « Royaume Hermite », qu’ils aient travaillé dans les milieux humanitaires et internationaux (par exemple, Abel Meiers, On a marché dans Pyongyang, Gingko Editeur, 2015)), dans l’enseignement (par exemple, Suki Kim, Without You, There is no Us, Crown Publishers, 2014), dans le monde de l’entreprise (par exemple, Felix Abt, A Capitalist in North Korea, Tuttle, 2014) ou qu’ils soient l’œuvre d’aventuriers excentriques (par exemple, Olivier Racine, Cervin et Toblerone en Corée du Nord, Mon Village, 2015).

 

Même en ayant parcouru toute cette littérature disponible, il n'est pas certain que l’on se fasse une idée très juste des réalités de la Corée sous la férule du jeune Kim Jong-un. Pour disposer d’un regard plus acéré, il s’avère particulièrement instructif de lire l’enquête – non traduite en français – des journalistes britanniques Daniel Tudor et James Pearson, North Korea Confidential : Private Markets, Fashion Trends, Prison Camps, Dissenters and Defectors   . Loin des poncifs habituels, les correspondants de presse à Séoul (The Economist et Reuters) nous dépeignent une société et une économie nord-coréenne en pleine mutation : en témoignent le déclin des activités économiques étatisées, le développement des activités marchandes des femmes d’âge mûr, la « yuan-isation » des transactions commerciales notamment aux frontières, les effets sur la société de la diffusion en masse des clés USB importées de Chine sur la manière de voir l’étranger et la RPDC elle-même. On découvre également au travers de cette étude journalistique la diffusion des modes vestimentaires venus de Chine via la ville portuaire de Chongjin d’où est originaire la nouvelle première dame du pays ou encore le développement de la bande dessinée (kurimchaek), la féminisation de la consommation des alcools, l’implantation des Karaokés (Hwamyeon Banju Eumak) mais également la consommation croissante de drogues de synthèse (bingdu). Cette enquête originale montre qu’un travail d’information sérieux est désormais possible sur la Corée du Nord même si le pays demeure difficile d’accès à tous les étrangers : diplomates, hommes d’affaires, humanitaires, sportifs, touristes, universitaires…

 

Corollaire d’une production journalistique de meilleure qualité, la production universitaire s’améliore elle aussi. D’une certaine manière, elle se « dé-idéologise ». Elle ne se consacre plus aux seuls enjeux géopolitiques et militaires   . La production académique revient ainsi avec minutie sur l’histoire passée   et de manière plus approfondie sur les mécanismes de propagande   . Elle est aidée en cela par des témoignages inédits sur l’histoire du cinéma (Paul Fischer, Une superproduction de Kim Jong-il, Flammarion, 2015) ou les récits de producteurs étrangers incrédules (Anna Broinowski, The Director is the Commander, Viking, 2015).

 

La propagande de la Corée du Nord : un choix farfelu ?

 

Sur le registre de la propagande, l’ouvrage d’Elise Fontenaille est des plus singuliers. L’auteur n’est pas une spécialiste de la Corée, ni de ses arcanes politiques. Elle n’a pas rédigé non plus son pamphlet au lendemain d’un voyage sidérant au nord du 38ème parallèle. Elle n’est pas plus une militante professionnelle de la défense des droits de l’homme. Son livre est « juste » un coup de gueule contre une ex-star du basket américain qui s’est fait le chantre depuis 2013 de la Corée du Nord et de son leader Yo Kim comme il l’appelle avec affection. En quelques dizaines de pages, la journaliste et romancière française dépeint dans un style alerte le rôle des « idiots utiles » pour reprendre la formule de Lénine. Sans s’attacher à retracer toute l’histoire de l’immense star de la NBA et ses excentricités, ce n’est pas si important puisqu’il fut même envisagé un temps de recourir à une autre vedette mondialisée (Michael Jordan), Elise Fontenaille montre son utilité pour le régime nord-coréen et l’image de son nouveau leader. Elle rapporte comment il a été approché par le fondateur d’un journal gratuit canadien diffusé par des sans domiciles fixes (Shane Smith) et son rôle dans la mise en scène de la famille construite par Kim Jong-un. C’est en effet par l’entremise de Dennis Rodman que l’on a appris en septembre 2013 le nom de la fille du dictateur née de son union avec la première dame Mme Ri Sol-ju : Kim Ju-ae.

 

À son corps consentant, l’ex défenseur des Pistons de Détroit et des Bulls de Chicago se fait un propagandiste zélé. Ses documentaires filmés (reportage de Vice, 2014 ;Dennis Rodman's Big Bang in Pyongyang, 2015) font parler de la Corée du Nord, de son Leader et peaufine son image d’homme moderne voire paisible. Certes, il ne faut pas exagérer l’impact médiatique de ces reportages mais ils mettent en scène un Kim Jong-un bonhomme dont toute la presse occidentale se fait l’écho. Même si cette communication génère mécaniquement sa propre satire (Dennis Rodman chantant Happy Birthday dans une salle de sport à son Kim préféré) sur les plateformes vidéos en ligne voire parmi les productions de jeux vidéo (cf. Glorious Leader de la start-up d’Atlanta Moneyhorse Games), elle fait parler de la RPDC en des termes globalement moins critiques que les commentaires usuels. Elle donne également une assise médiatique – voire une légitimité à s’exprimer sur la Corée du Nord – à des personnes que l’on ne saurait soupçonner de collusions avec le régime du Juché.

 

Le moins que l’on puisse dire c’est que la personnalité, sans même dire le look de D. Rodman semblent pour le moins éloignés des standards puritains de Pyongyang. Pour autant, l’ex meilleur rebondeur de la NBA peut se montrer utile dans la confrontation médiatique qui oppose Pyongyang au reste du monde. L’ex basketteur a ainsi contesté publiquement les affirmations du FBI selon lesquelles les e-fantassins nord-coréens étaient derrière les cyber-attaques contre Sony Pictures en 2014. Il a également joué le rôle de contre-feu en présentant ses reportages comme un contre-point au film de Seth Rogen et Evan Goldberg, l’Interview qui tue ! (2014). Cependant recourir à une personnalité aussi excentrique que D. Rodman c’est s’exposer aux désagréments de ses prises de position abracadabrantes. Il n’est pas certain que son « ami pour la vie, le Maréchal Kim Jong-un » ait goûté son interview dans les colonnes DuJour dans lesquelles il dit avoir rencontré en janvier 2014 l’oncle du dirigeant suprême Jang Song-thaek exécuté officiellement le mois précédent   . Si, depuis cette date, les relations du quintuple champion de NBA avec la Corée du Nord semblent s’être distendues, Pyongyang peut attendre maintenant sereinement l’élection de Donald Trump à la Maison Blanche puisque Dennis Rodman a annoncé en juillet 2015 sur son compte Twitter son soutien au candidat Républicain.

 

En s’appuyant sur des personnalités aussi farfelues que de D. Rodman, l’e-dictateur Kim Jong-un fait le choix d’une communication aux antipodes de celle de ses prédécesseurs qui pour relayer leurs idées s’appuyaient exclusivement sur des relais d’opinion plus politisés. A ce titre, E. Fontenaille a eu raison de nous rappeler le compagnonnage de quelques Black Panthers (Eldridge et Kathleen Cleaver   ) qui trouvèrent refuge à Pyongyang au début des années 1970. Mais autre temps, autre mode de communication politique ! Preuve qu’elle sait aussi s’adapter à nos propres mutations