« L'oubli ne passera pas par là » 

La Grande salle de l'Odéon était bondée en ce lundi 19 octobre à l'occasion de la soirée consacrée à François Maspero, décédé le 11 avril dernier à Paris, durant laquelle tous ses proches et amis avaient répondu présents.

François Maspero, dont on découvre une photographie très peu connue projetée sur le fond de la scène. Il ne serait pas utile de restituer ici la biographie de cette figure majeure du XXème siècle. Cette soirée fut davantage l'occasion de découvrir, à travers différents témoignages, une multitude de petits détails sur sa vie et ses combats.

Maspero libraire : « en attrapant un livre, on a déjà l'impression de s'approprier le contenu »

La librairie qu'il ouvre rue Monsieur le Prince à Paris devient rapidement un lieu de rencontre et de passage pour les intellectuels de l'époque. Affirmant qu'écrire était déjà un voyage, François Maspero a toujours essayé de conserver un certain étonnement face aux choses.

Maspero, éditeur « un véritable phénomène d'édition »

En 1959, François Maspero lance sa maison d'édition, et devient un libraire-éditeur incontournable du quartier latin. Considéré comme un des éditeurs les plus créatifs de son époque, il se revendiquait comme un homme de métier plutôt que de profession, et n'entrera d'ailleurs jamais au Syndicat National de l'Edition. Son objectif principal était d'éditer des ouvrages qu'il jugeait « utiles ». Avec 1350 livres parus en 23 ans, il fut un éditeur extrêmement prolifique, malgré les nombreux obstacles qu'il dût surmonter (procès, emprisonnement, retrait des droits civiques, répression, etc.). Editeur, il le fut aussi pour plusieurs revues, telles que l'Alternative avec Jean-Yves Potel. Il n'hésite pas à publier des textes de dissidents politiques, et notamment ceux qui combattent pour la démocratie en Europe de l'Est. Le bilan de cette revue reste assez mitigé, car si des textes fondamentaux ont été publiés, sa réussite est jugée partielle par les auteurs eux-mêmes. A propos de son travail d'éditeur, Régis Debray qualifie François Maspero de « réunion de tous les métiers du livre en un seul homme ».

Maspero, militant « la France a une dette envers François Maspero »

Plongé au cœur du contexte morne des années 1960, François Maspero fut un véritable militant, qui a puisé toute son inspiration hors des frontières de la « petite France » de René Char. Parmi ses voyages les plus importants, on compte la Chine, les Balkans, mais aussi Cuba, ville fantomatique qu'il compare à Bucarest au moment de la chute de Ceausescu. A l'occasion de cette soirée d'hommage, Régis Debray a pris la parole, et a qualifié son ami « d'homme inaugural et homme charnière de notre époque, qui a fait le lien entre le passé et l'avenir. ». Lorsque Régis fut par deux fois incarcéré en Amérique du Sud, François Maspero fit le voyage jusqu'à La Paz pour lui apporter son soutien.

En éditant l'ouvrage Histoire de la Palestine, François Maspero a montré son attachement à la cause palestinienne. Il fût rejoint dans ce combat par Jérôme Lindon, ancien directeur des éditions de Minuit, avec la publication de la Revue d'études palestiniennes.

François Maspero, écrivain

Auteur de douze livres entre 1984 et 2015, François Maspero fut avant tout un grand traducteur, notamment de l'anglais, de l'espagnol et de l'italien. Son premier livre paru alors qu'il avait déjà atteint l'âge de cinquante ans. Parmi ses ouvrages les plus marquants, on peut citer Le sourire du chat (Seuil, 1984), déclaration d'amour à son frère, dans lequel il reprend l'histoire familiale et son engagement dans la résistance. Durant toute sa vie, il y eut une interpénétration de son travail de traducteur et d'écrivain.

Au cours de cette soirée émouvante et riche d'enseignements, nous avons eu le plaisir de visionner un extrait du film Les chemins de la liberté, sorti en 2014 et réalisé par Yves Campagna, Bruno Guichard, Jean-François Raynaud, dans lequel François Maspero nous décrit sa vision de la résistance et du combat pour la liberté de parole. Il affirme que la poésie doit avoir un rôle de veille, et reprend l'expression d'Antoine de Saint-Exupéry « Nous ne devons pas être des sentinelles endormies », citation qui résonne aujourd'hui encore comme un avertissement pour les générations futures.