© Arno Declair

 

« (...) me voici résolu à être un scélérat. »

 

Thomas Ostermeier revient à Avignon avec un masterpiece, un Richard III déjà culte, déjà classique. Tout le génie, le talent et le savoir-faire d'Ostermeier y semblent réunis pour déplier et révéler l'universalité du texte de Shakespeare, ses abîmes et sa permanence ontologique. On touche ici la quintessence du théâtre shakespearien : l'essence du pouvoir, en ce qu'il recèle de plus intime, de plus obscur, sa profondeur dans fond, sans complétude ni satiété possible, tel un trou noir qui aspire à jamais toute lumière environnante.

Car le pouvoir n'est pas affaire seulement de stratégies et de tactiques, de luttes et de ruses, d'alliances et de renversements d'alliances. Le pouvoir, lorsque dévoilé de toute loi divine ou humaine, se replie sur lui-même, sans jamais arrêter son mouvement centripète. Il se dévore lui-même tel le serpent Ouroboros dans une marche perpétuelle et aporétique.

Le pouvoir auquel aspire Richard est total, hobbesien. Tuer ou être tuer. Non pas régir, soumettre ou asservir, mais outrager, détruire et annihiler. Il est inhumain, car il n'est plus relationnel, mais autopoïétique. C'est pour cela qu'il dupe tout le monde, les naïfs et les cyniques, les candides et les mesquins, les sages et les ambitieux. Car il n'a d'autre objet que lui-même. C'est ce que finissent par comprendre, trop tard, pris de vertiges et de nausées, Buckingham et Ratcliff, complices de Richard pour le faire roi. Le pouvoir de Richard rompt avec le principe élémentaire de la promesse, du don contre don. Il semble surgir de la noirceur même du monde.

La mise en scène d'Ostemeier, servie par un Lars Eidingen cyclopéen et la troupe exceptionnelle de la Schaubühne, parvient à travailler et donner à voir cette strate ultime de l'essence du pouvoir. Le rire dont est capable Ostermeier, la musique live sophistiquée, berlinoise et pourtant toujours juste de ses mises en scène, les apartés et les parenthèses disruptives qu'il aime à distiller avec facétie au milieu des représentations – ici Lars Eidingen qui s'arrête de jouer et demande au public si quelqu'un ne serait pas en train de taper un texte sur son laptop, ou carrément l'ouverture d'un temps de débat avec le public, avec micro-baladeurs, dans Un ennemi du peuple –, tout le théâtre du directeur de la Schaubühne finit par conduire à un point de silence, un de ces états en suspension qui est l'apanage et la supériorité du théâtre sur les autres arts : le masque blanc boursouflé de Richard III seul sur son trône dans la pénombre précaire de son pouvoir politique, la vérité de sa folie à nu.

Nous sommes loin, très loin, du Roi Lear d'Olivier Py.

 

Richard III, de William Shakespeare

Mise en scène de Thomas Ostermeier

Scénographie de Jan Pappelbaum

Avec Lars Eidingen, Moritz Gottwald, Eva Meckbach, Jenny König, Sebastian Schwarz, Robert Beyer.

Durée : 2h30

Créé à la Schaubühne Berlin le 7 février 2015.

À l'Opéra-théâtre, Avignon, jusqu'au 18 juillet 2015.