La puissance de « La mort de Tintagiles », pièce de Maurice Maeterlinck publiée en 1894,  réside dans son titre, qui ne laisse planer aucun doute sur son dénouement. L'abolition du suspense laisse alors toute sa place à l'angoisse d'une mort annoncée. Ce subtil paradoxe entre le dit et le non-dit nous offre une sublime illustration du génie de Maeterlinck, et c'est avec une admiration non-dissimulée que Denis Podalydès s'est employé à le mettre en scène.

Tout commence par le retour du jeune Tintagiles auprès de ses soeurs, Ygraine et Bellangère. Les deux jeunes femmes vivent dans l'ombre du « château malade », construit au fond d'une vallée froide et sinistre, sous la domination d'une reine qui n'est autre que la grand-mère des trois enfants. Souveraine inique et insaisissable, son ombre menaçante plane sur le château, duquel elle ne sort jamais. Dans cet univers où les hommes sont absents, si ce n'est à travers la présence du vieil Aglovale, dernier ami de la famille, Tintagiles est le seul « homme en devenir », dont la reine veut s'emparer. La résistance de ses sœurs ne suffira pas à sauver Tintagiles du sort qui lui est réservé.

Le choix du prologue est on ne peut plus engageant : le poème Pour un tombeau d'Anatole, écrit par Stéphane Mallarmé sous forme de notes fragmentaires à la suite de la mort de son fils de 8 ans, est projeté sur un fond noir, alors que la salle est plongée dans l'obscurité. La voix de Denis Podalydès égrène lentement ces vers sur un fond musical d'instruments à cordes sympathiques, dont la particularité est de pouvoir entrer en résonance par simple vibration, sans qu'aucune action ne soit exercée sur elles. Chaque mot se voit investi d'une sonorité nouvelle, grâce à l'acoustique extraordinaire du Théâtre des Bouffes du Nord.

Le prologue se révèle malheureusement en décalage avec la pièce de Maeterlinck. Il s'agit ici d'une réelle rupture, qui peut facilement être interprétée comme une maladresse. Si les notes de Mallarmé et le drame de Tintagiles traitent tous deux de la douleur causée par la mort d'un enfant, tout le reste diverge : Mallarmé pleure la mort du fils, Maeterlinck annonce la disparition du frère. Le petit Anatole était atteint d'un mal incurable, Tintagiles fait l'objet d'un rapt. Si la mort de ce dernier est annoncée dans le titre, chez Mallarmé la mort a déjà eu lieu. C'est à se demander si le lien ne serait pas à entrevoir au-delà des mots, entre la musicalité des vers de Mallarmé et la place de choix laissée à la musique dans l'écriture dramatique de Maeterlinck.

Tout au long de la pièce, les personnages évoluent dans un univers si sombre que nous serions tentés de fermer les yeux pour y voir plus clair : l'intensité dramatique de l'accompagnement musical et la diction remarquable d'Ygraine, superbement interprétée par Leslie Menu, sont d'une justesse et d'une beauté saisissantes. Fermer les yeux permettrait également de passer outre certaines maladresses de la mise en scène : Tintagiles, représenté sous les traits d'une petite marionnette au visage blanc et aux jambes de coton, n'évoque rien sinon la gêne, et instaure un malaise dont il est difficile de s'affranchir. Si ce choix se justifie par l'inscription de « La mort de Tintagiles » dans la trilogie « Trois petits drames pour marionnettes », censée remettre en cause les conventions dramatiques de la fin du XIXème siècle au moment de sa publication, on ne parvient pas ici à faire abstraction du comédien qui actionne le pantin, délibérément montré aux yeux du public tout au long de la représentation. Si sa présence s'impose comme un des partis pris de la mise en scène de Podalydès, on eût préféré un stratagème plus discret.

L'ennui, oserais-je dire sans aucune facétie, reste que la magie ne prend pas. Ne restent, à l'instar du cri déchirant poussé par Tintagiles la nuit de son enlèvement, que de trop rares moments de grâce.

 
La mort de Tintagiles de Maurice Maeterlinck
 
Mise en scène de Denis Podalydès

Avec Christophe Coin, Adrien Gamba Gontard, Garth Knox, Leslie Menu et Clara Noël.

Au Théâtre des Bouffes du Nord, Paris 10e, du 12 mai au 28 mai 2015#nf#