« Je crois que tu m'as créé. C'est pourquoi je me sens vivant, avec toi, ici, maintenant, dans notre nouvel appartement. »

 

Après avoir mis en scène La Ville au Théâtre de la Colline fin 2014   , Rémy Barché poursuit son exploration de l'œuvre du dramaturge britannique Martin Crimp avec Play House au Théâtre de Belleville.

Martin Crimp, né en 1956 dans le Kent, fait figure de successeur d'Harold Pinter. Son théâtre travaille les intérieurs ordinaires des couples ordinaires, leurs équilibres précaires et pourtant durables, les points de crise, les petites cruautés et les moments de joie, peut-être même de grâce, la permanence d'une douce platitude existentielle. Play House est une histoire d'appartement, une histoire de couple, de trentenaires, de CSP+, dans un quartier urbain d'une ville occidentale.

Ikea blues

La mise en scène de Rémy Barché est simple et fonctionnelle, comme les meubles Ikea qui peuplent avec monotonie l'appartement de Katrina et Simon, lui même simple et fonctionnel. Un réfrigérateur, un canapé, une table basse. Leur nouvel appartement, étape importante dans le parcours du jeune couple CSP+, petite bourgeoisie économique pour lui, petite bourgeoisie culturelle pour elle, sera le terrain de jeu de la pièce, un jeu en treize confrontations lancées par une voix off, presque informatique : « se brosser les dents », « nettoyer le réfrigérateur », « post coïtum »... Chaque joueur, Simon, le gars, et Katrina, la meuf, déploie sa stratégie, abat ses cartes, tente un coup, joue coopératif ou non coopératif, perd ou gagne. Les joueurs remettent une pièce dans la machine et franchissent linéairement les niveaux du jeu, sans passage secret. Emménagement, négociation des tâches ménagères, accord des rythmes professionnels, gestion des humeurs du partenaire, jalousie, engueulades, enfant. Confinement de la violence.

De ces miniatures, au quasi-format GIF, naît un certain pathos : la complainte du jeune cadre en couple. La petite absurdité de la condition CSP+ urbaine. Travail, promotion, soirées, sexe et couple. On joue à deux, ensemble, mais il s'agit bien de deux joueurs autonomes, dotés de certaines ressources, mettant en œuvre certaines stratégies, pour parvenir à certains objectifs. Pratiques sexuelles à ce jour refusées par la partenaire, pour le gars. Preuves orales et matérielles d'amour à ce jour insuffisantes de la part du partenaire, pour la meuf. La pièce est très genrée. C'est peut-être l'un de ses rares points déplaisants.

« Play house » signifie en anglais « maison de jeu », mais aussi « théâtre », ou encore « jouer au papa et à la maman ». Le texte de Martin Crimp est un peu de tout cela. Katrina et Simon jouent à plusieurs niveaux. Ils se taquinent ou dansent comme des diables, lorsque pris d'enthousiasme, ou simplement pour se vider de la journée passée au boulot. Ils essaient, chacun d'eux, au fil de leurs guerres picrocholines, de tirer le centre de gravité du couple vers leur individualité. Ils se fondent dans des postures stéréotypées, endossent un rôle social jusque dans l'espace-temps privé de leur appartement. Ils se désirent et s'aiment, cherchent la possibilité d'un érotisme.

La mise en scène a du rythme, des refrains et des ponts. C'est coloré, ça swingue. On ne s'ennuie pas. Les comédiens sont dans le ton et savent passer en revue les différents registres. La pièce est courte : 50 minutes. On aimerait que cela dure un peu plus. À voir.

 

« Play House », de Martin Crimp

Mise en scène de Rémy Barché

Avec Myrtille Bordier et Tom Politano, et la voix de Paulette Wright

Au Théâtre de Belleville, Paris 11e, du 11 avril au 26 juin 2015