Du musée des colonies à la Cité nationale de l'histoire de l'immigration, les étapes d'un parcours qui épouse les contours de l'histoire de France.

On se souvient de l’inauguration en demi-teinte de la Cité nationale de l’histoire de l’immigration dans le XIIe arrondissement le 10 octobre 2007 en plein débat sur la loi de maîtrise de l’immigration en France. À la polémique relayée par les hommes politiques et les militants associatifs s’ajoutait la rivalité supposée entre le réaménagement  du Palais de la Porte dorée confié à Jacques Toubon et le projet ministériel d’un Institut d’études sur l’immigration conduit par la présidente du Haut Conseil à l’intégration Blandine Kriegel. L’arrivée dans le domaine public, en l’occurrence  dans la sphère muséographique, du thème historique de l’immigration, cristallise des enjeux sociétaux qui greffent sur notre passé des problématiques axées sur la notion de mémoire. L’on peut à la fois regretter cette redécouverte de l’histoire à l’aune des interrogations et des débats actuels ou apprécier la réactualisation officielle d’un sujet qui concerne les immigrés, ces anonymes de l’histoire contemporaine sur lesquels l’historiographie porte des éclairages renouvelés ces dernières années.

À l’image de sa préface réalisée par Jacques Toubon, l’ouvrage dirigé par Maureen Murphy se refuse à alimenter le débat et tente de clore le temps des querelles idéologiques en expliquant pédagogiquement la rupture fondamentale entamée par l’attribution à l’ancien Palais de l’exposition coloniale d’une nouvelle mission qui "permettra à tous les Français de connaître et reconnaître la part déterminante que l’immigration a prise dans l’histoire de la construction de la nation". Construit sur une approche consensuelle (que certains pourraient assimiler à un acte de contrition) qui tente de résoudre le contestable paradoxe  d’édifier un musée de l’histoire de l’immigration dans un édifice symbole de l’apogée colonial de l’entre-deux guerres, cet ouvrage ne s’envisage pas réellement comme un simple catalogue de musée (sept pages seulement sont consacrées aux collections exposées). Il retrace en effet en de courts chapitres très illustrés les étapes de la mise en valeur du musée permanent des colonies destiné à survivre à l’exposition éphémère de 1931.

Il peut paraître bien légitime de consacrer quelques pages au caractère à la fois exceptionnel et représentatif de l’architecture d’Albert Laprade et en particulier à la façade en bas-reliefs d’Alfred Auguste Janniot qui décrit dans la pierre l’apport des colonies à leur métropole. Cette glorification colonialiste se trouve confirmée à l’intérieur de l’édifice par les fresques de Pierre Ducos de la Haille qui soulignent le rayonnement de la France dans le monde ou encore par les décors d’Ivanna et André-Hubert Lemaître destinés au salon du maréchal Lyautey.

Baptisé "Musée de la France d’outre-mer" dont la particularité est de présenter un aquarium tropical en sous-sol, en 1960 (contexte de décolonisation) le lieu devient sous l’impulsion d’André Malraux un espace d’exposition d’objets africains et océaniens. C’est en 1990 que naît officiellement le Musée national des arts d’Afrique et d’Océanie ouvert à la création artistique contemporaine. L’élaboration de la Cité nationale de l’histoire de l’immigration en 2004 oblige à un réaménagement qui mise sur une scénographie moderne, sur des simulations numériques et des installations multimédias en attendant l’ouverture d’une médiathèque prévue en 2008.

Rares sont les monuments contemporains à se prévaloir d’une telle variété de fonctions représentatives de l’évolution historique au XXe siècle. Autrement dit, les réaménagements successifs de cet espace muséographique résument en quelque sorte les soixante-dix sept dernières années de notre histoire nationale. À n’en pas douter, l’ancien musée des colonies s’érige en lieu de mémoires, quitte à frôler l’anachronisme en confiant aujourd’hui à un bâtiment d’essence coloniale le soin d’abriter des collections qui témoignent de l’histoire de l’immigration. Du colonisé à l’immigré, de l’indigène à l’étranger, cette "tyrannie du territoire" ne peut totalement être effacée, ce qui nous invite à nous interroger sur la manière d’appréhender un passé colonial dont les ramifications avec notre époque interpellent à la fois notre mémoire et notre conscience.


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Crédit photo : dalbera / flickr.com