« Je suis morte à Auschwitz et personne ne le voit. »

 

Mesure de nos jours est le troisième volet de la trilogie Auschwitz et après de Charlotte Delbo, publiée aux Éditions de Minuit. Charlotte Delbo, résistante, est l'une des 49 survivantes des 230 femmes du convoi du 24 janvier 1943 qui les a menées à Auschwitz-Birkenau. Venant après Aucun de nous ne reviendra et Une connaissance inutile, Mesure de nos jours est sans doute moins joué que les deux premiers volets de la trilogie. Sa mise en scène par Claude-Alice Peyrottes rend un magnifique hommage à ce texte universel.

Charlotte Delbo y décrit l'incommensurable distance du rescapé des camps vis-à-vis de ceux qui n'ont pas connu les camps et qui par là même ne pourront jamais comprendre les camps. L'expérience concentrationnaire bouleverse à ce point le sujet que son être semble comme irrémédiablement transformé pour relever désormais d'une ontologie différente. Car les situations limites, ultimes, de l'expérience humaine, tels les camps, mais aussi sous une autre forme la guerre et les crimes de masse, font apparaître une nouvelle réalité pour laquelle le langage, la vérité des mots, le sens du temps, n'ont plus rien de commun. Mais alors, comment revivre parmi les vivants ?

La mise en scène de Mesure de nos jours se compose de six voix féminines, six survivantes, Charlotte Delbo et ses compagnonnes des vingt-sept mois de déportation, et puis Ida   , déportée à Auschwitz à 14 ans en février 1944 et que Charlotte Delbo rencontrera dans une maison de convalescence à Montsur-Lausanne en Suisse. Six voix qui, le temps des retrouvailles, font choeur pour n'être plus qu'une, qui divergent en contrepoint pour ne chanter qu'une seule mélodie, le nous forgé à Auschwitz, le nous des revenants qui n'a pas de place parmi les vivants.

Les voix des comédiennes sont belles, certaines sublimes, comme celles de Claude-Alice Peyrottes et Sophie Amaury notamment. La mise en scène est simple, six chaises, une table de travail éclairée par une petite lampe, des femmes élégantes, le tout rehaussé par intermittence de quelques notes de piano. Que dire de plus sinon qu'un tel texte, porté par de telles voix, dans l'intime salle Studio du Théâtre de l'Épée de Bois font de Mesure de nos jours une pièce à voir absolument.

 

"Mesure de nos jours" de Charlotte Delbo, mis en scène de Claude-Alice Peyrottes

Avec Sophie Amaury, Sophie Caritté, Marie-Hélène Garnier, Claude-Alice Peyrottes, Maryse Ravéro et Maud Rayer

Au Théâtre de l'Épée de Bois, Cartoucherie, Paris 12e, du 5 au 22 mars 2015

Durée : 1h25

www.epeedebois.com

(crédits photo : © Stéphanie Petitjean)