* A propos des Bibliothèques de l’Odéon : « 1914-2015 L’indépendance de l’esprit à l’épreuve de la haine » (16 janvier 2015)

Cette année, les rencontres de l’Odéon consacrent un de leurs cycles de réflexion à « l’épreuve de la haine ». La première des trois séances a eu lieu le 16 janvier dernier : si elle devait initialement se consacrer aux penseurs du pacifisme pendant la Première guerre mondiale, son titre avait été modifié in extremis afin d’évoquer l’actualité tragique de ce début d’année. La tuerie du 7 janvier dans les locaux de Charlie Hebdo, puis l’assassinat d’une policière et de quatre otages juifs ont fait de ce débat philosophique une question d’actualité brûlante : comment penser et combattre la haine dans nos sociétés contemporaines, de plus en plus divisées et inégalitaires ?

La conférence s’articulait en quatre temps : après un premier temps d’introduction par Marc Crépon   , puis un deuxième temps de lecture, avec des textes de Stefan Zweig et de Romain Rolland   , venait une réflexion sur la philosophie à l’épreuve de la guerre de 1914 par Frédéric Worms   . La conclusion de la soirée était laissée à Sigmund Freud avec un extrait de la très belle lettre à Einstein Pourquoi la guerre (1932).

1914-2015 : quoi de commun entre les ferments de haine combattus par Zweig, Rolland et Freud et ceux qui menacent nos sociétés actuelles ? Sans pour autant renoncer au sujet de départ – les penseurs du pacifisme en 1914 – mais avec de nombreuses références à l’actualité, les deux intervenants ont exploré les mécanismes de haine et de violence qui ont conduit au premier conflit mondial. Bien qu’en apparence « naturelle » et « instinctive », la haine est bien souvent le fait d’une construction – par la politique, les églises ou les media. Au nom de valeurs nobles et justes, comme le patriotisme, la religion ou la justice, un ennemi est désigné et sacrifié sans pitié. L’incitation à la haine est donc encore plus redoutable que la seule haine, comme le rappellent les textes de Zweig et de Rolland qui, « au-dessus de la mêlée », déplorent l’aveuglement des intellectuels français et allemands enrôlés sous la bannière du nationalisme au point d’en appeler à la destruction de la culture adverse.

Comment lutter contre la haine ? La question – immense – n’a malheureusement pas été abordée autant qu’elle eût pu l’être, faute de temps. Le texte de Freud sur la guerre, lu en conclusion, rappelle que si la haine ressort de la pulsion destructrice présente en chaque individu, il faut pour la combattre s’en remettre à son opposé, l’Eros ou la pulsion érotique, qui seule peut créer entre les hommes des « relations de sentiment ». Les passions primitives doivent être canalisées par l’éducation qui devrait nous enseigner que la seule haine « positive » est bien « la haine de la haine » (Günther Anders).

Il faut saluer la grande qualité de cette conférence, qui a habilement su ménager des allers-retours entre l’histoire et le présent et a brillamment montré que les grandes voix du pacifisme résonnent toujours aujourd’hui. Le format de la conférence, qui permet de faire alterner lecture de textes et réflexions, était particulièrement adapté à la démonstration. Seul bémol : le caractère très magistral des interventions et l’absence de débat, à la fin, avec la salle, qui pourtant semblait très désireuse d’approfondir certains points (notamment le caractère inné de la haine).

Les deux autres conférences du cycle, consacrées à la lutte pour les droits civiques aux USA et à l’Inde de la décolonisation à la fin de l’apartheid ont lieu les 6 février et 6 mars