Si la calligraphie nous était contée, à travers l'histoire et à travers le monde...

Si son point de départ et son point d’arrivée peuvent donner l’impression d’une organisation chronologique – du prologue consacré à la préhistoire, comme le sous-titre l’annonce, à l’épilogue évoquant les chorégraphies de Carolyn Carlson – ce livre à la maquette séduisante n’est ni ne prétend être une histoire de la calligraphie. Il s’agit plutôt d’un parcours à travers les grandes aires culturelles où cet art a été ou est encore pratiqué : Chine, naturellement, Corée, Japon, Inde et Tibet, Perse, Israël, monde arabe, occident médiéval, peuples d’Afrique (notamment les Dogon du Mali), Aborigènes d’Australie. Dans chaque cas, un bref éclairage historique est complété et enrichi par des témoignages et, surtout, des illustrations de praticiens contemporains. Les calligraphies hébraïques de Gabriel Hagaï et de Frank Lalou méritent d’être signalées pour leur beauté particulière, mais on ne prendra pas connaissance avec moins d’intérêt du travail de peintres aborigènes incorporant dans leurs œuvres des signes calligraphiques traditionnels. L’avant-dernière partie du volume confronte douze mots correspondant à des “thèmes universels” (lumière, souffle, amour, etc.) rendus par des calligraphes actuels de diverses origines (avec des légendes inversées p. 313-314 que le lecteur rétablira sans peine). L’épilogue, comme il a été dit, est un hommage à la chorégraphe-calligraphe américaine Carolyn Carlson.

Au départ spécialiste de Maître Eckhart, à qui elle a consacré une thèse et un livre, Colette Poggi, que la quatrième de couverture décrit comme “philosophe indianiste et sanskritiste”, est évidemment passionnée par le côté spirituel, quasi mystique – on ira jusqu’à dire “alchimiste” – de la calligraphie, comme l’ont été Mallarmé et Saint-John-Perse, qu’elle cite l’un et l’autre à juste titre, et c’est cette passion qu’elle souhaite partager avec le lecteur. Non que les aspects techniques et scientifiques soient passés sous silence ; mais ils ne sont pas mis au premier plan, et la riche bibliographie de fin de volume permettra aux esprits plus “positivistes” de compléter leur information. Ce qu'ils découvriront ici, peut-être à leur surprise, c'est que la calligraphie est non seulement un art universel, mais aussi un art vivant.

À un ouvrage aussi résolument interculturel, et donc tout sauf eurocentriste, on ne reprochera donc pas de intéresser assez peu aux liens, pourtant forts, entre calligraphie et imprimerie dans le monde occidental. S’il est fait brièvement référence au Champfleury de Geoffroy Tory, quiconque n’est pas familier avec l’ouvrage n’en sortira guère plus éclairé. Et il n’est pas ici question d’Ange Vergèce et des Grecs du roi de Garamond, ni de la Typographia medicea, ni des calligraphes libanais maronites qui permirent à Savary de Brèves, au début du XVIIe siècle, de réaliser ses magnifiques caractères arabes et syriaques qui sont l’une des gloires des collections de l’Imprimerie nationale. La perspective de l’ouvrage, on l’a dit, est plus artistique que scientifique. Et dans cette perspective on ne sera pas surpris d’y voir mis sur le même plan des calligraphies très pures et des “tableaux calligraphiques” qui ne sont pas du même ordre. C’est un livre fondamentalement œcuménique.

Ce n’est pas dire que les scientifiques ne sont pas mis à contribution : on lira avec intérêt Marylène Patou-Mathis sur les signes dans l’art paléolithique, Bruno Courtaigne sur le point de vue des neurosciences sur le signe et la lecture, Michèle Guillou sur la calligraphie chinoise, Régine Rongier sur l’art aborigène, et un mystérieux Târâdhvani, qui n’est pas autrement identifié, sur Sumer. On n’en regrettera que plus l’absence d’un index des contributeurs, dont seuls les deux premiers ont les honneurs de la table des matières. Certes, ils figurent dans les remerciements (à l’exception du mystérieux sumérologue) mais la politesse scientifique veut en principe un peu plus, au moins pour nous dire qui ils sont