En Gros-plan,  la main d’un homme effleure doucement une chevelure blonde, lourde de tous les stéréotypes du cinéma : à la fois gage de douceur et de pureté, elle occulte le visage de la femme et suggère des secrets larvés. En voix off, le protagoniste nous parle d’un désir trouble qui mélange l’amour et la mort. Forcément, lorsque la femme disparaît, le doute s’insinue. Coupable ou non coupable, le mari aux yeux cernés qui, sur la demande d’une journaliste, scotche un sourire vide sur ses lèvres ? Coupable ou non coupable cet homme qui, en conférence de presse, accepte de poser à côté de sa femme en version papier glacée, restituant pour l’occasion une tendresse fugitive, fictive ? Responsable ou simplement stupide, le p’tit gars du Missouri qui, quelques jours après la disparition de sa femme, accepte de poser (encore !) avec une inconnue, la mine réjouie (mais ne le jugeons pas trop vite, la demoiselle venait de proposer de lui concocter un poulet rôti, comme dans Les Enchaînés d'Hitchcock, c’est probablement une circonstance atténuante...) ?

Et Amy, sa femme ? Qui est-elle ? Le hiatus est évident entre « Amazing Amy », l’héroïne hollywoodienne scénarisée par ses propres parents et la new yorkaise qui traîne ses frustrations dans une banlieue tranquille, royaume des Desperate Housewives.

Gone Girl est une histoire de virtualités qui n’existent qu’à travers le récit d’un journal intime ou des fantasmes médiatiques. Des sociologues comme Jean-François Lyotard et, plus récemment Hiroki Azuma ont défini l’ère postmoderne par la décomposition des grands récits : ici, l’être n’est plus, seulement une apparence, un écran dont la part d’ombre et de lumière varie au fil des coups de théâtre successifs du scénario. À l’ère des simulacres, la vérité compte moins que la télé-réalité (un terme qui revient d’ailleurs régulièrement sur les lèvres des personnages), moins que les fictions imaginées pour faire grimper l’audimat.

Gone Girl est une histoire d’images et de fascination. À la fin du film, lorsque le héros retourne chez lui, le viseur des télévisions américaines focalise avec soulagement sur la maison sans tâche, la solidité de ses fondations. Mais, en passant la porte d’entrée, la caméra du cinéma, celle de Fincher, met à nu la facticité de ce décor. Pour le spectateur, il y a donc encore une possibilité de vérité - aussi équivoque soit-elle - derrière les mises en scène… Pour combien de temps encore ?