Du 13 au 19 octobre aura lieu la 6e édition du festival Lumière : pendant une semaine, les cinémas de Lyon et de sa proche banlieue vont battre au rythme de cet évènement placé sous le signe de la découverte cinéphilique. Du Voyage du Chihiro jusqu’au « ofnis » (objets filmiques non identifiés) espagnols, le festival se singularise par une programmation protéiforme à l’image de son invité d’honneur : Pedro Almodovar. Dans les films de ses débuts, le réalisateur jongle en effet avec les genres et les registres, passant de la comédie débridée au drame psychologique en un battement de paupière. Ainsi, la gravité et le sérieux transpirent en filigrane d’une légèreté qui persiste malgré tout : sur fond de terrorisme et de schizophrénie, la protagoniste de Femmes au bord de la crise de nerf (1988) tente de se venger de son amant à coup de gaspacho gavé de valium, et s’embarque dans un taxi fou piloté, justement, par un señor nommé Almodovar.

Dans un univers bariolé et burlesque où les boucles d’oreille peuvent prendre la forme d’une cafetière, les sexes se mélangent, les identités s’échangent, mais la femme reste reine, multiple, souvent attendrissante, toujours surprenante. Ainsi, l’héroïne éponyme de Kika (1993) trouve l’amour en maquillant un pseudo-cadavre qui, sous la caresse de son pinceau, renaîtra miraculeusement à la vie ; dans Pepi, Luci, Bom et autres filles du quartier (1980), Pepi abandonne la culture de la marijuana pour se lancer dans la publicité et vante la magie des slips qui, entre autres miracles, transforment les pets en délicats parfums. Derrière leurs faux seins, leurs perruques oxygénées et leurs cils démesurés, les personnages d’Almodovar ne sont jamais plus sincères que lorsqu’ils jouent la comédie. La narration nous emporte ainsi dans le sillon de ces femmes fictionnelles qui, à travers leur extravagance colorée, témoignent du regard bienveillant du réalisateur sur ses comédiennes récurrentes (comme Penelope Cruz, Carmen Maura ou Marisa Paredes). L’univers se structure autour de ces femmes solaires qui irradient la pellicule au plus fort de leur absence (dans Parle avec elle, par exemple). Dans ce film intense et sombre, les hommes gravitent autour de « l’obsession de la femme absente », pour reprendre les mots d’Almodovar qui poursuit : « Mes compatriotes adorent jouer avec des représentations de la femme. Tel le romancier surréaliste Ramon Gomez de la Serna, qui recevait chez lui, un mannequin de cire à ses côtés (…) ». Absentes ou hors-circuit, les femmes laissent les hommes sortir de l’ombre, peut-être aussi parce Benigno et Marco incarnent deux émanations du réalisateur qui observe : « Les deux hommes du film me ressemblent. Je le confesse, la solitude insondable de Benigno et la tristesse sereine de Marco m’appartient pleinement ».

En 2002, avec Parle avec elle, l’énergie fellinienne d’Almodovar semble s’asphyxier dans les ombres d’un nouveau millénaire aléatoire, et d’un récit à la Bunuel, où se côtoient l'abjection et le sublime. De même, en 2003, dans l’air vicié d’un pensionnat franquiste, l’heure n’est déjà plus aux rires et à l’insouciance pour les petits garçons mais à La mauvaise éducation, cet apprentissage de la perversion qui laissera des cicatrices indélébiles dans l’existence d’Ignacio. Complexe et alambiquée, la structure narrative du film s’enténèbre dans l’expérience de la pédophilie puis de la toxicomanie.

En 2013, le réalisateur nous invite à embarquer parmi ses Amants passagers. Au milieu des nuages, l’avion fait des ronds au dessus de l’Espagne, un problème technique empêchant son atterrissage. La mort plane mais le film se détache nettement de la noirceur qui avait marqué les réalisations précédentes. Almodovar renoue avec un humour de pur burlesque basé sur la surprise et l’hyperbole. De la medium lisant l’avenir dans l’entrejambe des pilotes à la chorégraphie des Stewart ondulant sur le rythme d’ « I’m so excited », les situations cocasses se multiplient.

 

C’est à cet œuvre multiple et flamboyant que rendra hommage le festival en discernant le prix Lumière à son réalisateur lors d’une cérémonie qui se déroulera le vendredi 17 octobre au Centre des Congrès. Et peut-être l’univers solaire et entraînant d’Almodovar nous fera-t-il oublier, le temps d’une projection, le ciel morose d’un automne français oscillant entre dépression météorologique et spleen politique...