La publication des Actes d’un colloque consacré à Pascal Quignard met en avant une question importante posée au cœur même des rapports arts et sciences. En général, en évoquant les arts, on pense d’abord aux arts plastiques ou à la musique, parfois à la sculpture, mais la littérature et la poésie semblent résider hors d’un tel horizon

La publication des Actes d’un colloque consacré à Pascal Quignard met en avant une question importante posée au cœur même des rapports arts et sciences. En général, en évoquant les arts, on pense d’abord aux arts plastiques ou à la musique, parfois à la sculpture, mais la littérature et la poésie semblent résider hors d’un tel horizon. Or, on sait que ni la littérature, ni la poésie, ne sont indifférentes à cette question des surfaces d’échange avec les sciences, à la fois parce que certains pensent pouvoir faire valoir des sciences de l’écriture, que d’autres n’oublient pas d’insister sur la science du langage en fonctionnement dans la littérature, et que d’autres encore se font un plaisir de poursuivre dans les textes les considérations scientifiques qui peuvent les structurer. La littérature classique, autant que la littérature contemporaine sont loin d’avoir été insensibles à Galilée, Newton, Darwin, Einstein ou mille thématiques scientifiques, pour rester sobres dans cette liste.

Aussi n’est-il pas absurde de s’intéresser à cette interface par le biais des ouvrages de Pascal Quignard, notamment au travers du paramètre des lieux. Un colloque récent (29 et 30 avril 2013) a porté sur les lieux dans ses romans (Les Lieux de Pascal Quignard, Actes du colloque du Havre, Paris, Gallimard, 2014). Il s’est tenu au Havre, ce qui est justifié par un fait : cette ville a abrité une partie de l’enfance de Quignard, au moment même où la ville venait d’être bombardée et où la reconstruction par Auguste Perret commençait. Nous n’allons pas traverser ces romans en rendant compte de chacune des communications au colloque. Nous nous contentons ici de relever des coïncidences de questionnement entre la littérature et les sciences (ici de l’espace), afin de montrer encore une fois que ce concept de surface d’échange permet de saisir des contributions croisées dans le cadre des savoirs humains. Au demeurant, il est extrêmement productif de croiser également ces communications avec les articles publiés dans la nouvelle Edition du Dictionnaire de géographie et des sciences de l’espace (Paris, Belin, 2014, dir. Michel Lussault et Jacques Lévy), récemment arrivée chez les libraires.

Qu’est-ce donc qu’un espace, et qu’est-ce qu’un lieu (géographique, laissons les lieux temporels de côté) ? Les auteurs décèlent d’abord cette question dans les romans de Quignard, et on ne saurait douter de l’importance de la différence. À cela Quignard ajoute que le lieu ne fait pas uniquement l’objet d’une relation abstraite. Il est l’objet d’un rapport de nostalgie, de désir, de hantise, peut-être d’effroi. Thème sur lequel avait déjà, en son temps, travaillé Gaston Bachelard (La poétique de l’espace, 1957). Indépendamment de la qualité des lieux, on peut s’interroger aussi sur les cartographies dessinées par les auteurs littéraires, lesquelles ont un impact sur la conception sociologique des lieux. Là encore, on se souvient des cartographies différentes que le lecteur peut élaborer en lisant Honoré de Balzac, Victor Hugo et Emile Zola (par rapport à Paris, si l’on veut avoir des points de comparaison), par exemple (on peut ajouter Guy de Maupassant, ...) : chez l’un, les pas nous portent au Quartier latin, au boulevard Saint-Germain ou à la Chaussée d’Antin ; chez l’autre, la plaine Monceau ; chez le troisième, on fraye avec la Bastille.

Ces cartographies sont loin d’être indifférentes aux sciences de l’espace. Elles explicitent des éléments de sociologie (la répartition des classes sociales dans l’espace urbain), des éléments d’histoire (quand les monuments sont cités ou des travaux), des éléments de psychologie de l’espace (la manière d’être dans l’espace), des éléments de politique des lieux, ... Dans ces Actes, par exemple, la toponymie du Havre est fouillée longuement. Elle ne concerne d’ailleurs pas seulement Quignard, mais aussi Simone de Beauvoir qui cite la même ville dans La Force de l’âge (1960).

On y confronte aussi les lieux avec le vide et avec les non-lieux ou les hétérotopies, en faisant jouer les dimensions de l’espace : cosmique, terrestre, national, urbain, ... Les auteurs mêlent également les lieux et les éléments, notamment l’eau qui nous vaut une série de communications plus convenues. Enfin, on s’y attache encore au vocabulaire des lieux, en passant par l’Allemand et le Latin, confrontant ainsi trois langues que Quignard utilise et qui permettent, là encore, de cerner des différences à partir de raisons historiques et poétiques