Publication en anglais de l'autobiographie couvrant les années parisiennes d'Edmund White : à lire passionnément.

Lorsqu'Edmund White s'est installé à Paris en 1983, il avait 43 ans et venait de connaître le succès avec son roman autobiographique — en fait plus autobiographie que roman — A Boy's Own Story (platement titré Un jeune Américain dans la traduction de Gilles Barbedette). Il n'était pas moins admiré dans les milieux gays comme co-auteur du savoureux manuel The Joy of Gay Sex et d'un merveilleux livre sur l'Amérique gaie, toujours inédit en français, States of Desire. Et les milieux littéraires n'avaient pas oublié que son premier roman, Forgetting Elena, avait reçu des éloges de Vladimir Nabokov, lecteur difficile entre tous. Pourquoi donc avoir quitté New York, alors que de son propre aveu il parlait à peine français ? La crise du sida, qui commençait à emporter l'un après l'autre de ses amis les plus proches — et lui-même n'allait pas tarder à se découvrir séropositif — n'est évidemment pas étrangère à ce désir de s'éloigner. Certains, tels Larry Kramer, ne se sont pas privé de le lui reprocher, injustement si l'on se souvient qu'Edmund White était l'un des fondateurs de Gay Men's Health Crisis, première organisation communautaire vouée à la lutte contre la maladie et à la défense de ses victimes contre les persécutions de toutes sortes dont ils étaient alors menacés.

À Paris, où il était correspondant de Vogue, Edmund White s'est d'abord consacré à sa superbe biographie de Jean Genet, dont il évoque la longue genèse, en reconnaissant sa dette vis-à-vis de l'amitié et de l'assistance que lui a généreusement prodiguées le grand genetien français qu'est Albert Dichy, dont il donne un portrait sympathique et affectueux. Mais en fait il n'est pas tant question de son travail d'écrivain dans ces souvenirs que de ses amitiés, ses amours, de ce qu'il a appris sur la France et les Français et de ce qu'ils lui ont, en retour, appris sur lui-même durant les seize ans où il a vécu uniquement ou principalement à Paris. Sans permis de séjour ni visa de travail, nous explique fièrement ce commandeur de l'ordre des Arts et Lettres : n'acceptant aucun revenu français qui puisse passer pour un salaire, il se contentait de quitter brièvement le pays tous les trois mois.

On imagine que les lecteurs américains d'Inside a Pearl y priseront avant tout "une certaine image de la France". Ce n'est peut-être pas l'aspect qui recommandera d'abord le livre au public français, encore qu'il soit toujours instructif de voir comment les autres vous voient, surtout quand l'observateur est un écrivain de la trempe de White et qu'il a sa plume. Les généralisations sont inévitables, et elles valent ce que valent toutes les généralisations : ni tout à fait vraies, ni tout à fait fausses. Edmund White reprend à son compte celle d'un autre expatrié, Harry Mathews : les Français veulent toujours avoir raison et ne reconnaissent jamais leur ignorance. Ailleurs, il en propose une autre : "Les Français évoluent plus vite que n'importe quel autre peuple, et ce qui était vrai d'eux il y a dix ans ne l'est plus. […] Ils peuvent presque instantanément abandonner un préjugé et adopter une idée neuve et meilleure." Par rapport à l'Amérique, il est clair qu'Edmund White est à la fois intrigué et séduit par place de la culture dans l'imaginaire collectif français. Mentionnant l'intervention de Mitterrand pour faire autoriser Eden Eden Eden de Pierre Guyotat, ou le même Mitterrand faisant publiquement état de son amitié pour Gabriel Matzneff, il invite son lecteur à se figurer Bush ou Obama se proclamant l'ami d'un artiste quel qu'il soit, pour ne rien dire d'un écrivain avouant des désirs pédophiles.

Inside a Pearl est avant tout une autobiographie, et tous ceux qui aiment Edmund White et son œuvre seront avant tout sensibles à cet aspect du livre. Ils goûteront l'humour sans complaisance avec lequel il se décrit lui-même et dont il évoque les façons dont ses années en France l'ont transformé, au point de rendre difficile sa réacclimatation à l'Amérique où, explique-t-il drôlement, les longues journées de travail suivies des deux heures obligatoires de musculation rendent la vie de société impossible. Ils seront tantôt amusés, tantôt émus par le récit de ses amours, notamment le portrait de son amant Hubert Sorin, qui avait déjà inspiré son roman A Married Man, et dont le récit de la mort (du sida) est le passage le plus poignant du livre. Inside a Pearl a aussi une héroïne, qui le traverse de bout en bout et qui en est la dédicataire invisible, Marie-Claude de Brunhoff, épouse de Laurent de Brunhoff, continuateur des albums de Babar créés par son père Jean. De "MC", comme il l'appelle, morte depuis d'un cancer, Edmund White donne un portrait vivant et plein de charme, s'excusant au passage d'avoir introduit dans son ménage son amie l'écrivain Phyllis Rose, pour qui Laurent de Brunhoff n'allait pas tarder à la quitter.

Qu'ils se bornent à quelques lignes ou s'étendent sur plusieurs pages, les portraits font évidemment tout le prix du livre. On y croise, pêle-mêle, Michel Foucault, Philippe Sollers et Julia Kristeva (voisins de MC à l'Île de Ré), Hector Bianciotti, Pina Bausch (que White va interviewer à Lyon), Pierre Bergé, Mary McCarthy (qui, le rabrouant d'avoir confondu chintz et mousseline mouchetée, lui explique qu'il n'arrivera à rien comme écrivain), Marc Chodolenko (traducteur de plusieurs de ses livres), Azzedine Alaïa, Edmonde Charles-Roux (que White rencontre à Marseille, ville qu'il déclare "irrécupérable") Alain Robbe-Grillet, Paloma Picasso, et, outre-Manche (même si Ed White finit par confesser une nette préférence pour la France) Julian Barnes, Marina Warner, Adam Mars-Jones, Alan Hollinghurst, Bruce Chatwin, Salman Rushdie, Martin Amis et bien d'autres. James Lord est croqué à merveille, non sans une pointe de rosserie. On n'appréciera pas moins l'évocation du regretté Bernard Minoret, dont White, paraphrasant Amadou Hampâté Bâ, dit justement que la mort l'an dernier (et non en 1983, comme un lapsus pourrait le faire croire) a été aussi tragique que la disparition d'une bibliothèque, comme peuvent l'attester tous ceux qui l'ont connu.

Quel dommage qu'Edmund White ait été si mal servi par son éditeur ! La préparation de la copie, en supposant qu'il y en ait eu une, semble avoir été confiée par Bloomsbury à un analphabète. Non seulement le français, abondamment cité, y est constamment estropié, grammaire, orthographe et noms propres, mais ce qu'on appelle en Amérique la "vérification des faits" a été traité par-dessus la jambe. Passe encore que la comtesse de Chevigné soit présentée comme la mère de Marie-Laure de Noailles (et non sa grand-mère), mais que dire de Clermont-Ferrand pour Clermont-Tonnerre, de Grévis pour Grevisse, ou de la danseuse qui "écrit sur le sol" (writing on the ground) mais qu'on soupçonne plutôt de s'y trémousser (writhing on the ground) ? Bref, il faut souhaiter au livre le grand succès qu'il mérite, afin que l'épuisement du premier tirage en permette un second nettoyé de fond en comble. Les amis et les admirateurs d'Edmund White, s'ils n'ont pas la patience d'attendre la traduction française, se feront un plaisir d'en racheter un second exemplaire, et ils conserveront le premier dans leur bibliothèque, d'où ils l'extrairont de temps en temps quand ils auront besoin d'un exemple des ravages que l'amateurisme et l'ignorance sont en train de causer dans la profession jadis glorieuse de l'imprimerie