Comment se construit le rapport à l’autre dans un climat de conflit idéologique ? Quels sont les mécanismes de rejet et d’assimilation ?

Dans le cadre d’un projet de recherche consacré à " La fabrique du ' soviétique ' dans les arts et dans la culture " s’est tenu fin octobre un colloque sur " Le rapport à l’étranger " dans la culture soviétique. Il fait suite à celui de décembre 2011 intitulé " Construire/déconstruire l’homme nouveau ".

Comme l’a rappelé en ouverture Marie-Christine Autant-Mathieu, les Soviétiques ont voulu et prétendu faire table rase du passé et construire une nouvelle société. Il fallait, notamment dans les arts et la culture, se démarquer de l’étranger, vu à la fois comme l’étranger géographique, le passé et l’ennemi de l’intérieur. En réalité, la culture soviétique entretint un dialogue avec cet autre, parfois en s’en cachant, parfois ouvertement.

Ainsi, la littérature russe – du moins certains auteurs – tient une grande place dans la culture soviétique ; on peut le constater dans le cas des adaptations cinématographiques de classiques russes à la période soviétique   . Les œuvres cultes de cette période sont pour beaucoup déjà présentes avant la Révolution   .
Le rapport aux écrivains étrangers varie en fonction de leur proximité idéologique supposée avec le régime. Aux auteurs vus comme recevables les gros tirages, à ceux plus ambigus des tirages réduits et un paratexte approprié   : Balzac est publié pour son réalisme en dépit de ses opinions politiques   , Proust et Joyce afin de faire connaître l’ennemi, de montrer la désagrégation du roman bourgeois   .

Dans les années trente apparaît le terme de " réalisme socialiste " : celui-ci doit devenir le nouveau canon esthétique. En réalité, cette notion reste assez floue et les œuvres qui s’y rattachent empruntent au passé et à l’étranger, par exemple à la Renaissance italienne   . Dans l’architecture soviétique, on peut déceler des emprunts à des monuments étrangers, notamment américains   .

L’étranger vu par le théâtre de propagande est soit l’oppresseur ridiculisé, soit l’opprimé, soit l’élément moteur de la lutte contre l’oppresseur   . Pourtant, la rencontre avec l’autre peut donner lieu à une vision moins tranchée, relatée à mots couverts : Tvardovski, poète soviétique officiellement reconnu qui s’inspire de son expérience durant sur la deuxième guerre mondiale, ne fait pas toujours preuve de haine pour l’ennemi   .

On découvre donc toute une palette d’attitudes vis-à-vis de l’étranger, de l’assimilation assumée au rejet total en passant par les emprunts camouflés et la mise en avant de contre-exemples. Bien plus, l’attitude affichée envers l’étranger peut n’être qu’une concession faite aux conventions : publier un texte, même si l’on en dénonce certains aspects, le fait connaître et instaure un dialogue. Il a été souligné que les incohérences de la politique culturelle compliquaient la tâche du chercheur ; en effet, alors que l’ouverture progressive des archives avait laissé espérer qu’on pourrait rendre compte de la politique culturelle soviétique, on découvre que beaucoup relève de l’initiative locale ou personnelle