La méditation en entreprise. À méditer ? À pratiquer surtout. Car selon Michael Chaskalson la pratique de la méditation dans l’entreprise renforce l’implication, la productivité, la satisfaction et fait baisser l’absentéisme, le stress, le nombre de conflits, le turnover… Le livre est organisé autour d’études scientifiques qui crédibilisent la démarche. Il est conçu comme un manuel pratique qui propose des conseils concrets pour méditer et un programme pour les entreprises.

La pleine conscience est à la fois une pratique de méditation et un état d’esprit, une posture d’ouverture sur la vie. L’intérêt du livre de Michael Chaskalson est d’introduire la méditation de pleine conscience dans le monde professionnel et de détailler les bénéfices pour les entreprises.

La méditation de pleine conscience va au-delà des outils de bien-être et de relaxation proposés en entreprise. Pratiquée régulièrement, elle transforme notre fonctionnement au quotidien, notre regard sur le monde et notre style de vie. C’est ce que nous explique Christophe André, qui a préfacé le livre de Michael Chaskalson Méditer au travail pour concilier sérénité et efficacité.
Christophe André est psychiatre à l’hôpital Sainte-Anne, auteur d’articles et ouvrages scientifiques, ainsi que de nombreux livres à destination du grand public sur l’estime de soi, le bien-être, le bonheur. Il intervient en entreprise sur Equilibre personnel et performance professionnelle. Il pratique et enseigne la méditation de pleine conscience et a écrit un best-seller Méditer jour après jour paru en 2011.
 

 

Virginie Mandaroux : La pleine conscience est la méthode de méditation la plus fascinante selon vous. En quoi est-elle fascinante ?

Elle est fascinante car c’est la plus simple et c’est le noyau dur de toutes les approches méditatives. Ce qu’on appelle méditation, pour les Occidentaux, c’est souvent une réflexion approfondie, sur les grands thèmes métaphysiques, là où pour les Orientaux la méditation est une sorte d’entrainement de l’esprit, destiné à nous faire voir le monde tel qu’il est, à dissiper les apparences trompeuses qui encombrent notre regard sur le monde, dans le but de diminuer nos souffrances inutiles, pour trouver d’avantage de forces intérieures, pour laisser émerger en nous une paix authentique, un détachement par rapport aux agressions extérieures.

Ce qu’on appelle "pleine conscience" qui est connue en Occident depuis 10-20 ans et populaire en  France depuis quelques années, c’est l’adaptation de cette technique bouddhiste, qui a été laïcisée et codifiée, pour en faire un outil destiné aux Occidentaux, outil qui ne suppose pas que l’on adhère à un dogme religieux ou métaphysique. Ce qu’on appelle la pleine conscience est une démarche très simple qui consiste à se rendre présent à tout ce qui est là, que ce soit le bruit autour de moi, les sons, les ressentis corporels, les pensées qui circulent, les émotions… à s’y rendre présent sans réagir dans un premier temps. C’est une présence intense et non réactive au monde qui nous entoure. On est à la fois sur un léger recul (on n’est pas plongé dans l’action, la réaction, la distraction) mais on est quand même intensément présent.

Parmi les croyances sur la méditation il y a souvent : «c’est pour faire le vide dans sa tête ». Ce n’est pas tout à fait cela : la pleine conscience c’est être très attentivement présent d’une autre manière que la présence habituelle, trop basée sur le contrôle, la maîtrise…


V.M : La médiation de pleine conscience est une pratique physique alors que l'on pourrait croire qu'il s'agit d’une pratique de l'esprit.

C’est une pratique de l’esprit mais qui utilise beaucoup le corps. Quand vous parlez avec les sportifs, ils vous expliquent que le mental est super important. Si vous parlez avec des méditants ils vous expliquent que le corps est archi important. Tout cela rejoint la notion ancienne et régulièrement redécouverte de l’unité corps-esprit : le corps n’est rien sans le mental, et le mental n’est rien sans le corps.

Quand on dit que la pleine conscience est une pratique corporelle c’est d’abord sous forme de boutade pour écarter ce préjugé qui en ferait une démarche très intello. La pleine conscience n’est pas du tout intello.
La pleine conscience utilise l’ancrage dans le corps pour mieux observer les pensées. Même si la pleine conscience nous permet de mieux comprendre comment nous fonctionnons mentalement, de mieux comprendre les pièges où nous nous faisons embarquer régulièrement qui font qu’on déclenche des émotions inappropriées de manière régulière, elle nous amène vers plus de clarté sur notre fonctionnement et celui du monde qui nous entoure. Et pour voir les choses avec clarté, il faut les voir avec un peu de recul et de hauteur. Ce dans quoi on va s’enraciner c’est l’observation du corps.

Dans toute approche méditative, il y a deux temps : un temps où vous devez stabiliser votre attention, puisque l’attention est en général dispersée parce que nous sommes vivants, nous sommes engagés dans la vie quotidienne, on réagit s’il y a un bruit, si le téléphone sonne, si quelqu’un nous parle. Du fait de ces réactions multiples aux sollicitations extérieures, on est dans un état de dispersion, notamment aujourd’hui on vit dans un cadre extrêmement polluant d’un point de vue attentionnel, on vit dans un monde passionnant qui retient notre attention. On a perdu l’habitude de se poser, l’attention part dans tous les sens. C’est plus facile de discuter avec quelqu’un que de réfléchir tout seul. C’est peut-être une des explications du développement des psychothérapies aujourd’hui, les gens n’ont plus le temps, ils ont désappris à réfléchir tout seul, il leur faut quelqu’un qui les aide.

Il faut donc un premier temps qui soit un temps de stabilisation de l’attention. On s’est aperçu depuis des millénaires que rien n’était aussi puissant que le concret pour capter notre attention. Par exemple, observer le mouvement de sa respiration, observer attentivement toutes les sensations corporelles, écouter attentivement tous les bruits autour de nous. Quand on va apprendre à méditer, on va d’abord observer tout ce qui se passe dans le corps. Les ¾ du temps pendant lesquels vous allez méditer sont concentrés sur des exercices d’observations attentives du corps. Cela stabilise notre attention dans quelque chose de très concret, de réel.
Puis peu à peu, dans un deuxième temps, on s’intéresse à observer le fonctionnement de l’esprit. C’est une question de tour de chauffe : les maîtres, les méditants, jeunes et vieux, s’enracinent dans cette réalité concrète avant d’accéder à cette deuxième phase où on s’intéresse au fonctionnent de l’esprit.

L’objectif de la pleine conscience c’est de maintenir notre esprit dans un état de simple présence au monde, de pure présence. On ne cherche pas par exemple à ressentir de la bienveillance pour tous les êtres vivants et sensibles, comme dans d’autres formes de méditation ; là, on cherche juste à être intensément présent à tous ce qui se passe, et régulièrement à rouvrir la focale de notre attention, car régulièrement notre attention se rétracte et s’accroche à quelque chose comme d’habitude. Le but de la pleine conscience est de rester dans cet état d’ouverture, de s’entrainer à plus de largeur dans notre perception du monde.


V.M : Il y a une phrase d’introduction très puissante dans un de vos CD :" Il n'est jamais urgent de méditer… c'est juste important." Expliquez-nous. Quels sont les enjeux pour la personne, la société, l’entreprise ?

Il y a des enjeux plus importants qu’il n’y paraît. Derrière l’engouement de la méditation se cachent des besoins très importants. Le succès de livres portant sur la méditation, les demandes de formation, pas seulement en France mais dans le monde entier, montrent qu’il y a un besoin non satisfait. Si les médecins prescrivent le sport c’est que l’on bouge moins qu’avant, il y a des ascenseurs, des tapis roulants, des voitures. Au travail,  on fait tout derrière un écran internet. Dans une société sédentaire, les besoins en mouvements du corps ne sont plus satisfaits, on se crée alors une activité physique sous forme de sport. La méditation c’est pareil : dans une société comme la nôtre où tout va très vite, on est submergé de demandes, d’interruptions, il y a pléthore d’informations, tout est fragmenté par les SMS, les coups de téléphone, etc. Ce dont on manque n’est pas de distractions, mais plutôt les temps de continuité, de lenteur, de calme.
Le succès de la méditation nous montre que c’est bon à certains moments de ne rien faire, juste sentir la vie s’écouler en nous, ne pas être sans arrêt en train de réagir aux stimulations de l’environnement.

Nous vivons dans une époque d’urgences ou de fausses urgences. L’urgence c’est ce qui va se transformer en punition si je n’y réponds pas. C’est urgent de rendre cet article à temps, de faire les courses, de réparer tel truc à la maison, sinon il va y avoir des ennuis. On passe notre temps à foncer d’une urgence à une autre. À côté de l’urgence, il y a les choses importantes. Les choses importantes c’est marcher dans la nature, parler avec des amis, faire de la peinture, et prendre le temps de vivre… On sait tous que c’est important, personne ne vous dira que c’est sans importance. Et pourtant quand on fait le compte des moments où on se consacre aux choses justes importantes, on s’aperçoit qu’il n’y en a pas beaucoup. Si on ne fait pas les choses importantes il est rare que l’on soit puni mais peu à peu des carences vont s’installer, comme quand il y a des carences de vitamines, des symptômes de fatigue, de stress s’installent. La méditation nous ramène cela au visage.

V.M: Les deux livres, le vôtre et celui de Michael Chaskalson, permettent au lecteur de découvrir la méditation et d’entrer  crescendo dans la pratique, ils proposent des exercices de méditation à la fin de chaque chapitre et sur un CD.
Le livre de Michael Chaskalson Méditer au travail est dédié à la pratique de la pleine conscience dans le cadre professionnel. Le lecteur y découvre que la pratique de la pleine conscience a un impact positif sur l’implication, la productivité, la satisfaction, l’humeur, renforce le système immunitaire, et, à l’inverse, il fait baisser l’absentéisme, le stress, le nombre de conflits, le turnover… Qu’est-ce que cela nous dit du monde du travail aujourd’hui ?


Dans le courant des méditants, il y a deux écoles : il y a ceux qui disent que si on pratique la méditation avec un objectif trop précis, elle est déjà corrompue. Normalement, méditer c’est se poser, se sentir exister, observer le fonctionnement de son esprit et ne rien attendre d’autre. Si je suis crispé sur l’obtention d’un résultat, j’empêche ce résultat d’apparaître. On ne peut pas se forcer à dormir, on peut se préparer à ce que le sommeil arrive.

La méditation fonctionne comme cela et c’est très juste, on peut préparer notre esprit à être présent au monde et à mieux voir ce qui se passe vraiment en nous et autour de nous. On ne peut pas vouloir atteindre cet objectif de manière trop pressante.
Donc il y a tout un courant de théoriciens et praticiens de la méditation qui disent que cette approche utilitariste de la méditation pose problème car elle est corrompue par essence. Ce sont des puristes, et c’est important d’écouter leur parole, ils rappellent ces grands principes.

Après, il y les pragmatiques, dont je fais partie, qui disent qu’il y a quelque chose d’antinomique en apparence, mais d’un autre côté, les gens comprennent bien que ce n’est pas de la relaxation, que quand on médite il se passe des choses difficiles, qu’on est dans du long terme. De ce fait, ce serait dommage de priver ces personnes de méditation et de les d’obliger à méditer dans des cadres très exigeants, sans aucune espérance de résultat. Ce qui se passait autrefois : huit jours de retraites silencieuses, avec des plages de méditation d’une heure à trois heures, 99% des gens fuyaient en courant. L’avantage de cette occidentalisation de la méditation est de proposer une première étape moins difficile à franchir. On dit aux patients et aux gens en entreprise que cela marchera d’autant mieux que "vous ne chercherez pas à obtenir de résultat". Chacun des exercices est : "rends-toi présent à ce qui est".

Le fait qu’il y ait beaucoup de demandes en entreprise est à la fois symptomatique et non symptomatique de ce qui se passe en entreprise. C’est non symptomatique car ce n’est pas que le problème de l’entreprise mais le problème de notre société toute entière, qui est une société pléthorique qui désapprend à rester posé, centré, stable, etc. Mais c’est aussi le problème de l’entreprise qui est un lieu qui incarne le court-terme et la réactivité, une valeur devenue recherchée en entreprise (alors que l’intelligence est parfois de ne pas être réactif). Par certains côté, l’entreprise est caricaturale de ces exigences.
Je ne sais pas si la méditation apportera des modifications décisives dans le monde du travail, mais je pense que cela en fera réfléchir plus d’un sur des manières différentes de travailler et interagir avec les autres. Mais je suis peut-être un grand naïf, je ne suis que médecin, pas dirigeant…


V.M : Comment pratiquer la méditation en entreprise ?

Il y a trois niveaux. Le premier niveau est celui de la découverte : vous découvrez l’approche à travers un CD, une conférence en entreprise, un séminaire d’initiation d’une 1/2 journée. Cela vous permet de voir si la méditation est faite pour vous. C’est une phase d’initiation.

Dans un deuxième temps, il faut apprendre à maitriser les outils, c’est une phase de formation. A Sainte-Anne, ce sont des cycles de huit semaines : un jour par semaine à raison de deux heures et demi à trois heures avec un instructeur qui vous prescrit des exercices à faire quotidiennement. A l’issue de ces deux mois, on considère que la personne a développé un goût pour la méditation de pleine conscience et qu’elle peut être devenir une pratiquante de cette une approche.
Le troisième niveau concerne le passage au style de vie : on est plus conscient de la nécessité de traverser nos journée en pleine conscience, d’être vraiment à l’écoute de quelqu’un sans juger ses propos, de profiter des moments où «je suis contraint à l’attente » pour respirer et observer dans quel état je me trouve, voir quelles sont les pensées qui traversent mon esprit, plutôt que remplir mon esprit avec d’autres tâches, d’autres activités. Cette troisième étape est une intégration de la pleine conscience dans notre style de vie.

La pleine conscience est une manière différente de s’engager dans nos activités.
C’est l’étape la plus difficile pour les particuliers et pour les entreprises. Est-ce que l’on peut introduire des valeurs de la pleine conscience dans le fonctionnement de l’entreprise : d’avantage de présence, de calme, de lenteur et de continuité au moins à certains moments ?  Est-ce que l’entreprise est prête dans les réunions de travail à n’avoir pas d’écran, ni de portable, faire que l’on s’écoute sans s’interrompre ? Est-on capable de permettre aux collaborateurs d’avoir au moins une demi-journée par semaine de travail au calme, sans être obligé d’être réactif mais plutôt pour clarifier des dossiers, faire de la prospective, réfléchir sur les évolutions à donner à son travail. C’est une conséquence de la pleine conscience.
Cette troisième étape est la plus difficile : c’est facile de découvrir, c’est facile d’apprendre, mais appliquer sur la durée la pleine conscience remet en question la façon de vivre pour un particulier, la façon de fonctionner d’une entreprise.

L’enjeu de la médiation n’est pas seulement de calmer les salariés stressés, l’enjeu de la méditation c’est prendre conscience de se qui se passe : prendre conscience de ce qui va bien et de ce qui va mal, de ce qui est absurde. Si mon environnement est malade, c’est normal que je n’aille pas bien. On ne peut pas tout mettre sur le dos de l’environnement, ni sur le dos de la personne.
Aujourd’hui, on charge beaucoup l’entreprise, l’accusant de rendre les gens malades, ce qui n’est qu’en partie vrai ; beaucoup de choses se sont améliorées en entreprise et beaucoup de gens aiment leur boulot, mais la pression du temps et la pression sur l’environnement dénature ce travail, en plus de créer du stress.


V.M : L’enjeu de la méditation en entreprise n’est-il pas que l’entreprise soit disposée à cette pratique en tant qu’entité, plutôt que de proposer individuellement la pratique à quelques personnes ?

Ce serait l’idéal : que les entreprises commencent à fonctionner sur du moyen terme plutôt que du court terme, qu’elles commencent à comprendre qu’à côté de la réactivité, il y a d’autres vertus, que sont  la lenteur et l’approfondissement. Ce sont des enjeux qui dépassent la vision de la méditation comme simple outil en gestion du stress.


V.M: Le livre de Michael Chaskalson est jalonné d’études scientifiques, neurologiques, psychologiques, statistiques, de schémas, définitions, citations qui apportent «la preuve », illustrent les bienfaits de la pratique de la pleine conscience et crédibilisent la démarche de l’auteur. En quoi est-ce important d’apporter ces éléments ? Est-il besoin d’argumenter autant pour expliquer et inciter à la méditation ?

C’est très important, parce que si vous regardez l’histoire de la méditation, qui commence il y a deux mille cinq cent ans avec le bouddhisme notamment, les humains commencent à méditer avec une optique spirituelle ou religieuse. Dans les années 1950-60, on commence à voir les premières irruptions de la méditation dans le champ du développement personnel, avec la méditation transcendantale dans les années 60 par exemple. Cela devient très à la mode mais finalement cela ne change pas grand-chose car il n’y a pas de preuves des résultats. Chacun y va de son bâtonnet d’encens, on se rase la tête, on s’assoit en tailleur et c’est parti...

La grande révolution intervient dans les années 90 avec les premiers chercheurs en neuroscience qui se posent la question de ce qui se passe dans le cerveau des méditants et qui voient des choses intéressantes, en matière de stabilité émotionnelle, qu’on peut objectiver à travers les images ; aussi les premiers médecins qui font des études qui regardent si l’on peut modifier certaines variables biologiques, de santé. Les résultats sont très favorables et depuis, c’est une explosion : il y a une multiplication de travaux sur les bienfaits de la méditation.
Attention, la méditation est géniale à condition qu’on la fasse : ce n’est pas le concept de méditation qui guérit, c’est la pratique ; cela marche chez les gens qui méditent 30 minutes tous les matins.

Là il se passe un truc très important : cette légitimité donnée par les études scientifiques fait que l’on peut importer la méditation à l’hôpital. Du coup, cela devient un truc sérieux, un outil concret, rassurant, puisque on montre que cela améliore l’attention et la concentration, pacifie la réactivité émotionnelle, améliore l’immunité, limite le vieillissement cellulaire, etc.
Donc c’est important comme caution : cela permet au décideur, que ce soit à l’hôpital, en entreprise, à l’école, de se dire que l’on ne fait pas rentrer n’importe quelle méthode. Je n’aurais jamais pu faire rentrer la méditation dans le service où je travaille à l’hôpital Sainte-Anne il y a 10 ans s’il n’y avait pas eu des études, des preuves. Pour un chef d’entreprise, c’est pareil : il lui faut des preuves convaincantes pour proposer de nouveaux outils à ses collaborateurs.


V.M : Michael Chaskalson est chercheur à l’université de Bangor, réputé en Grande-Bretagne en tant qu’instructeur et formateur en pleine conscience ; il pratique depuis 30 ans. Quels sont vos liens avec Michael Chaskalson ? Avez-vous travaillé ensemble ?


Non, il va venir bientôt en France une journée de formation à laquelle j’assisterai. Mais nous n’avons eu de liens qu’épistolaires jusqu’à présent.

V.M : Qu’est-ce qui vous a donné envie de préfacer le livre de Michael Chaskalson ?

Parce ce que c’est un bon bouquin. Il y a pleins de bouquins qui sont sortis sur la pleine conscience. J’ai trouvé que celui de Michael Chaskalson était plus clair, plus facile pour le public français, moins «sur-vendeur » des promesses de la méditation que bien d’autres.


V.M: Votre livre est très poétique, imagé au sens propre, il avance doucement et fait avancer le lecteur sur le chemin de la méditation, de manière subtile, tranquille et puissante.

Mon livre a une histoire intéressante. Lorsqu’on a décidé de faire ce livre avec mon éditrice, on ne pensait pas qu’un tel succès serait au rendez-vous, on pensait juste faire un bon livre qui allait trouver quelques lecteurs, mais certainement pas le best-seller qu’il est devenu.
L’idée de ce bouquin était de faire un vrai manuel de méditation, un guide pratique qui soit présenté sous une forme très particulière qui corresponde à l’esprit de la méditation : forcer le lecteur à décaler son approche, à quitter le rationnel pour aller vers l’émotionnel. Chaque chapitre commence par un tableau, on laisse le cerveau lire les émotions, les sensations. Après, chaque tableau délivre une petite leçon sur les techniques méditatives. Puis, j’embarque le lecteur : à côté de chaque information technique j’ai souhaité qu’il y ait une petite activation et induction émotionnelle, qui est ce qu’on cherche dans la méditation.
Dans la méditation vous êtes à la fois très présent, très vigilant, mais vous êtes aussi dans un lâcher-prise qui découle du fait que vous faites de la place pour l’intuition, pour le ressenti émotionnel.
Les lecteurs apprécient : c’est le manuel de méditation le plus vendu en francophonie.


V.M : Il a quelque chose de très modélisant. C’est une incitation à se mettre dans une posture de méditation, une posture d’ouverture.

Je voulais que le lecteur soit dans la contemplation. C’est l’esprit de la pleine conscience : se rendre intensément présent à quelque chose sans rien attendre.
Je voulais que chaque chapitre démarre par la captation de l’attention, mettre le lecteur dans une approche contemplative pour se préparer à la suite.


V.M : La pratique de la pleine conscience apparaît à la fois simple à comprendre et difficile à pratiquer : il y a, en effet, une simplicité apparente qui consiste à porter son attention sur son souffle, son corps, ses pensées, les sons. Mais elle suppose aussi des renoncements : renoncer à juger, ne pas culpabiliser, renoncer à avoir un objectif, renoncer à obtenir quelque chose de précis, lâcher sur l’intention…

Difficile à mettre en pratique. On comprend bien, mais s’asseoir et lâcher, c’est délicat. Et ce n’est pas un défi ou une équation que l’on peut résoudre par l’intellect. Seule la pratique régulière de ce lâcher-prise permet de piger comment on peut y accéder. C’est un chemin pour embrasser les grandes questions de notre vie, qui n’est pas notre chemin habituel, celui du contrôle, de la résolution de problème. C’est une toute autre voie, qui suggère qu’il y a des solutions qui viennent toutes seules si on arrête de gratter, de remuer, si on laisse décanter. On a besoin de ces deux voies, l’effort et le lâcher-prise, et de s’appuyer sur l’une quand l’autre ne nous aide pas.


V.M: La méditation peut-elle transformer nos sociétés ?

Il m’est difficile de répondre. La méditation transforme les individus, elle transforme le rapport des individus au monde qui les entoure, donc c’est possible qu’elle puisse transformer la société. Cela me paraît possible, mais je ne crois pas qu’elle puisse y arriver toute seule, il y a d’autres efforts nécessaires, citoyens, politiques…


V.M : Quel message pouvez-vous donner aux dirigeants d’entreprise pour les sensibiliser à la pratique de la pleine conscience ?

J’ai toujours un discours très modeste sur la méditation. C’est une approche qui peut paraître déconcertante et c’est peut-être justement pour cela que c’est intéressant pour l’entreprise. Il ne s’agit pas de quelque chose qui prend la place d’autre chose : on ne va pas renoncer à travailler, mais il s’agit d’enrichir et d’étoffer notre façon de travailler. Tout comme on dit à nos patients : il ne s’agit pas de cesser de  vivre, mais de méditer régulièrement, de vous arrêter pour regarder le ciel, de respirer, de ne pas vous jeter sur internet dès le matin... Pour l’entreprise, je crois que c’est un peu pareil : continuez votre boulot, mais dans un esprit différent, avec plus d’intelligence et de recul, plus de temps pour sentir le sens de ce que vous faites et de ce que vous vivez au travail…

Merci Christophe André.

Propos recueillis le 7 octobre 2013