À partir de ses recherches, l'auteure défend la mise en place d'un art outdoor, lequel ne se contenterait pas d'occuper des espaces, mais interagirait avec un lieu existant, tout en affectant les "gens".  

Il est vrai que l'utilisation par Georges Frêche de son mandat politique pour s'arroger le droit de faire l'histoire en imposant sa conception du monde à toute la ville de Montpellier, en faisant déposer des statues figuratives en hommage à Mao, Mandela, Nasser, ... et lui-même, mérite de longues discussions publiques de la part des habitants de Montpellier comme des citoyennes et des citoyens. A ce titre, l'auteure de cet ouvrage a raison de proposer ses considérations sur l'art déposé en public, même si elle n'est ni la première ni la dernière à explorer ces questions, largement redébattues déjà depuis l'époque du renouvellement de la commande publique dans les années 1980. Des revues désormais archivées de l'époque en témoignent. L'originalité de l'ouvrage est néanmoins sa rédaction par une philosophe, Joëlle Zask, philosophe, universitaire, bien connue pour sa traduction des ouvrages de John Dewey. Autrement dit, il ne s'agit ni d'un ouvrage d'histoire de l'art, ni d'un traité portant sur l'image en public. Mais d'un essai de philosophie politique, portant sur la politique esthétique civique déployée à partir des œuvres d'art, dans le contexte Nord-monde, ces dernières années.

 Définitions

Outdoor ou dehors, de l'extérieur, mais pas nécessairement outside ; par opposition à l'Indoor : dedans ou de l'intérieur, mais pas nécessairement inside. S'agissant d'art, il est donc question des œuvres d'art déposées dans les lieux publics (par opposition aux lieux protégés et intérieurs : musées, galeries, maisons, ...) : ronds-points, nature, parcours, parcs, ... Mais pas uniquement : il est question aussi de leur relation au lieu : éphémères, dissociables, indissociables, ... A leur sujet, on parle parfois d'« art public ». Encore faut-il s'entendre sur le sens de l'expression. En France du moins, et en droit français, est art « public », l'œuvre qui est financée sur des fonds publics, l'auteure a raison de le rappeler, et nous renvoyons le lecteur, pour complément, à un ancien numéro de la revue de l'Observatoire des politiques culturelles : Ce que les artistes font à la ville, n° 25, Eté 2004, dans lequel est examinée amplement la question de savoir ce qui est "public" dans l'art public.

Comment déployer, au sujet de ces œuvres, une typologie efficace, tant du point de vue social, politique ou esthétique ? L'auteure souligne qu'il existe trois manières d'être à l'extérieur : être à l'extérieur en restant enfermé sur soi et imperméable à l'environnement (par comparaison, la statuaire urbaine classique, sur socle, pour être vue par elle-même sans médiation du lieu (encore que... ce serait à discuter : la place de la mairie, devant la gare, etc. !)) ; être à l'extérieur et finir absorbé par lui par faiblesse (certains œuvres mal conçues) ; enfin, être à l'extérieur et entrer en interaction avec le lieu, ce que est désigné ici comme véritable outdoor, le reste n'étant qu'à l'extérieur.

C'est à cette dernière catégorie d'œuvres que Zask s'intéresse. Il s'agit là de l'art outdoor comme elle l'apprécie et souhaite le défendre. Et elle cite à ce propos, en France, la célèbre bicyclette ensevelie de Claes Oldenbourg dans le parc de La Villette (Paris). L'objectif ? Analyser les situations produites par ces œuvres, pour autant que les emplacements ont rarement été considérés comme une variable significative. Ce qui, là encore, mérite réflexion, puisque l'artiste a des droits sur ces choix et que les commandes sont souvent liées à des lieux négociés. Le témoignage des photos, invoqué par l'auteure, n'est pas probant (du fait des recadrages par le photographe).

Toujours est-il que le propos est mieux centré si l'on renvoie moins aux oeuvres citées qu'aux travaux précédents de Joëlle Zask sur la démocratie libérale. Dès lors, on saisit fort bien sa volonté de comprendre la nature politique et sociale du mode d'existence publique des œuvres outdoor, des œuvres qui sont exposées sous des paramètres qui ne sont jamais intégralement sous contrôle, dont les relations avec l'environnement ne sont pas unilatérales, mais complexes et changeantes en fonction des conditions naturelles et sociales. Et surtout, d'œuvres qui sont pleinement associées aux modes de vie démocratiques. « C'est l'idée que je défends dans cet essai, un art dont le mode d'existence et les expériences qu'il suscite sont pleinement cohérents par rapport aux principes de liberté, d'individualité, d'égalité et de justice que nous associons aux régimes politiques appelés des démocraties libérales ». Et l'auteure de préciser encore : "L'art Outdoor est une proposition dont l'expérience, l'appréciation, l'usage ne sont pas fixés d'avance, qui est faite à un nombre indéfini de visiteurs en tous genres", il "n'est pas destiné à jouer un rôle déterminé, ni vis-à-vis des passants et visiteurs, ni vis-à-vis des lieux où il est implanté".

L'art public, ratage de la démocratie

A contrario, cette polarisation et cette définition rétroagissent sur la dénomination classique d'art public. De là le titre d'abord énigmatique du chapitre consacré à "l'art public, ratage de la démocratie".

L'auteure attaque cette question par le terme « public » (et on se souviendra qu'elle est traductrice de John Dewey, auquel nous devons un ouvrage sur cette question). Que veut dire « public » dans l'expression "art public" ? Evidemment, répétons-le, il y a la signification banale : mettre en public, dehors, sur un terrain public, de telle sorte que l'œuvre soit accessible à tout public, tout le monde. La signification plus codifiée est aussi connue : être financé sur des fonds publics.

Et l'auteure de commenter plus largement et plus "politiquement" : "L'implantation des œuvres à l'extérieur, leur financement et le processus de commande sont en France les divers aspects d'un système global au regard duquel il est tenu pour légitime que la culture soit un objet politique : en effet il n'y a d'art public que dans la mesure où l'on admet qu'il appartient aux institutions politiques d'intervenir dans le domaine de la "culture", afin d'encourager certaines de ses expressions, d'en proscrire d'autres, de créer une image du pays à laquelle les concitoyens puissent s'identifier et qui ait des chances de s'imposer à l'étranger". Ce qui revient à relever que, dans ce cadre, l'Etat est censé avoir compétence pour décider des orientations de tous, compétences sans lesquelles il est admis que les citoyens ne seraient plus reliés entre eux. "Public" a alors un lien avec "intérêt général". En foi de quoi, une commande publique investit une œuvre de plus de qualités publiques qu'une autre. Et de préciser encore : cela "implique que le service public n'est pas seulement un service rendu au public tel qu'il est, c'est un service qui maintient et fait advenir le public, c'est-à-dire l'union des citoyens dans un Etat donné". Ce qui reviendrait à affirmer que l'art ainsi déterminé a automatiquement une finalité pédagogique.

L'auteure relit rapidement, à cette lumière, les textes fondateurs du renouvellement de la commande publique, depuis 1980. Mais c'est pour en déduire que la finalité de l'entreprise par conséquent n'est pas nécessairement celle de la recherche artistique (ce qui serait à discuter, y compris par rapport à l'histoire de la sculpture publique). Ou pour déclarer que la « démocratie culturelle » (sans précision) n'a que deux objets : permettre l'accession à l'art, et former chacun à l'appréciation esthétique. Et de conclure : « L'action publique revêt donc l'allure d'un sauvetage de la ville et des publics à l'égard de la perdition vers laquelle ils se dirigent autrement ». Les divers dispositifs de commande publique permettent ainsi de former "des gens" à apprécier certains objets sélectionnés en raison d'une virtualité pédagogique ou de leur capacité à produire du lien social. Certes, on aurait aimé plus de discernement sur ce plan, notamment sur les différentes séquences de la commande publique entre 1980 et 2010, sur les politiques culturelles (et la différence entre une période « platonicienne » et une période plus "aristotélicienne"), ce qui aurait, sans doute, mieux fait ressortir que l'art outdoor, à certains égards, contribue à définir un mode de fonctionnement de l'œuvre plus qu'une essence.

Que l'on soit en accord avec l'auteure ou non, elle cite toutefois des œuvres qui sont de véritables réussites : Kosuth (Figeac), Dibbets (Paris), Vilmouth (Châtellerault), ... Est-ce seulement parce qu'elles ont réussi à déjouer les impératifs de la commande ? Ce serait à discuter, comme la conclusion sur le "ratage" de l'art public (alors qu'une partie de ces oeuvres, citées positivement, relèvent bien de la commande publique dite "art public"). Nous renvoyons le lecteur à notre enquête publique conduite à l'occasion du 10° anniversaire de la mise en place de l'œuvre de Kosuth à Figeac.

L'art ou les œuvres ?

A dire vrai, il manque ici une distinction. Le projet de l'art est-il identique à la réponse de l'œuvre, réponse qui est toujours négociée, si on suit de près les processus de la commande depuis 1980 ? L'auteure n'aime pas le discours interventionniste et volontariste de la politique culturelle. Elle renverse la perspective en affirmant que : "Le devenir public des œuvres est soumis à des conditions de reconnaissance et de validation progressives, qui sont d'abord celles de l'artiste lui-même". On pourrait d'ailleurs revenir, à la lumière de cette phrase, sur les œuvres citées précédemment, les discours des artistes sur elles n'étant pas si précis.

Les œuvres d'art public, précise Zask, sont "purement et simplement assénées, au nom de l'intérêt général". Par contraste, cite-t-elle, Richard Serra, défendant Titled Arc (Etats-Unis), affirmait que l'art n'est pas fait pour plaire aux masses, mais doit jouer un rôle de réformation du goût (discours assez plat en somme, et assez général chez les artistes). Cette opposition, au demeurant, n'est pas si évidente puisque la dernière référence oublie les commanditaires de cette œuvre, et fait non moins l'impasse sur les discours des artistes de la commande publique qu'elle dénonce.

Sans doute "les caractéristiques d'un art qui est public de cette manière (Serra) sont donc différentes de celles qui qualifient un art considéré comme public a priori". Pourquoi pas ? Mais l'exemple de Serra ne vaut que si on "oublie" qu'il n'est pas arrivé un jour en camion pour déposer son œuvre n'importe où !

Cela étant, ce n'est pas le leçon que veut tirer Zask de tout ceci. Il lui importe de souligner d'abord que la gestion de l'espace public n'incombe pas nécessairement aux dirigeants des collectivités territoriales, et qu'ils ne sont pas les seuls garants du bien commun. Et ensuite, que la fonction dévolue à l'art public contribue à restreindre la présence du public à celle de « spectateurs », cette dernière notion étant comprise au sens passif du terme (en référence à des êtres subalternes et périphériques). De là une distinction fort importante, dans ce cadre : "Dans le premier cas, l'œuvre d'art commande un point d'arrêt qui oblige le passant à déconnecter son appréciation de ses autres activités. Il s'arrête et contemple. Le "moment" esthétique se détache du continuum de ses expériences. Dans le second cas, l'œuvre d'art occasionne la réorganisation d'une expérience en cours, comme un déplacement, une perception auditive, le sentiment d'une cohérence, sans l'annuler ou la détruire", où l'on retrouve les concepts de Dewey.

En tout cas, remarque-t-elle, si cette gestion politiques des œuvres aboutit au résultat massif que sont les aménagements des ronds-points (30 000 en France), devenus les vitrines d'expériences esthétiques, dit l'auteur "variées" pour être pudique, à l'exception des œuvres de Patrick Raynaud et Etienne Bossut (sous l'impulsion de la mairie de Villeurbanne), il n'y a pas de quoi rire ! Ajoutons au commentaire de l'auteur que n'importe qui peut consulter sur le net le jeu de classification annuel du rond-point le plus laid de France, conduit par les anglais à leur retour de vacances en France. C'est édifiant, au-delà de ce que Zask raconte.

Politique culturelle et régime démocratique

Forte de cette distinction entre art public et art oudoor, éprouvée notamment autour de l'analyse de l'implantation (incohérente, trahissant la pensée artistique de l'artiste) de l'œuvre de Dubuffet (1996, Chaufferie avec cheminée), l'auteure peut proposer une première conclusion, négative : l'art oudoor ne saurait être ni sacralisé, ni mis en scène, ni instrumentalisé au profit d'un rôle défini, et doit échapper à une objectivation restrictive. L'art public, en revanche, reste lié à la spatialisation du pouvoir qui conditionne la confusion entre public et dehors.

Cette distinction est alors investie dans une perspective plus large, celle des politiques culturelles. Zask souligne que, pour elle, la démonstration du pouvoir sous la forme d'une intervention manifeste dans les lieux publics et du contrôle de la culture par l'Etat ne sont pas des phénomènes dont la démocratie a besoin, ce qui reste une fonction de sa propre conception de la démocratie. Aussi nos politiques d'art public ne seraient rien d'autre que des résurgences de formes déployées pleinement dans les régimes totalitaires. Ce qui nous vaut un passage pas vraiment inédit sur l'art nazi et la politique en tant qu'art.

Et une étude rapide sur la position de Walter Benjamin sur cette question décisive d'une esthétisation de la politique.

Conditions de l'art outdoor

Il convient donc d'y revenir maintenant. Chose curieuse, mais finalement très positive, l'auteure attaque la question par la conservation des œuvres, faisant remarquer que le souci de cette conservation n'est pas seulement patrimonial, il concerne la question incontournable des rapports entre l'art et les publics passés, présents et à venir. Les facteurs à prendre en charge ne sont pas uniquement techniques, ils sont aussi historiques, esthétiques, artistiques et même affectifs. On pourrait d'ailleurs s'épargner la lourde tâche de la restauration, si l'entretien était mieux assuré (les règlements ne sont pas respectés, d'ailleurs pas plus que les nécessités de la signalétique). En France, assurément, la question est loin d'être réglée, même si quelques artistes arrivent, par le poids de leur notoriété, à inclure dans les contrats passés des clauses de sauvegarde (Buren entre autres).

Et l'auteure d'insister, c'est au niveau même de la préservation des œuvres placées en extérieur que l'on voit surgir la dimension de l'interaction fondamentale susceptible de nous permettre de dissocier dehors et public. Il n'en reste pas moins vrai que le dehors est un partenaire de la sculpture oudoor : jeux avec les éléments naturels, réactions à l'environnement et de lui, changements affectant l'œuvre, coopérations avec le lieu, ... (le raisonnement vaut évidemment bien au-delà du Land art).

Si la première condition de l'art outdoor est ainsi décrite, c'est que le dehors est traité par Zask comme expérience d'intégration (mélange équilibré de continuité et de rupture). La sculpture est conçue et réalisée en tenant compte des données du lieu, naturel ou urbain, tandis que le lieu est modifié par l'intervention de la sculpture. L'intégration, bien sûr, ne se réalise pas d'un coup, elle fait l'objet d'un long processus (on se demande même pourquoi la sculpture classique aurait échappé à cette condition), ici assimilé à celui de l'intégration de l'enfant dans la famille (ou à d'autres modèles sociologiques). En tout cas, l'intégration diffère complètement de l'assimilation et de la juxtaposition. Et de conclure : "Dire d'une œuvre qu'elle s'intègre à son environnement signifie que les propriétés lui permettant d'entrer en relation effective avec lui ont aussi la potentialité de modifier la perception qui en est formée". En art, comme en politique, précise l'auteure, il n'y a intégration que dans la mesure où l'ajustement des éléments en présence est mutuel et actif. Autant dire, en reprenant le vocabulaire de Marcel Duchamp, qu'un gap (écart) doit demeurer entre l'intention de l'artiste et la chose réalisée.

Autre condition : la nature déplaçable des sculptures. Si au départ, une œuvre d'art déposée au dehors est par définition une proposition, un test, une expérience (et il faudrait étudier ces trois verbes avec plus d'ampleur), elle ne doit viser ni l'absorption par ni l'agrégation au lieu. La relation au lieu doit être fertile, productrice d'un nombre indéfini de points de vue et d'expériences chez les regardeurs et les passants. Elle ne doit donc pas être encastrée dans un lieu. Mais plutôt le reconfigurer. Ainsi, conclut Zask, veiller à l'indépendance d'une sculpture par rapport au lieu tout en étant attentif aux éléments extérieurs par rapport auxquels l'artiste produit sa pièce relève pas d'un paradoxe.

A partir de ce point, l'auteure tente de mettre au jour des éléments pour une critique des sculptures en extérieur. Elle entreprend une étude détaillée du Land art, sur laquelle nous passons, mais élabore simultanément une comparaison critique entre une œuvre de ce type (Robert Smithson, Robert Morris, Denis Oppenheim) et une œuvre de l'artiste Didier Courbot (on peut trouver tous les renseignements sur son travail sur son site).

Eléments pour une critique des sculptures en extérieur

La question se pose de savoir comment se déterminent les lieux occupables par l'art. En l'occurrence, il existe de nos jours, dans le domaine de l'art comme de l'urbanisme, un intérêt croissant pour les espaces vacants, les lieux délaissés, et les interstices. Simultanément, d'ailleurs, les artistes déploient de nouvelles stratégies, plus modestes, se glissant dans l'environnement, voire des pratiques clandestines.

La raison d'être de ces pratiques, remarque Zask, est triple : libérer l'art de la logique du marché et de la spéculation ; désacraliser l'art et le séparer du cortège d'ostentation, de monumentalité où il est exposé ; laisser l'environnement intact, sacrifier au développement durable. Il n'en reste pas moins vrai que le problème se pose du statut du lieu d'intervention. D'autant que très souvent, les spectateurs ne perçoivent de ces gestes artistiques que les photos qui les leur donnent à connaître (et parfois dans des ouvrages fort bien édités).

Voilà qui introduit à une réflexion sur le spectateur, le regardeur et/ou le visiteur. D'autant que de nos jours, de nombreux projets déclarent vouloir faire participer les spectateurs. Habituellement, remarque Zask, si définie que soit l'activité proposée par un artiste à une population, elle forme un cadre limité à l'intérieur duquel le spectateur est contraint de se mouvoir. Peut-on pour autant laisser croire que le spectateur a à compléter l'œuvre, sinon à l'assujettir à une entreprise qui lui reste étrangère ? N'y a-t-il pas trop souvent confusion entre participer et être instrumentalisé ? La plupart des dispositifs participatifs conditionnent à l'avance l'expérience du spectateur. L'expérience de l'art disparaît.

Pour que l'art soit véritablement outdoor, il faut que le spectateur soit libéré de tout rôle dicté par l'œuvre. Plus la raison d'être « des gens » est de servir de moyen, plus ils se trouvent enfermés dans des frontières étroites. En outre, ajoute-t-elle, plus ces frontières sont valorisées par les dispositifs qui les utilisent, plus les individus sont dociles, plus ils se prêtent à un jeu qui n'est pas le leur. Ils n'engendrent rien.

Zask prend pour exemple la Fontaine des automates de Jean Tinguely et Niki de Saint-Phalle (Paris, place Igor Stravinsky, 1983). Elle est ici traitée comme une œuvre à prétention intégrative, au sens de l'outdoor. Elle est décrite, analysée dans son projet et dans sa facture. Du point de vue du public, remarque Zask, aucun destinataire n'est privilégié. Toutes les motivations dans l'approche sont possibles. L'œuvre (dont la composition même est à étudier) est implantée sans revendication d'une attitude particulière. Ce qui permet de revenir sur la question du spectateur en soulignant que le public des œuvres oudoor n'est pas composé de spectateurs. L'œuvre doit se prêter à une rencontre individuelle.

Autre exemple, en France : Les œuvres de Thomas Hirschhorn. Ce sont de véritables lieux propices à des activités variées comme discuter, lire, s'instruire, rencontrer des gens. On pense évidemment au Monument dédié à Gilles Deleuze. Ces monuments offrent des zones de contact fluctuantes aux visiteurs. "Ils forment des lieux de séjour, de rencontre et d'échanges où les rôles sont redistribués, y compris celui de l'écrivain commémoré". Ces visiteurs peuvent communiquer entre eux, discuter de leurs expériences, régler librement leur distance vis-à-vis du monument, ajoute-t-elle, sans doute en faisant un peu l'impasse sur quelques paramètres sociaux, urbains et esthétiques pourtant centraux, surtout chez Hirschhorn.

D'un mot donc, les sculptures outdoor ne se contentent pas d'occuper des espaces, elles interagissent avec un lieu existant, elles affectent les "gens". Et Zask de conclure sur ce point : "Les sculptures dehors s'adressent quant à elles non à un spectateur, mais à un regardeur, et même, plus généralement, à un visiteur qui exerce tous ses sens, par exemple du fait, qu'en se déplaçant, il en fait une épreuve physique".

Où, pour revenir sur le commencement de l'ouvrage, on voit fort bien la différence qu'elle instaure avec l'art public, statufié, imposant par injonction la culture officielle, surmontant les lieux par isolement sur un socle, ...(sur le modèle de la "statuomanie" de la III° République). Cette sculpture serait placée en un lieu pour que le bâti alentour la cerne. Les sculptures outdoor seraient dans l'espace urbain, et en interaction avec lui.

Il faudrait encore rendre compte des chapitres qui prennent en charge les questions d'espaces multiples, des aires de jeux et de loisirs, celles des œuvres qui opèrent la critique de la maison inhabitable, et celle des mémoriaux (telle qu'elle fut posée par Jochen Gerz, mais plus encore telle qu'elle est posée par Eisenman ou d'autres, désormais). Chacun de ces chapitres retraduit le parti pris adopté par l'auteure : dégager une autre logique du "faire public" pour les œuvres d'art.

Aussi en arrivons-nous à quelques conclusions.

A l'heure où nous voyons passer tant de nouveaux projets concernant les lieux publics, cette réflexion est bien venue en ce qu'elle oblige les uns et les autres, les commanditaires, les artistes, les sociologues, les urbanistes, à se poser des questions devenues incontournables. Les producteurs en cours des Nouveaux Commanditaires ne devraient pas s'exempter de la lecture de cet ouvrage.

Comme beaucoup désormais, Zask réussit à dédouaner l'art de toute fonction pédagogique ou politique : "Que l'artiste souhaite s'effacer en laissant prétendument aux spectateurs une place analogue à celle du créateur, qu'il propose une structure dont le fonctionnement repose sur leur intervention, que les visiteurs soient enjoints à modifier leurs perceptions habituelles, à déchiffrer l'œuvre comme une énigme, à percer un mystère, à découvrir ou reconfigurer tel ou tel dispositif, la mise en contact avec l'œuvre repose non sur une invitation à l'intégration mais sur une demande d'adhésion". Elle renvoie à l'expérience, dans un logique liée à la philosophie de Dewey.

En définitive, il est bien question ici d'un essai philosophique, et non historique ou esthétique. Et de son ambition : tenter de sortir l'art mis en public de l'alternative entre l'enfermement sur soi et la communion, en l'incluant dans une théorie démocratique pour notre temps, laquelle demeure une manière de traiter la démocratie comme un mode de vie