Un recueil de critiques littéraires du romancier Julian Barnes.

“Novels tell us the most truth about life : what it is, how we live it, what it might be for, how we enjoy and value it, how it goes wrong, and how we lose it. Novels speak to and from the mind, the heart, the eye, the genitals, the skin ; the conscious and the subconscious. What it is to be an individual, what it means to be part of a society. What it means to be alone. Alone, and yet in company : that is the paradoxical position of the reader”   .

Ainsi commence Through the Window le dernier recueil d’essais de Julian Barnes à la fois défense et illustration de la forme romanesque. Une telle recension mériterait d’être simplement une longue citation mais, puisqu’il s’agit tout de même d’une compilation de critiques littéraires, l’auteur nous permettra sûrement d’en dire plus.

Avant tout romancier, et parmi les plus brillants que compte le Royaume-Uni en compagnie de Jonathan Coe, Howard Jacobson, David Lodge ou Ian McEwan, Julian Barnes se fait à l’occasion essayiste et critique littéraire, revenant sur ses pas puisqu’il débuta sa carrière comme journaliste au Times Literary Supplement puis à la New Review. Francophile, et aimé par le lectorat français, Barnes a reçu le prix Médicis essai pour Le Perroquet de Flaubert en 1986 et le prix Femina étranger pour Love, etc. en 1992. Ce n’est que dernièrement (en 2011) qu’il fut couronné dans son pays par le Man Booker Prize (équivalent du Goncourt) pour The Sense of an Ending, par ailleurs traduit cette année au Mercure de France sous le titre d’Une fille, qui danse par Jean-Pierre Aoustin. Son dernier essai publié en France, Rien à craindre (2009), avec pour thème la peur devant la mort, avait déjà prouvé qu’il était aussi excellent essayiste que romancier.

Dans Through the Window, Julian Barnes propose une série d’essais, à mi-chemin entre la critique littéraire et le portrait, portant sur des œuvres et des auteurs anglo-saxons et, pour une bonne part, français. Dans ses textes, Barnes n’hésite pas à mêler dans une forme agréable éléments biographiques, anecdotes et analyses stylistiques. Il se met au service d’auteurs oubliés, déconsidérés ou surestimés.

Dans les premiers chapitres, il consacre ainsi de très beaux passages à la discrète romancière Penelope Fitzgerald, se fondant sur les souvenirs de leur rencontre. Le poète Arthur Hugh Clough a aussi le droit à une tentative de réhabilitation, en précurseur de Philip Larkin. Au contraire, George Orwell, en passe de devenir un monument national, tombe de son piédestal sous la plume de Barnes qui le juge trop dogmatique : “Given that he died at the age of forty-six, it’s scary to imagine the crustiness that might have set in had he reached pensionable age”   . Barnes consacre trois chapitres au romancier britannique, ayant longtemps habité la Provence, Ford Madox Ford, auteur de The Good Soldier (1915) : excellent romancier ne manquant pas d’admirateurs ni de lecteurs…   .

Chez Barnes, la France est à la fois une terre d’accueil pour auteurs britanniques, comme Ford Madox Ford, ou motoristes comme Ruyard Kipling, et une terre elle-même féconde de romanciers. Dans les pages qu’il consacre à Kipling, Barnes se demande d’ailleurs comment expliquer la réception enthousiaste de l’œuvre d’un Kipling en France, pourtant chantre de l’impérialisme britannique   . Dans ces chapitres, il affirme encore une fois son excellente connaissance et pratique des auteurs français, comme lorsqu’il aborde l’œuvre du moraliste Chamfort, le rôle de l’inspecteur des monuments historiques Prosper Mérimée ou le peu connu Félix Fénéon, qui sut élever la rubrique des chiens écrasés au rang de littérature. Les lignes qu’il écrit à propos du plus contemporain Michel Houellebecq frappent de même par leur justesse : “This sense of Houellebecq being a clever man who is a less than clever novelist obtrudes most in the novel’s dealings with Islam”   .

Les derniers articles regroupés reviennent, après une leçon magistrale de traduction à propos de Madame Bovary, au monde anglo-saxon avec Wharton, Hemingway auquel il consacre une nouvelle en forme d’hommage, Moore, Updike et Joyce Carol Oates, au sujet de son livre où elle revenait sur son année de veuvage. Dans ce dernier chapitre, Barnes est particulièrement fin dans sa manière de décrypter les écrits de la romancière américaine, dont le dernier opus a de quoi le toucher personnellement, Barnes ayant perdu sa femme, l’agent Pat Kavanagh, en 2008.

Il est particulièrement plaisant de lire un grand romancier écrivant sur d’autres grands romanciers, ou, pour le dire autrement, de voir un observateur observer d’autres observateurs. Le style de Julian Barnes est toujours aussi subtil, ce dernier sachant faire rire le lecteur avec une chute bien placée ou en ayant recours, après un long et sérieux développement, au mot juste, souvent décalé. Incontestablement, Barnes est maître de l’art du choix de comparaisons qui permettent de rendre vivantes ses opinions littéraires. Finalement, le seul risque qu’encourt le lecteur en ouvrant Through the Window, c’est d’être convaincu par son auteur de la valeur des romanciers et des œuvres présentés