Il y a quelque chose d’étrange dans la conscience que nous avons des nouveaux moyens de production lorsqu’ils correspondent à une articulation entre arts et sciences. Les formes des produits nouveaux sont encore réfléchies sous la domination de la pensée ancienne et respectable de l’art et de la science. Le neuf ne cesse d’être recouvert par l’ancien sans doute afin d’être mieux digéré dans le registre qui est le sien, la marchandise. En ces réflexions, la collectivité cherche tout ensemble à promouvoir le nouveau et à le transfigurer pour le rendre moins agressif. Dans le rêve où notre époque se dépeint la suivante, cette dernière apparaît mêlée à une pensée venue du plus lointain passé. Du moins pouvons-nous espérer que la perspective n’en soit pas plus terrifiante.

Pour ceux qui lisent des textes critiques sur la marchandise, le pastiche auquel nous venons de nous livrer fera signe vers Walter Benjamin, celui du Paris, Capitale du XIXe siècle.

Mais ce n’est pas pour parler de Benjamin que nous nous sommes livrés à cet exercice. L’idée était de revenir sur les travaux arts et sciences dès lors qu’ils virent à la simple exploitation et exaltation technique. C’est le sens que prennent le plus fréquemment les travaux couverts par le label Arts et Sciences. De façon dommageable, ils représentent soit l’ultime tentative de sortie de l’art assiégé dans sa tour d’ivoire par la technique ; soit l’ultime tentative de camouflage de la technique assignée à devenir rentable par le jeu de l’art.

Et le rappel du texte de Benjamin vient bien, dans cette optique, rappeler ce qu’il en a été de l’architecture de fer au XIXe siècle, recouverte de signes d’art pour mieux paraître devant le public.

Encore ne parlons-nous ici que de la pensée qui saisit ces opérations.

Une pensée qui croit pouvoir, par exemple, recourir aux Grecs pour expliquer que la séparation art et sciences n’est pas nécessaire. Ce qui est juste, puisqu’elle est datable historiquement et ne relève donc d’aucune nature. Mais la justification est fausse, si elle laisse croire que la "technè" grecque aurait déjà opéré la synthèse arts et sciences. D’une part, parce que "technè", dans le contexte d’origine, renvoie à des objets qui n’ont de sens que dans une hiérarchie qui est celle du cosmos grec. D’autre part, parce qu’il est illusoire de mettre sous le terme "art", en pensant aux Grecs, ce que nous mettons sous ce terme. Et c’est pire encore pour "science". Sauf à ne jamais avoir lu les textes des auteurs dont on se réclame.

Dans ces pensées arts et sciences, en outre, il faut absolument revenir, concernant notre époque cette fois, sur le vocabulaire à partir duquel parler les rapprochements. Que l’on parle de collaboration, d’alliance, de coordination ou de métissage, de collaboration ou de transversalité, voire d’hybridation ou d’interférence, ce n’est évidemment pas la même chose et les orientations prises divergent totalement. En dehors du fait que chacun de ces termes peut correspondre réellement à des travaux entrepris, les distinguant alors d’autres pratiques, ce qui ne relève pas de notre propos ici, chacun d’eux, en prétendant dépasser la juxtaposition des intérêts des uns et des autres, ne dit pas du tout la même chose et ne réfléchit pas ces processus de la même manière. Ni dans le rapport entre arts et sciences, ni dans les finalités des projets.
 
La seule chose à peu près claire, sur l’ensemble des processus en cours, c’est que les opérations encouragées sous le titre "arts et sciences" sont le plus souvent destinées à atteindre de nouveaux publics, et simultanément à favoriser l’appropriation des nouvelles technologies par des publics déjà engagés dans l’usage des technologies contemporaines.

Une dernière chose cependant, les rencontres arts et sciences ont le mérite de mettre en relation des personnes qui ne se rencontrent jamais compte tenu des divisions de la société : non seulement les chercheurs et les artistes, mais aussi les élus, les directeurs d’institutions, les personnels des institutions culturelles, ... Autant de rencontres qui assouplissent sans aucun doute les rapports sociaux. Mais c’est un autre registre.
    

 

Réf. La revue-i, "6° biennale arts-sciences 2011", publication de l’Hexagone Scène nationale de Meylan. Et dans un autre genre, mais qui y revient par un autre biais : l’exposition du Grand Palais, Beauté animale, commissaire : Emmanuelle Héran.