L’Europe a-t-elle besoin de l’euro ? Contrairement à la chancelière allemande, Angela Merkel, le député du SPD, Thilo Sarrazin ne le croit pas. Rendu célèbre en Europe par son précédent pamphlet sur les méfaits de l’immigration musulmane, Deutschland schafft sich ab (L’Allemagne court à sa perte, éd. DVA, 2010, vendu à 1,5 millions d’exemplaires), nourri de thèses biologiques douteuses, il vient de publier un brûlot contre le consensus pro-européen de la scène politique allemande. Europa braucht der euro nicht (L’Europe n’a pas besoin de l’euro, éd. DVA) défend l’idée minoritaire que la zone euro présente plus de risques que d’avantages pour l’Allemagne car les échanges commerciaux s’y développeraient moins vite qu’avec des pays non européens. Comme beaucoup, il juge que l’instauration d’une union monétaire avant une union politique est la cause des maux que connaît l’UE aujourd’hui.

Jusque-là, l’analyse de l’ancien membre du directoire de la Bundesbank   , si elle est hétérodoxe, n’irait pas jusqu’à choquer les pères la rigueur allemands, partisans d’une stricte discipline budgétaire. Même ceux-là, dans le contexte actuel, peuvent entendre de tels arguments. Le bât blesse dans le rapprochement, savamment calculé par Sarrazin, fait entre la Shoah et la prise d’otage de l’Allemagne par ses partenaires de la zone euro. Selon lui, les pays européens en grande difficulté économique joueraient du souvenir culpabilisant de la Shoah pour inciter l’Allemagne à corriger leurs errances budgétaires à leur place. Les partisans des euro-obligations seraient "poussés par ce réflexe très allemand selon lequel nous ne pourrions finalement expier l'Holocauste et la Deuxième Guerre mondiale qu'une fois transférés en des mains européennes l'ensemble de nos intérêts et de notre argent." L’Allemagne devrait donc refuser ce chantage odieux et imposer à la Grèce ou l’Espagne la rigueur qu’elle s’applique à elle-même.

Sur le plan économique, le point de vue de Thilo Sarrazin semble avoir été plutôt bien accueilli au moment où ses camarades sociaux-démocrates et verts ont cessé de défendre le projet d’eurobonds proposé par François Hollande. Ils se contentent désormais de proposer la création d’une "caisse d'amortissement" (Schuldentilgungsfond), qui permettrait de ne mutualiser que les dettes allant au-delà de 60 % du PIB de chacun des pays.

Sur le plan historique en revanche, la polémique enfle. Le ministre des finances Wolfgang Schäuble a dénoncé dans le Bild "l’absurdité absolue" de ces thèses, fruits de véritables convictions ou d’un "calcul méprisable". A l’inverse, l’éditorialiste autrichien Georg Hoffmann-Ostenhof rappelait les propos récents tenus par Helmut Schmidt, ancien chancelier social-démocrate encore très écouté en Allemagne : "Nous ne sommes pas assez conscients du fait que les Allemands suscitent la méfiance de presque tous leurs voisins et pour des générations encore"