Les Data Journalism Awards ont été décernés hier pour la première fois, récompensant les meilleurs projets de ce genre émergent. "Raconter une histoire à partir de données" : voilà comment on pourrait définir de manière simple le data journalism. Il apparaît comme une des voies les plus prometteuses dans la nébuleuse des nouveaux usages de l’information sur les supports en ligne. L’idée est de rendre lisible une masse de données statistiques souvent aride et indéchiffrable. Pour ça, codeurs et informaticiens d’une part et journalistes d’autre part s’associent pour créer des applications interactives qui "créent une histoire" autour des données et permettent à l’usager de se les approprier. Ainsi un travail de collaboration double une tâche plus classiquement journalistique de mise en perspective et d’investigation. Cette complémentarité entre rédacteurs et informaticiens explique le surnom du data journalism : "journalisme hacker". En France, si le data journalisme reste balbutiant, le pure player Owni est à la pointe et en a fait sa spécialité. C’est le journal britannique le Guardian, avec son datablog qui a été précurseur.

Les Data Journalism Awards ont été remis dans le cadre de News ! (News World Summit) un séminaire de réflexion sur les usages du journalisme en ligne et du cross media. Le data journalisme a été identifié parmi d’autres outils (comme le live-blogging) comme une importante piste de développement : c’est pour le soutenir et définir les standards du genre que le prix a été créé. Le sommet News ! est organisé par Global Editors Network, un réseau mondial de rédacteurs en chef qui a lieu du 30 mai au 1er juin à l’Hôtel de Ville de Paris. Des professionnels de l’information du monde entier participent à des débats et conférences placés sous le thème "4 écrans" : télévision connectée, ordinateur, tablette et mobile. C’est sur ces supports qu’il s’agira de développer les innovations du journalisme.

Le prix récompense six projets dans trois catégories : data-driven investigations, data visualisation and storytelling, data-driven applications. Dans chacune, il y a un lauréat au niveau national ou international et un au niveau local. Pour l’investigation, le jury a choisi un projet sur l’action du FBI contre le terrorisme et une enquête du Seattle Times sur la prescription de méthadone présentant de nombreuses cartes et tableaux interactifs. Le projet lauréat dans la deuxième catégorie pour l’international est le plus représentatif des potentiels du data journalisme : c’est une application développée par le Guardian illustrant le développement sur Twitter des rumeurs pendant les émeutes de l’été 2011. Par une animation interactive à l’esthétique fascinante, on peut voir comment ont été relayés ou démentis des tweets mensongers au fur et à mesure du temps. Au niveau local, le jury a sélectionné un outil développé par deux journalistes russes permettant de visualiser les accidents impliquant des piétons dans la ville de Novosibirsk. Dans le dernier sous-genre, les applications, a été récompensé un projet suisse, "Politique transparente", rendant visible et lisible les votes de chaque parlementaire. Pour le local, le choix du jury s’est porté sur "Illinois school report card" du Chicago Tribune qui propose une carte interactive illustrant les performances des écoles de l’Etat.

C’est cette dernière catégorie qui met le mieux en lumière l’innovation représentée par le data journalism : ici c’est la présentation brute de la donnée qui est essentielle, et tient un rôle de décodage. Conçue techniquement par un informaticien, ce genre d’application a néanmoins un rôle journalistique très clair : répondre à l’impératif de donner des clés de compréhension de la vie politique ou sociale au citoyen. Le concept est lié à la philosophie de l’open data, qui préconise une disponibilité pour tous de diverses données. La lutte pour l’open data peut concerner une absence de copyright sur les œuvres culturelles, mais aussi une demande de transparence politique. Wikileaks, qui avait rendu public des documents secrets essentiellement dans le domaine de la diplomatie, s’était inscrit dans cette continuité. L’arrivée de cette masse de données avait mis en lumière la nécessité pour les journalistes de trouver un moyen de les rendre lisible.

Alors que les tentatives de journalisme en ligne se sont souvent résumées à la transposition des langages préexistant (textes, son, image, vidéos), parfois en les juxtaposant, l’utilisation de l’application par le data journalisme tente d’utiliser les possibilités offertes par ce nouvel outil en rendant possible une interactivité. Ce qui ne fait jamais que renouer avec le concept déjà ancien d’hypertexte : l’idée, théorisée par Ted Nelson en 1965   , était de briser la linéarité de la narration pour laisser l’usager construire son propre parcours. Une question se pose, toujours la même : quel modèle économique ? Elle fait partie de celles qui seront abordées lors de News !