Le résultat du 6 mai 2012 et la victoire de François Hollande, avec 51,62 % des suffrages exprimés, a été saluée comme une victoire assez nette, bien que plus étriquée que les prévisions des instituts de sondages ne le laissaient entendre, et rappelle le score de François Mitterrand, élu le 10 mai 1981 avec 51,75 %.

Au-delà de ces deux chiffres très proches, certains observateurs ont remarqué une ressemblance parfois troublante entre les victoires socialistes de François Mitterrand et de François Hollande, avec pourtant plus de trente ans d'intervalle, bien que l'alternance fût plus inédite en 1981 qu'en 2012.

En mai 1981, selon l'expression restée célèbre de François Mitterrand, une majorité sociologique était parvenue à trouver sa majorité politique, après plusieurs tentatives infructueuses (élections présidentielles de 1974, élections législatives de 1978). En mai 2012, le contexte politique est différent et le changement – on parle moins d'ailleurs d'alternance qu'en 1981 – était largement attendu après un quinquennat sarkozyste marqué par de fortes tensions, des défaites de la majorité présidentielle aux élections dites "intermédiaires" et une crise économique très aiguë. De ce point de vue, comme toute élection présidentielle, celle de 2012 a présenté une spécificité – en particulier le poids important de l'extrême droite au premier tour. Cependant, il reste assez frappant que sur plusieurs points, c'est bien de celle de 1981 qu'elle se rapproche le plus.

Tout d'abord, la victoire du 6 mai 2012 est intervenue après une phase de tâtonnements programmatiques et de recherche d'un candidat. En 1981, c'est assez tardivement, durant l'hiver, que François Mitterrand, premier secrétaire du Parti socialiste depuis le congrès d'Epinay (1971), dix ans plus tôt, avait pris le dessus sur Michel Rocard, longtemps donné favori dans les sondages, et son programme présidentiel a dû être l'objet d'un travail rapide car le programme commun de gouvernement, signé en 1972 entre le PS et le PCF, fut rompu à l'initiative des communistes en septembre 1977, notamment à la suite de victoires socialistes aux élections municipales. En 2011, c'est par des primaires ouvertes inédites que le candidat François Hollande, très largement distancé dans les sondages jusqu'à l'affaire Strauss-Kahn de mai 2011, a été désigné alors que le projet socialiste avait été élaboré préalablement par le Parti socialiste mené par Martine Aubry – et de fait, le programme du candidat fut, sur certains points, assez différent.

Comme lors de la victoire de 1981, celle de 2012 fut permise par une importante unité des socialistes et le talent de rassemblement de François Hollande n'est pas sans rappeler, de ce point de vue, celui de son illustre prédécesseur socialiste. La similitude entre les deux hommes s'explique d'ailleurs pour une bonne part par leur parcours équivalent au sein du Parti socialiste, en tant que Premiers secrétaires : 10 ans pour François Mitterrand (1971-1981) et 11 ans pour François Hollande (1997-2008), marqués pour l'un comme l'autre par d'importantes victoires locales mais aussi par des défaites aux élections nationales (présidentielles de 1974, 2002 et 2007, législatives de 1978, 2002 et 2007). La leçon de la défaite de 2007 et du manque du soutien des socialistes à la candidate Ségolène Royal fut ainsi, d'une certaine manière, tirée par celui qui, alors à la tête du PS, avait été en partie responsable de cette troisième défaite consécutive à l'élection présidentielle, après les candidatures malheureuses de Lionel Jospin en 1995 et en 2002. François Mitterrand était convaincu, en 1974 puis en 1981, de la nécessité d'une candidature unique et rassemblée après le sévère désaveu des forces politiques de la gauche, absente du deuxième tour des élections de 1969. Mitterrand comme Hollande ont en tête lorsqu'ils remportent la victoire à la magistrature suprême qu'une élection présidentielle se gagne d'abord au premier tour et cette conviction, mûrement réfléchie, a été forgée par l'expérience des défaites et des divisions.

Comme Mitterrand en 1981, François Hollande ne s'est pas trompé de cible en 2012 : le "président sortant", comme il l'appelait, était d'ailleurs une expression largement reprise du vainqueur de Giscard. Dès le début des deux campagnes, l'effort fut directement dirigé contre le bilan du président-candidat. Alors que François Mitterrand avait le moins possible parlé de Jacques Chirac et de Georges Marchais, d'une manière assez équivalente, François Hollande a, dans ses meetings et interventions, largement épargné François Bayrou et Jean-Luc Mélenchon, dont il savait qu'ils pourraient lui être utiles au second tour. Comme Mitterrand contre Giscard, Hollande ne porta qu'assez rarement ses attaques d'un point de vue personnel mais cibla ses coups sur le point faible de son adversaire, là où il était largement vulnérable : son bilan économique et social et sa pratique vue comme "anormale" du pouvoir. En 1981, Mitterrand évoquait l'accroissement spectaculaire des inégalités, "l'insolence du luxe" et "les bénéfices insensés remportés par tel ou tel groupe financier" et considérait que "le désordre est partout, il est dans le chômage, il est dans la vie chère, il est dans une société qui jette sa jeunesse"... Le parallèle est assez frappant, à la fois en termes de contenu et de registre discursif, avec François Hollande qui, en 2012, a axé sa campagne sur les chiffres du chômage, le "président des riches" et des cadeaux fiscaux, ainsi que sur le nécessaire redressement économique en misant sur la jeunesse.

En termes de techniques de communication, au-delà des postures physiques (notamment lors des harangues des meetings), l'exemple de 1981 et de François Mitterrand est évident dans la stratégie de François Hollande. Ainsi, lorsqu'il évoque, dès 2010, la nécessité d'une "présidence normale", en écho à "l'hyperprésidence" sarkozyste, mais aussi dans le but de se démarquer de Dominique Strauss-Kahn, alors donné largement favori, il a sans doute en tête le slogan "la force tranquille" de François Mitterrand. De fait, Aquilino Morelle, qui après avoir été directeur de la campagne d'Arnaud Montebourg pendant les primaires, est devenu responsable des discours au sein de l'équipe du candidat en 2012, a repris de nombreuses formules issues de discours et d'interventions de François Mitterrand – il n'était pas rare de le croiser, dit-on, avec les deux célèbres tomes de recueil (Politique I, Fayard, 1977 et Politique II, Fayard, 1981).

De manière moins attendue – et encore moins voulue, sans doute ! –, le parallèle avec la campagne de 1981 vaut aussi pour celle de Valéry Giscard d'Estaing, comparée à celle de Nicolas Sarkozy en 2012. Comme Giscard, le président-candidat de 2012 a choisi comme slogan et thème de campagne celui de "la France forte" en cherchant à la fois à renforcer sa crédibilité d'homme d'Etat face aux tempêtes économiques et financières et à critiquer en creux une inexpérience et une faiblesse chez son adversaire socialiste. Comme Giscard, élu en 1974 grâce à une campagne moderne et efficace qui avait marqué les esprits en portant à la présidence un homme jeune et dynamique, Nicolas Sarkozy avait été élu en 2007 de manière incontestable sur une promesse de rupture et de modernisation du pays. Et comme Giscard en 1981, Sarkozy en 2012 n'a pas su retrouver l'élan de sa première campagne victorieuse. Il s'est d'ailleurs aussi (involontairement ?) inspiré du Giscard de 1981 lorsqu'il a demandé, le soir du premier tour, la tenue de plusieurs débats avec son concurrent, essuyant le même refus, aussi catégorique que stratégique, de la part de François Hollande que Giscard de la part de François Mitterrand durant l'entre-deux-tours de 1981.

Précisément, lors du débat d'entre-deux-tours, la comparaison semble encore assez intéressante entre celui de 1981 et celui de 2012. Alors qu'il avait semblé maladroit et peu à l'aise face à Giscard en 1974, François Mitterrand s'était méthodiquement préparé sept ans plus tard, ne rechignant pas à jeter par écrit des formules qui pourraient faire mouche le jour J (il a d'ailleurs été retrouvé dans ses notes personnelles une phrase bien connue qu'il avait volontairement encadrée : "Vous êtes l'homme du passif" en référence à l'interpellation de son adversaire "Vous êtes l'homme du passé" en 1974). Lorsque Mitterrand dégaina cette petite phrase bien travaillée, Valéry Giscard d'Estaing resta d'ailleurs sans voix – bien que l'interdiction de plans de coupes, minutieusement décidée par Serge Moati lors des préparatifs de l'émission, ne permette pas de connaître l'expression de son visage à ce moment-là du débat. De même, lors du débat du 2 mai 2012, il semble assez frappant de voir à quel point la désormais célèbre anaphore de François Hollande ("Moi, président de la République..."), martelée à seize reprises face à un Nicolas Sarkozy aphone et presque groggy, a certainement fait l'objet d'un travail rhétorique préparatoire. Dans les deux cas, même s'il est bien entendu évident que ce ne sont pas ce type d'accessoires discursifs qui font ni ne défont une élection présidentielle, l'effet a été réussi, malgré un aspect nécessairement artificiel.

Comme lors de la campagne victorieuse des socialistes en 1981, l'organisation et la machine électorale du Parti furent particulièrement efficaces en 2012. Mieux qu'en 1974, où il avait dû beaucoup improviser – car la campagne suivant le décès de Georges Pompidou fut particulièrement courte –, Mitterrand avait su magistralement gérer son temps et imprimer son rythme à la campagne présidentielle en 1981. De même, en 2012, François Hollande, donné gagnant par tous les instituts de sondages au deuxième tour durant toute la campagne depuis sa désignation en octobre 2011, a cherché à réduire au maximum ses prises de risques et ses effets de surprise – quitte à ce que la ferveur des meetings soit moins vive qu'en 2007 –, à l'exception notable de la proposition de taxation à 75% des plus hauts revenus, et n'a pas dévié de sa ligne ni de son programme du début à la fin de sa campagne, contrairement à son adversaire qui, parti aussi tardivement que Giscard en 1981 et naviguant à vue, n'a pas su donner de cohérence globale à sa réélection ni à son projet présidentiel pour les cinq années à venir.

Comme Mitterrand en 1981, Hollande en 2012 a agi en stratège, parfois machiavélien, en se gardant de répondre de manière trop précise à certains points du changement qu'il proposait. Ainsi, sur des questions politiques et sociales importantes, Hollande s'est montré aussi prudent sur certains sujets (politique européenne, immigration, répression des drogues douces, vote des étrangers aux élections locales) que Mitterrand en 1981 sur d'autres questions tout aussi sensibles à l'époque (peine de mort, institutions de la Ve République, rapport avec les communistes...).

La liste de parallèles pourrait être encore plus longue mais il faut bien entendu avoir à l'esprit qu'en matière d'élections présidentielles, comparaison n'est pas (toujours) raison. Néanmoins, il nous semble utile de considérer que, d'un point de vue global, et même si le contexte est fort différent – personne n'évoque bien évidemment l'arrivée de chars soviétiques à Paris en 2012 (!), quoique certains n'en sont pas loin... –, les principales données de la stratégie électorale, qui ont été déterminantes dans la victoire finale, ne sont pas fondamentalement très éloignées entre mai 1981 et mai 2012. Comme Mitterrand en 1981 – pour qui il a travaillé à l'Elysée et qu'il a d'ailleurs toujours vu comme son modèle politique, avec Jacques Delors –, François Hollande a commis très peu d'erreurs tactiques et aucune faute politique, notamment à l'égard de ses partenaires potentiels. Sa maîtrise du temps, sa connaissance des dossiers – il a rarement été mis en difficulté, par les journalistes en particulier – et son indéniable chance – facteur indispensable, dont certains diront qu'il a su la provoquer – ont fait le reste. Alors qu'il était volontiers moqué comme l'homme des synthèses molles au moment des congrès socialistes, peu sont ceux qui croyaient en François Hollande lors de la fin de son long mandat au PS en 2008 – ils doivent se compter sur les doigts d'une main – et, parallèlement, rares étaient les commentateurs, même les plus avisés, qui misaient encore sur "l'homme du passé" qu'était Mitterrand après ses défaites présidentielles de 1965 et 1974...

En définitive, même si les circonstances et le contexte politique sont toujours déterminants dans une élection, il semble que, parmi les facteurs plus subjectifs, la volonté et la croyance profonde en un destin personnel peuvent, à un moment voulu, faire ou non la différence. C'est peut-être, parmi bien d'autres, cette leçon de son maître François Mitterrand qui a le plus marqué l'élève François Hollande