Un hommage intime et précis, mais sans nuances, du prix Nobel de littérature 2010.

Le prix Nobel de littérature 2010 mérite bien une statue. C’est ce qu’a dû se dire Albert Bensoussan, son traducteur français, avant de relever cet accessible défi. Fan absolu, il se livre dans cet ouvrage, Ce que je sais de Vargas Llosa, à un éloge sans réserve. Il suffit de relever les derniers mots de chaque chapitre pour se convaincre de la tonalité unilatérale du livre : Vargas Llosa est ce “géant”   , un “maître”   , un “fleuve de paroles, un torrent d’écriture”   , que Bensoussan n’hésite pas à égaler à Hugo ou à Balzac.

Il célèbre chez lui un “talent éblouissant”   , une “écriture féconde”   qui provoquent chez lui un “authentique plaisir du texte”   , la “plus haute félicité”   , voire un “orgasme littéraire”   . On l’aura compris, ce n’est pas dans ce livre que l’on trouvera un regard résolument neuf sur l’œuvre de l’écrivain péruvien, ni une approche critique approfondie de son long parcours. Cependant, si l’on passe outre cette expression sans nuance d’une admiration somme toute légitime, cet ouvrage n’est pas sans qualités, loin de là.

Tout d’abord, il exprime une véritable connaissance intime de l’œuvre, mais aussi une relation privilégiée avec son auteur, et pour cause, puisqu’Albert Bensoussan est son traducteur presque exclusif en français depuis plus de trente ans. Au point qu’il se définit lui-même ainsi par rapport à Vargas Llosa : “Moi, son double, son singe. Son autre moi”   . Mais il ne choisit pas pour autant une approche biographique.

Certes, il dessine un double portrait, celui de l’écrivain et de son traducteur, mais celui-ci passe avant tout, non par la vie, mais par la littérature. La primauté est donnée au texte. Même l’aspect politique de la carrière de Vargas Llosa, qui fut candidat à la présidentielle péruvienne en 1990, est traité plus comme un aspect de sa pensée que de sa vie. Albert Bensoussan se place au plus près des mots de son auteur démontrant, en quelques exercices pratiques, sa propre maîtrise de traducteur, rodée également sur les œuvres du Cubain Guillermo Cabrera Infante et de l’Argentin Manuel Puig.

Il peut ainsi livrer une lecture très précise de son auteur, détectant les traits spécifiquement péruviens, les images récurrentes, les thèmes privilégiés qui donnent une unité au vaste corpus vargasllosien. Il est toujours agréable de parcourir ainsi une œuvre aboutie, et Bensoussan en offre une présentation claire et succincte, avec de bonnes intuitions. Par exemple, il souligne la récurrence des chiens dans le début de l’œuvre (La Ville et les Chiens, Les Chiots) et l’associe à une étude du cynisme ; il étudie aussi le retour de la figure du scribe dans chacun des romans, ou montre enfin la tripartition de l’œuvre autour de trois thèmes majeurs qu’il appelle le sabre (c’est-à-dire l’armée et la dictature, notamment dans La Fête au bouc), l’utopie (dans La Guerre de la fin du monde et Le Paradis – un peu plus loin) et l’amour (dans La Tante Julia et le Scribouillard et Tours et Détours de la vilaine fille).

Bensoussan montre bien le regard original, profondément latino-américain, que Vargas Llosa porte sur le monde, et la fécondité de son œuvre. Et il défend son esthétique de “roman total” et de profusion du récit, non sans l’opposer, un peu facilement, à la recherche formelle pure d’un Robbe-Grillet. On le voit, il ne s’agit pas pour lui de faire une véritable analyse critique et de montrer les contradictions inévitables dans une œuvre de si longue haleine. On regrettera donc (outre les quelques répétitions dues à l’inclusion d’articles antérieurs) que l’auteur n’évoque que très peu certains aspects de Vargas Llosa, comme son théâtre, ou qu’il renonce à expliquer clairement son parcours politique tourmenté qui le vit passer d’un soutien à Castro à une profession de foi libérale. On aurait également apprécié une description plus précise des ouvrages non traduits en français, qui comprennent des livres de reportages sur le Moyen-Orient et un essai sur Garcia Marquez, écrit avant leur rupture politique. Des rapprochements avec l’esthétique et la pensée d’autres romanciers contemporains de Vargas Llosa, comme Fuentes, Cela, Semprun, Singer, Kundera ou Glissant   auraient également pu être très pertinents, pour comprendre les similitudes comme les singularités du Péruvien.

Cet ouvrage n’est donc pas l’analyse critique définitive, qui manque encore en français. Mais son but, plus modeste, est atteint : être une invitation à la lecture, essayer de communiquer son enthousiasme, et surtout, dans une dimension gourmande qui se réclame tant de l’“orgie perpétuelle” de Flaubert que du “plaisir du texte” de Barthes, faire de la littérature moins un objet d’analyse qu’un objet de jouissance