Le cinéma scientifique documentaire est un genre cinématographique de plein droit, dans lequel on compte de nombreuses réalisations importantes, y compris de réelles œuvres d'art. Celles qui me viennent en premier à l'esprit portent sur les sciences humaines, telle, par exemple, pour l'ethnographie, l'œuvre cinématographique si riche de Jean Rouch   . Ici, le “cinéma scientifique” accède naturellement au statut d’œuvre d'art. Il est vrai qu'il y a une adéquation particulière entre la forme d'expression filmique et les objets ou champs d'études anthropologiques, sociologiques, géographiques, mais aussi historiques. Et le résultat peut s'avérer remarquable si le chercheur scientifique se révèle un véritable cinéaste, de manière analogue à ce qui a parfois lieu en littérature, par exemple avec Tristes tropiques de Claude Lévi-Strauss, qui révèle l'écrivain.
La biographie filmée de scientifiques constitue un autre genre que l'on retrouve soit comme documentaire, soit comme fiction   . Mais entre les mains d'un véritable créateur, un film biographique sur un savant peut constituer une œuvre au sens plein du terme, c'est-à-dire porteuse de significations dans sa forme d'expression même, ici filmique, tout comme la littérature de son côté a pu en fournir au fil des siècles maints exemple. Ici, il est vrai, la science n'est pas seule concernée, et le propos d'un film biographique sur un savant ne diffère pas fondamentalement de celui sur n'importe quel personnage historique ou créateur d'une œuvre, par exemple philosophique ou artistique. On peut cependant voir une différence importante entre une biographie se rapportant à une action publique et celle d'un personnage créateur d'idées ou de formes d'art. Car ce qui importe surtout a priori dans l'évocation de la vie d'un créateur, ce sont les idées qu'il a fait naître ou les œuvres d'art qu'il a créées, et du mouvement de création en lui. Mais il n'est peut-être rien de plus difficile que de rendre par les moyens du cinéma de tels rapports intimes de la vie et de l'œuvre   . Les films biographiques de Roberto Rossellini sur des philosophes et des savants (Galilée, Descartes, Pascal…) proposent à cet égard des solutions et des aperçus originaux et intéressants.
Le film récent de Liliana Cavanni   intitulé simplement Einstein, réalisé pour la télévision, et malheureusement resté trop peu diffusé, mérite aussi d'être mentionné, car il s'agit à mon sens d'une œuvre remarquable. C'est l'homme qui nous est donné à voir, dans sa vie quotidienne et dans les tribulations où l'a emporté son siècle, et non le détail de ses apports scientifiques, qui ne sont que très sommairement évoqués. La mise en scène et en images atteint une densité particulière si l'on porte attention au fait - finement rappelé et souligné dans le film même - que cette œuvre, importante et significative, a été portée, engendrée, créée pour tout dire, par un homme fait comme les autres, ou peu s'en faut, si humain en tout cas, comme nous pouvons le voir à suivre des épisodes de sa vie. En quelque sorte on suit en filigrane, indirectement, dans son terrain et son contexte humains, la création de connaissances dont nous nous nourrissons aujourd'hui.
J'évoquerai également, sur un registre encore différent, le beau portrait réalisé par Pierre Carles en 2001, de Pierre Bourdieu, sociologue et intellectuel engagé dans la société par son travail même et par sa conception de sa discipline. Le film, intitulé La sociologie est un sport de combat, est sorti quelques mois avant la disparition brutale de Bourdieu.
La Science-fiction est un autre genre, totalement fictionnel, qui compte ses chefs-d'œuvre, dans lequel des connaissances scientifiques sont parfois suivies d'assez près, mais le plus souvent servent plutôt de prétexte, car ce qui intervient dans ces œuvres de fiction n'est pas tant la “science” que les jeux de l'imagination à partir d'elle, et bien souvent le "fantastique”. La technologie s'y substitue d'ailleurs en général à la connaissance scientifique proprement dite et tient un rôle décisif dans toute l'organisation de la mise en scène.
Le cinéma lui-même est d'une certaine façon une invention scientifique, et il entretient peut-être par cette origine et par les progrès des appareils qui le réalisent (optiques, mécaniques, électromagnétiques, aujourd'hui informatiques) quelque connivence avec la science, que le langage, par exemple, n'aurait pas. Par bien des aspects, la science, pour spécialisée et ésotérique qu'elle soit, entretient un lien direct avec la vie des hommes, qu'elle accompagne souvent dans les détails de la vie quotidienne. Par ailleurs, le cinéma de son côté, différemment, se nourrit aussi de ces détails qu'il peut rendre par ses moyens, selon des modalités expressives, ou au contraire allusives ou symboliques.
Existe-il un rapport privilégié entre le cinéma et la science, en raison par exemple de la place du mouvement dans le cinéma, l'étude du mouvement ayant eu par ailleurs l'importance que l'on sait dans les débuts de la science moderne avec la constitution de la mécanique ? On pourra évoquer dans ce sens les premiers films scientifiques à proprement parler comme ceux d'Etienne-Jules Marey, analysant par l'image la décomposition du mouvement dans la course du cheval ou de l'homme. Le cinématographe a pu être ainsi, et il le reste aujourd’hui, un moyen d'investigation dans certains domaines, en tant que moyen d'expression par des images en mouvement. Nous dirons, plus exactement, qu'il utilise en fait l'impression ou l'illusion du mouvement. Mais de toutes façon, le cinéma reste lié au mouvement, et donc à l'espace et au déroulement du temps, au déplacement dans l'espace selon le déroulement du temps, voire, si l'on veut - à la lumière des connaissances contemporaines, nommément de la théorie de la relativité d'Einstein - à l'espace-temps. Mais c'est plutôt à l'espace et au temps tels qu'ils sont pris dans le mouvement à des vitesses relativement faibles où la théorie de la relativité ne joue pas