Hans Magnus Enzensberger, esprit brillant de la littérature allemande, se fend d'une volée de bois vert anti-européenne décevante qui reprend tous les poncifs de l'euroscepticisme plat.

Hans Magnus Enzensberger est un grand talent de la littérature allemande. Romancier, poète et essayiste, il est connu pour sa capacité à écrire des pamphlets provocateurs, à l'image de son dernier livre publié en France Le perdant radical. Essai sur les hommes de la terreur (Gallimard, 2006), consacré aux expressions contemporaines d'une violence à la fois radicale et suicidaire.

Dans son dernier essai intitulé Le doux monstre de Bruxelles. L'Europe sous tutelle (Gallimard), il critique violemment la Commission européenne et par conséquent l'Union européenne. Seul problème : il n'apporte rien de neuf et incarne plutôt la pensée unique de ceux qui critiquent la construction européenne. L'auteur a la plume acérée, il est vrai. Sa critique de la « bureaucratie bruxelloise » interpelle car il fait partie de ceux qui reconnaissent à la construction européenne un vrai plus dans la vie de notre continent. C'est du reste par là qu'il commence, histoire de mieux justifier son torrent de reproches divers et avariés contre l'Europe en général et la Commission européenne en particulier.

 

Le fantasme d'une Europe de Bruxelles, objet du délit

Bien sûr, il ne s'agit pas de reproches bêtes et méchants. Hans Magnus Enzensberger a beaucoup trop de talent pour ça. Il sait emmener le lecteur vers l'ironie de la situation de « Bruxelles » : la Commission européenne a du pouvoir et ne se prive pas de l'exercer... tout en étant pas légitime à ses yeux car non élue les citoyens européens. On sent une vraie indignation chez cet auteur, indignation qui sert de fil rouge à tout l'essai. Il a cette désagréable impression que des gens non élus s'arrogent un pouvoir qui devrait revenir normalement au peuple.

Pour démontrer ce point de vue, il multiplie les exemples et rappelle le nombre de textes qui concernent quotidiennement les citoyens européens. Il vise juste lorsqu'il reproche à « l'Europe » de légiférer sur la taille des concombres, créant des contraintes qui ne devraient pas avoir lieu d'être pour les producteurs... et les citoyens-consommateurs. Il est cependant moins crédible lorsqu'il reprend l'argumentaire eurosceptique habituel, y compris les rumeurs les plus saugrenues. Comme celle d'une CIA à l'origine de la construction européenne. Le tout sans preuve évidemment. Autre attaque « classique » : Jean Monnet a le portrait du parfait méchant européen car il n'a jamais été élu. C'est donc qu'il a voulu faire l'Europe dans le dos des peuples... Et tant pis pour l’invraisemblance d'un homme seul qui aurait forcé la main aux citoyens européens. L'auteur ne sait manifestement pas non plus qu'aucun texte européen ne peut être voté sans l'accord des Etats qui composent l'Union européenne. C'est l'Europe en générale, et son incarnation, la Commission européenne, qui aurait le pouvoir d'imposer sa volonté aux peuples d'Europe.

 

Une grille de lecture populiste

Oui, ce livre est dans la veine populiste qui fait fureur partout en Europe. Il s'appuie en effet sur le principe de liberté individuelle pour justifier son propos et son rejet de toute décision estampillée « Europe ». On y retrouve l'idéal d'un peuple seul, débarrassé de cette élite de Bruxelles qui déciderait à sa place.

Pourtant, sa critique de l'administration déconnectée de la réalité du terrain peut être reportée sur toutes les administrations nationales, régionales ou locales par exemple. Les mauvaises législations édictées par nos dirigeants, les pertes d'argent liées à la bureaucratie, tout cela existe aussi au niveau national. L'auteur ne demande pas pour autant la suppression de l'Etat national... M. Enzensberger ne propose rien et fait bien attention à contrer par avance toute critique de sa pensée : les gens Bruxelles qualifient d'anti-européenne toute personne qui oserait formuler une critique alors qu'il défendrait le bon sens, tout simplement ! Sauf que là, ce n'est pas un problème d'engagement ou non pour l'Europe. L'argumentaire est surtout mauvais et les procédés des plus douteux. Par exemple, pour impressionner le lecteur, l'auteur n'hésite pas à empiler les zéros. Il est sûr qu'entre « dix milliards » et « 10 000 000 000 » (page 25), l'argument prend du poids, rien qu'au nombre de caractères imprimés...

 

Un livre décevant car sans perspective

Même dans l'entretien final avec une personne de la Commission (qui, on ne sait pas, mais la particule « de » à son nom, est-ce un hasard ?), on retrouve l'incapacité de l'auteur à sortir de son rejet vomitif de l'exécutif européen. Il ne sait que prescrire « une cure d'amaigrissement aux institutions européennes ». Quoi exactement ? Nous ne le saurons jamais. La fin de la lecture de ce livre de Hans Magnus Enzensberger est donc bien décevante.

On aimerait savoir si l'auteur voudrait que la Commission devienne un organe politique et donc élu au niveau européen comme les gouvernements au niveau national ? Peut-être souhaite-t-il que la Commission disparaisse tout simplement et qu'il n'y ait que des décisions prises par le biais de la diplomatie entre Nations ? A n'être que dans la dénonciation, on ne donne rien qui soit réellement intéressant. Hans Magnus Enzensberger ne fait que reprendre le discours (et les rumeurs lancées) par les partis qui sont contre l'Europe d'aujourd'hui. Il n'y a rien de neuf venant de ce brillant esprit. Dommage, non ?