* Nonfiction.fr publie chaque mois un article du Japon à l'envers, un blog consacré aux aspects méconnus de la société, de la vie politique et de la culture populaire de l'archipel japonais.

 

Alors que l’agriculture japonaise est déjà confrontée à de graves problèmes consécutifs à la contamination radioactive en provenance de la centrale de Fukushima, un autre danger suscite un important débat au Japon. En effet, le premier ministre japonais NODA Yoshihiko souhaiterait faire entrer le Japon dans les négociations du TPP (Trans-Pacific Partnership) qui auront lieu le 12 et 13 novembre prochain au sommet de l'APEC à Honolulu. Ce qui n'était qu'une rumeur a depuis été confirmé par le ministre du commerce et de l'industrie, EDANO Yukio, lors d'une séance du gouvernement le 3 novembre. Il a reçu le soutien à cette occasion de NIINAMI Takeshi, président de la chaîne de kombini Lawson. Ce traité vise à faire émerger une zone de libre-échange dans la région Asie-Pacifique avec supression totale des barrières douanières d’ici à 2015. Un traité anodin en apparence que le gouvernement tente de vendre à la population avec l’argument facile d’une « ouverture du Japon sur le monde ».

Pourtant depuis quelques mois, les librairies regorgent d’ouvrages souvent opposés à ce traité, et le mot TPP est sur toutes les lèvres. Un mouvement d’opposition au TPP a vu le jour et n'est pas sans rappeler le mouvement contre le Traité constitutionnel européen (TCE) de 2005 en France. Il est favorisé par les récents succès de mobilisation du mouvement antinucléaire. Des manifestations anti-TPP ont ainsi eut lieu à Tôkyô et dans des localités paysannes, notamment dans la région du Tôhoku déjà durement touchée par le tsunami du 11 mars et la catastrophe nucléaire de Fukushima.

Des paysans de Miyagi lèvent le poing en signe de protestation contre le TPP, 26 octobre 2011

Des paysans de Miyagi manifestent contre le TPP, 26 octobre 2011. On peut lire : "Miyagi: Protégeons l'agriculture du Japon"; "Contre la participation du Japon au TPP"; "Protégeons la nourriture et les terres du Japon"

 

Qu’est-ce que le TPP et pourquoi suscite-t-il autant de méfiance ? Le Trans-Pacific Strategic Economic Partnership est un traité de libre-échange visant à intégrer les économies de l’ensemble des pays de la région Asie-Pacifique. A l’heure d’aujourd’hui, neufs pays sont concernés par les négociations - Bruneï, le Chili, la Nouvelle-Zélande, Singapour, les Etats-Unis, l'Australie, le Vietnam, la Malaisie et le Pérou. La décision prise par le gouvernement japonais de participer à cette zone de libre-échange a surpris par sa rapidité l’opinion publique qui tente de comprendre de quoi il s'agit.

La crainte que suscite le TPP chez certains Japonais concerne avant tout l’agriculture, bien que la supression concernera également les biens manufacturiers et les services. Sur ce sujet qui mêle alimentation et tradition, la réaction de la population peut être épidermique. L'agriculture japonaise reste relativement peu productiviste et bénéficie encore d’un fort cadre protectionniste qui la protège de toute concurrence.  Selon les opposants au TPP, si cette zone de libre-échange voyait le jour, les régions agricoles déjà ravagées par le séisme du 11 mars et ses suites subiraient la concurrence des produits agricoles américains ou australiens à bas coûts. L’autosuffisance alimentaire du Japon déjà très basse pourrait alors fortement diminuer, passant de 39% à 13%, ce qui rendrait le pays dépendant des fluctuations du marché sur les produits alimentaires. De fait, l'objectif du gouvernement de faire passer l'autosuffisance alimentaire du Japon à 50% d'ici à 2020 paraît dans ces conditions irréalisable.

L’agriculture biologique pourrait aussi, face à la concurrence de pays productivistes, connaître un sérieux revers. Les pro-TPP ne cachent d’ailleurs pas leur volonté d’accroître la productivité de l’agriculture japonaise et de mécaniser les campagnes. Mais surtout, la crainte des opposants, à tort ou à raison, est de voir la firme Monsanto manœuvrer en coulisses pour imposer ses semences OGM aux paysans japonais. Par ailleurs, la zone de libre-échange concerne également les services et les biens, ce qui suscite une certaine méfiance des industries face aux produits à bas-coûts des autres pays asiatiques. Sans parler du dumping social que pourrait entraîner une telle concurrence.

Mathieu Gaulène

Crédit Photo: Manifestations de paysans en tracteur dans le quartier chic de Ginza, Tokyo, 28 août 2011 (DR/Sankei)