Presque cinq mois après la chute d’Hosni Moubarak, les tensions entre coptes et musulmans semblent apaisées. La communauté copte avait exprimé son mécontentement au mois de mars en organisant des sit-ins devant la télévision d’Etat au Caire pour réclamer une protection et la réouverture de plusieurs églises fermées par l’armée. Soutenue par des centaines de musulmans venus manifester à ses côtés, elle a obtenu gain de cause le 21 mai, lorsque le ministre de l’Intérieur a déclaré vouloir pourchasser les semeurs de trouble à l’origine des tensions interreligieuses. Le gouvernement a annoncé la réouverture d’une douzaine d’églises et la police s’est décidée à arrêter environ deux cent personnes impliquées dans la destruction de l’Eglise de la Vierge Marie, résultat d’une nuit embrasée de violences dans le quartier populaire d’Imbaba le 8 mai dernier.

Depuis, les salafistes se font plus discrets, les vidéos extrémistes incitant à la violence contre les coptes circulent moins sur YouTube et le gouvernement intérimaire vient d’approuver un projet de loi donnant aux musulmans et aux coptes les mêmes droits pour la construction de lieux de culte. D’après Yasmine El Rashidi, la peur demeure néanmoins parmi la minorité chrétienne d’Egypte forte de plus de huit millions de personnes. Le père Sarabamon, curé de l’Eglise de la Vierge Marie, a raconté au reporter de la New York Review of Books que les scènes d’agression contre des femmes chrétiennes sont quotidiennes : "chaque semaine il y a des incidents, des femmes qui se font arracher les croix qu’elles portent autour du cou lorsqu’elles marchent dans la rue. […] et il y a toujours des jeunes femmes qui disparaissent, kidnappées". De surcroît, seules quarante-huit personnes arrêtées suite aux attaques contre l’église seraient en passe d’être jugées, dont de nombreux coptes, et seules seize personnes poursuivies pour avoir agressé les manifestants chrétiens durant leurs sit-ins auraient été condamnées à ce jour. De quoi laisser sceptiques les coptes sur les bienfaits du changement de régime.

Le nouveau gouvernement chapeauté par l’armée essuie par ailleurs de nombreuses critiques pour sa gestion des affaires du pays. Le conseil militaire a en effet largement outrepassé les droits que lui confère en principe le succès du référendum portant sur des amendements à neuf articles de la Constitution. Le "Oui" devait rétablir la Constitution suspendue de 1971 jusqu’aux élections législatives de septembre, censées donner lieu à une nouvelle constituante. Mais l’armée n’a pas hésité à rédiger une annexe de cinquante articles sans consultation citoyenne pour s’arroger plusieurs droits extraconstitutionnels. C’est le référendum qui provoqua la première scission dans le mouvement révolutionnaire entre les partisans de la nouvelle Constitution, essentiellement l’armée et les Frères musulmans, et les libéraux. Ces derniers ne cessent de demander le report des élections prévues à la rentrée pour mieux s’organiser, tandis que l’armée va dans le sens de la coalition des partis islamistes, composée du parti des Frères musulmans, Liberté et Justice, et de plusieurs organisations conservatrices telles que le nouveau parti al-Wasat. L’armée miserait donc sur le statu quo car la seule configuration qui lui serait défavorable à l’avenir serait celle où les partis libéraux se retrouveraient majoritaires. Les Frères musulmans se préparent à l’écart du reste de l’opposition, réunie en son absence lors d’une grande conférence nationale le 8 mai et à nouveau dans la rue le 27 mai au nom d’ "une seconde révolution". Sur les 30 000 manifestants estimés, nombre d’entre eux criaient : "Voici le peuple d’Egpyte, où sont les Frères musulmans ?". Malgré un discours officiel plus bienveillant envers les femmes et les coptes, la Confrérie continue à susciter l’hostilité des acteurs de la révolution. Stéphane Lacroix, spécialiste de l’islamisme saoudien qui enquête depuis plusieurs mois au sein du milieu salafiste égyptien, a confié à Yasmine El Rashidi qu’ "à maints égards, les salafistes ont remporté leur combat. Du moins, les conservateurs ont certainement remporté le leur." Reste à savoir quelle frange des conservateurs en sortira vainqueur.

D’abord discrets sur leurs ambitions électorales, les Frères musulmans ne cachent plus leur objectif d’obtenir 50 % des voix aux élections, grâce leur alliance avec plusieurs autres partis islamistes. La popularité du mouvement persiste dans les quartiers pauvres où il fournit gratuitement de la nourriture et des services aux plus démunis. Et cela risque de continuer avec l’inflation annoncée. "Ils savent qu’ils sont en position de force", rappelle Stéphane Lacroix. L’été sera sans doute déterminant pour mesurer la stabilité et l’étendue de cette position.

 

* Yasmine El Rashidi, “Egypt : The Victorious Islamists”, New York Review of Books, 15 juin 2011.